Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 22 décembre 2011

Théâtre : Dans la solitude des champs de coton de Koltès

Ce texte de Bernard-Marie koltès a été mis en scène par Nabil el Azan avec Aristide Tarnagdaga et Christophe Brault sur la scène de l’Espace culturel Gambidi. Dans une mise en scène sobre et épurée, les deux comédiens jonglent avec ce beau texte et lui donne une résonnance fort actuelle : la montée du racisme et son corolaire, le rejet de l’Etranger.
Si la première mise en scène de ce texte par Patrice Chéreau et celles de maints metteurs en scène ont fait du Noir le dealer et du Client un Blanc, conformément à l’intention de Koltès, Nabil el Azan a opté d’invertir les rôles et d’inscrire sa mise en espace de ce texte dans la confrontation entre un dealer Blanc et un client Noir. Un renversement de paradigme qui incline à la lecture de cette représentation comme un affrontement entre un autochtone Blanc et un immigré Africain. Inversion aussi de la géographie théâtrale : le public est installé sur la scène et les comédiens jouent dans l’espace réservé au public, entre les rangées de chaises vides.
Pendant que le public prend place, sur le célèbre tube des années 80 des Bee Gees, Saturday night fever, le Dealer (Christophe Brault) se déhanche à la John Travolta. Le public non averti s’attend à une comédie musicale ou à une pièce gaie. Mais il comprend vite sa méprise. Dans la solitude des champs de coton s’ouvre aussi sur une méprise. Le Dealer est sûr que son vis-à-vis est en ce lieu, à cette heure du soir parce qu’il désire lui acheter quelque chose. Le client, lui justifie sa présence par le droit du trajet, la liberté d’aller d’un point à un autre. Et de là naît le dialogue fleuve entre deux êtres qui tentent de se subjuguer, de se comprendre et de se dominer. Le Dealer développant sa rhétorique de la rencontre, du désir, et devant les esquives du Client, sa prose mielleuse vire au close combat. On assiste à un pugilat verbal ou les mots comme des balles de ping-pong fusent, virevoltent, ricochent et implosent. Aux longues tirades du début succèdent de petites répliques pleines d’agressivité, de sous-entendus et de menace. Des circonvolutions du discours de la diplomatie, on passe à la sècheresse du verbe martial. Et de l’impossible entente, on en vient à l’inévitable affrontement.
Cette mise en scène servie par l’excellent jeu des comédiens amplifie et pousse à l’extrême la tension vers un point de non-retour. Face à Christophe Brault qui déploie un jeu très physique, une énergie carnassière, qui court, gesticule, hurle, il y a Aristide Tarnagda, un bloc d’immobilité, aucune gestuelle n’accompagne la voix monocorde, et pas un mot plus haut que l’autre, ni éclat ni murmure, il déroule un discours de sérénité qui détache les mots staccato. Et la tempête verbale du Dealer s’emmêle au propos rare du Client et cela donne une partition à deux voix, à deux notes. La distance entre les deux acteurs, qui oscille constamment entre la proximité et l’éloignement dessine une géographie des relations sociales faite de dérobades et d’adhésion, d’accord et de répulsion, de compassion et de rejet. Ce deal autour de l’indicible est aussi une métaphore du deal permanent dans lequel se trouve l’individu en société. Au final, la scène prend l’allure d’arène de corrida. Le dealer est un toréro qui tourne autour du Client, et le blouson jeté entre les deux comédiens fait figure de muleta. On saura gré à cette mise en scène d’avoir réussi à captiver le public et même à le faire rire avec un texte très littéraire et considéré comme du théâtre à lire.
Dans la profusion de sens que génère ce texte plurisémique, le public aussi fait son marché de significations, et il choisit celles qui lui conviennent, aidé en cela par la mise en scène de Nabil el Azan. Et si dans celle-ci, le désir conserve toujours une forte connotation sexuelle, elle a le mérite d’enrichir le texte d’un supplément de sens en faisant affleurer une interprétation qui met au jour le racisme et la xénophobie. Et le spectateur Burkinabè ou Malien ne peut s’empêcher de voir en Christophe Brault avec sa chevelure rousse, un avatar de Brice Hortefeux et en Aristide Tarnagda, avec son manteau, son écharpe et ses nu-pieds, un travailleur Sarakolé ! Bien sûr que le propos de cette mise en scène est moins circonstanciée mais chaque spectateur voit midi à sa porte. Cette mise en scène de Nabil el Azan questionne plus largement un monde schizophrène qui, avec la mondialisation des échanges se veut un village planétaire mais continue à activer les mécanismes de repli sur soi face à l’Autre.

lundi 19 décembre 2011

Wodaabé, les bergers du soleil : ultimes images d’un peuple en sursis

Ce documentaire de Werner Herzog rend compte de la fête de la séduction ou Gerewole qu’organisent les Wodaabé pour célébrer la beauté et l’élégance des hommes de la tribu. Entre les témoignages et les préparatifs de la fête, le film évoque le mode d’existence et la menace qui pèse sur les traditions de ce peuple pris en étau entre la nature devenue inhospitalière et la broyeuse de la modernité.
Ils sont un sous-groupe des Peuls et vivent au Niger. On les appelle Wodaabé ou Bororos. Les autres Peuls les nomment Wodaabé, c’est-à-dire « les Proscrits » parce qu’ils ont refusé l’islamisation et son orthodoxie. Les haoussa et les Djerma les appelle avec mépris Bororos, du nom de leurs zébus. Mais eux se considèrent comme les « Hommes purs de tout tabou et les plus beaux de la terre ».
Le film s’ouvre avec un travelling sur des visages souriants, fardés de jaune or, les sourcils soulignés au charbon, un trait doré court du milieu du front jusque sur l’arête du nez et en souligne la parfaite droiture, les dents ont la blancheur du lait et les yeux d’un blanc coton, immenses tournent dans tous les sens. Les cheveux sont tressés et une plume d’autruche est fichée sur la tête. A la finesse des traits, à la sveltesse des corps, on croira que ce sont des femmes. Mais non ! Ceci est la parade de la séduction des plus beaux spécimens mâles de chaque famille ; chacun espère accrocher le regard et le cœur d’une belle jeune fille qui partagera avec lui une nuit d’amour ou toute la vie si affinité. Parées de leurs plus beaux atours, les jeunes filles choisiront parmi ces éphèbes celui qui incarne le plus l’idéal masculin selon les canons de beauté des Wodaabé. Comme quoi, les sociétés traditionnelles ne sont pas aussi phallocrates qu’on le croit.
Cette cérémonie filmée par Herzog en 1984 est spéciale car elle intervient après quatre ans de rupture due à une longue sécheresse qui a décimé le cheptel des Wodaabé, ces zébus aux cornes en forme de croissant de lune pareils à ceux que l’on trouve sur les fresques dans les grottes du Tassili. Une sècheresse qui a éparpillés ce peuple de pasteurs dans toutes les directions, qui pour se faire ouvrier dans les champs de cultures, qui pour travailler dans les villes. L’abondante saison pluvieuse de l’année 84 a reverdi les pâturages et a rempli les rivières. L’élevage redevenant possible, les Wodaabé sont revenus sur leurs terres. Tous les quatorze lignages de la tribu sont là pour ressusciter la fête de la séduction. Des campements sont rapidement dressés. Des mariages sont célébrés. Des démonstrations de dressage de chameau ont lieu. Les réjouissances dureront cinq jours et cinq nuits. Des drogues à base de racines aident les hommes et femmes à vaincre la fatigue et le sommeil. Et la caméra musarde dans le campement et suit les hommes qui s’apprêtent pour le Geerewole. Séance de maquillage avec du beurre et des colorants naturels. Du charbon pillé redessine les contours des lèvres et les sourcils. Un miroir surgit souvent entre les mains pour renseigner sur le degré de métamorphose de ces Narcisse du sahel !
Le spectre de la grande famine hante toujours les esprits car elle a jeté les Wodaabé sur les chemins de l’exode rural. Beaucoup se sont rués vers les mines d’uranium d’Arlit comme des phalènes sur une flamme et s’y sont brûlés les ailes. Devenus ouvriers vivotant dans des bidonvilles ou dans des camps de réfugiés, ils vivent mal cette situation contre-nature qui fait de ces familiers des grands espaces des prisonniers confinés dans des abris pour crève-la-faim. Et même s’ils font provision d’espérance devant l’abondance de cette saison, ils savent qu’ils sont un peuple en sursis et qu’une autre sécheresse sonnera pour eux les trompettes de l’apocalypse.
La caméra de Herzog a compris qu’elle est témoin d’un monde finissant, aussi traîne-t-elle sur les choses, s’attardant sur les visages comme un œil ami se pose longtemps sur un agonisant pour graver chaque détail dans la mémoire, conscient qu’il ne le reverra plus. Ce peuple qui a su résister à tous les impérialismes, qu’ils soient islamiques ou chrétiens, qui a conserver ses traditions et sa vision du monde dans sa pureté originelle est à sur le point de disparaître, vaincu par les calamités naturels et le rouleau compresseur de la modernité. Ce dernier ilot de pureté culturelle va sombrer dans l’océan de l’uniformisation des cultures et l’Etat nigérien détourne le regard.
D’ailleurs l’image qui clôt le documentaire d’une quarantaine de minutes est sans équivoque. C’est un monde crépusculaire et des ombres chinoises d’un berger Wodaabe et son chameau traversant un pont envahi par les automobiles. Sans soleil, les bergers du soleil sont comme des abeilles : le chemin de retour à la ruche est perdu. Ainsi ce Wodaabé qui tente de se frayer difficilement un chemin dans la frénésie des objets de la modernité est, à n’en pas douter, la métonymie d’un peuple désorienté. Ce film de Werner Herzog est poignant et d’une grande beauté. Seule incongruité : la musique classique qui accompagne le film. Des chants Wodaabe auraient été plus indiqués pour dire le chant de cygne de cet admirable peuple.

vendredi 9 décembre 2011

Les sculptures de Loango menacées

Loango est un musée de sculptures à ciel ouvert. Depuis 1989 des artistes des quatre continents viennent se confronter au granit pour faire émerger des sculptures, belles, variées, défiant le temps. Mais au fil des ans, le site se dégrade sérieusement. Les sculpteurs aussi. Serait-ce dû à des actes de vandalisme ?
Pour qui va souvent à Laongo, la lente dégradation du lieu et la décrépitude des sculptures sautent aux yeux de sorte que l’endroit ressemble de plus en plus aux ruines des temples aztèques ou d’Angkor. La nature sauvage semble vouloir reprendre le site aux hommes. L’herbe y pousse drue, mangeant les sentiers du site et des plantes grimpantes enlacent les sculptures, des lianes s’entrecroisent et tissent des mailles inextricables rendant les sculptures difficilement accessibles. Même s’il y a du charme dans cette lutte inégale entre un David chlorophyllien et un Goliath minéral et dans cette scénographie du hasard autour du vert végétal et du gris minéral, on aurait aimé que la main d’un jardinier y mît un peu d’ordre et organisât l’impétuosité des plantes et des herbes en aménageant un itinéraire dégagé, en débrouillant autour des sculptures, en coupant les branches qui dérobent les œuvres au regard. Un travail de paysagiste, en somme !
Mais le grave, c’est la dégradation des œuvres. Nous ne parlons pas de l’usure naturelle des éléments. Pas du temps qui couvre de patine les œuvres, ni des mains qui, à force de toucher les statues les rendent lisses, ni des intempéries qui les lézardent et leur donnent un air de fragilité et d’authenticité. Le charme de la Vénus de Milo ne vient-il pas aussi du fait qu’elle est manchote ? A la nuance près qu’elle a été arrachée à 18 siècles d’ensevelissement et que Loango n’a même pas trente ans ! Mais lorsque qu’une œuvre est saccagée par des visiteurs indélicats qui lui arrachent des parties et les emportent, c’est intolérable. A voir l’état de certaines œuvres de Loango, on penserait qu’elles ont été vandalisées. Ainsi du Fardeau de la vie de Vassili Tatarski qui a perdu son fardeau, un bloc de granit que portait le visage androgyne de la sculpture. Sans ce fardeau, cette œuvre perd totalement de sa signification. Une autre sculpture est mutilée : La recherche de la vérité de Pépito Espin Anadon qui questionne la crise ivoirienne à travers l’opération Bayiri. Cette œuvre montrait cinq bonshommes de bronze, harassés, courbés sous le poids des soucis et gravissant avec peine une pente ascendante. Il n’y a plus de cinquième homme dans la cohorte ; c’était la statuette la plus grande. Aurait-elle été arrachée et emportée par un visiteur ? Enfin l’Hommage aux femmes de Dinekc Beereboom, une des plus belles œuvres du site faite d’un buste de femme en granit posé sur un tronc en fer et surmontée d’une tête de fer portant un poisson de granit. Cette belle œuvre a été…guillotinée. La tête et le poisson n’ont pas roulés au pied de la belle dame, ils ont disparu ! Emportés par un indélicat ?
Que ce soit des actes de vandalisme ou des détériorations dues au manque d’entretien, il faut y mettre fin. Loin de nous l’envie de faire glisser l’archet de l’indignation facile sur des peccadilles pour faire entendre la musique du ronchon. Mais Loango est un site unique dans la région, un patrimoine à préserver vaille que vaille. Car déambuler entre les hommes, les femmes et les objets enfantés de la pierre a quelque chose d’édifiant. Aussi est-il des visiteurs qui vont à Loango comme d’autres s’en vont à Yagma ou à Ramatoulaye. Avec l’esprit du pèlerin et un profond respect du lieu et des choses. Il faut donc protéger ce lieu. En restaurant les sculptures, en entretenant le site et en traquant les actes délictueux.
Alcény Saïdou Barry


vendredi 2 décembre 2011

Piéton à Ouaga : le calvaire

Dans la capitale Burkinabé, il ne fait pas bon d’être un piéton. L’aménagement urbain ne tient pas compte de lui, les usagers de la route en font un ennemi public, un homme à abattre. Il est par conséquent dangereux d’en être. Ici le piéton est une espèce menacée.

L’aménagement urbain exclut le piéton

C’est un calvaire pour le piéton de faire un kilomètre dans la ville de Ouaga. D’abord l’aménagement urbain n’a prévu aucun espace pour lui. Quand de rares fois, il lui est réservé un espace comme la zone piétonne autour de Rood- woko, les voitures et les cyclistes contestent la règle et obligent l’autorité à y déroger. La plupart des rues sont sans trottoir, l’obligeant à partager la bande cyclable avec les deux-roues. Et cela à ses risques et périls car le cycliste Ouagalais lui voue une haine nauséeuse. Dès qu’il pose la semelle sur le bitume un concert klaxons furieux le glace d’horreur. Même s’il traverse une rue en empruntant les rares passages cloutés qui lui sont réservés, il doit être vigilant comme un CDR, pour ne pas se faire écraser! A Ouagadougou, aucun cycliste ou chauffeur ne ralentira pour le laisser traverser. Pour éviter d’être écrasé, il devra prendre ses jambes au cou, slalomer entre les roues, la bordée d’injures et les klaxons pour atteindre l’autre côté de la rue. Comme s’il ne traversait pas une rue mais une mare aux alligators !

L’aristocratie de la monture

Confronté au mépris des autres usagers de la circulation, le piéton prend rapidement conscience de la hiérarchie de classe qui tient de la qualité de la monture. Au sommet de l’échelle sociale trône le conducteur de gros camions. Il est très craint mais point aimé. Suivent par paliers, les conducteurs des 4x4, ceux qui roulent de petites voitures et des grosses cylindrées. Au dernier barreau de l’échelle, se trouvent les cyclistes. Ils sont méprisés par les citadins qui les considèrent comme des paysans ne connaissant rien au trafic urbain. Enfin, au plus bas de l’échelle, au même rang que les ânes, les moutons et les chiens perdus, on trouve le piéton. Beaucoup de Ouagalais pensent que cet étrange bipède mériterait de rejoindre les animaux en divagation à la fourrière. Sans rire !

Un piéton est de facto un prolo

Il est des citadins incapables d’admettre que l’on puisse trouver du plaisir à battre le pavé. Marcher est perçu comme une dégénérescence sociale. C’est pourquoi, dès qu’un homme marche sur le bas-côté de la voie, ceux qui le reconnaissent se rangent à sa hauteur pour s’enquérir du problème qui l’a réduit à cet état. Panne ? Qu’il réponde que marcher est un plaisir et on doutera de sa santé mentale. Amadou l’a appris à ses dépens. Son médecin lui ayant conseillé de faire de la marche pour perdre du poids et fortifier son cœur, il s’y était mis. Mais, à chaque pas, il était arrêté par une bonne âme qui se proposait de lui porter secours. D’autres, plus perfides, appelaient sa femme au téléphone pour lui demander ce qui était arrivé à son époux. Pour mettre fin à ces harcèlements, il s’est résolu à s’inscrire dans une salle de gym et à marcher tranquillement sur un tapis roulant.

Le tacot ou la mort !

Marcher ici est vraiment un enfer. Ouaga est un pandémonium pour le piéton. C’est pourquoi tout ouagalais qui arrive à rassembler trois fois cent mille francs s’achète un tacot fumant comme un volcan, toussotant comme un tuberculeux et brinquebalant. Assis au volant de son cercueil roulant, se rappelant son calvaire d’antan, le chauffard se venge des piétons en jouant du klaxon et en les traitant de tous les noms d’oiseaux dont on l’affublait. On raconte dans les gargotes qu’un riche transporteur, ayant un grand parc d’autos allait rendre visite à un voisin de quartier et se fait éclaboussé par une vieille guimbarde. Il hurle après le chauffeur qui fait marche arrière et s’arrête à son niveau. L’homme s’attend à ce que le zigoto lui présente des excuses. Et le chauffeur, calmement lui dit qu’il a vraiment raison de s’énerver. « Moi-même, j’ai été victime d’éclaboussures sur mes vêtements. Comme toi, je me suis énervé, et c’est pourquoi j’ai acheté un véhicule pour éviter ces désagréments. Fais comme moi, achète-toi un véhicule » assène-t-il avant de disparaître dans la circulation, son tacot se dandinant comme une cane éclopée. Renversant, non ?

Et le piéton cataclysme ?

S’il est vrai que le piéton est malmené, il y en a qui sont vraiment indéfendables et même Vergès ne s’y risquerait pas. Parfois, on voit de jeunes filles se traînasser comme des limaces sur la voie tels des mannequins de Dior sur un T, sans parler de certains quartiers de Ouaga où des piétons s’arrêtent au milieu de la rue pour papoter, se prenant pour des ronds-points que voitures et motos doivent contourner ! Et le plus dangereux d’entre tous, c’est le piéton indécis : pour traverser la rue, il zieute à gauche et à droite, prend son élan, et hop ! le voilà qui se lance ainsi qu’une fusée et subitement il freine des quatre fers, revient sur ses pas, pousse un ouf de miraculé, et refait un pas en avant, et encore deux en arrière. Sa valse hésitante entraine tout le monde dans un sacré cafouillage dans la ligne des voitures, et s’ensuit un carambolage, un véhicule emboutit un autre et ainsi de suite…Et debout sur ses jambes flageolantes, tremblant comme une feuille, le piéton indécis contemple son œuvre : un désastre de tôles froissées, de vitres brisées, d’hommes en fureur. A lui seul, il est une catastrophe et les chauffeurs courroucés aimeraient bien l’avoir sous leurs roues pour en faire du pâté pour chiens errants de Ouaga. Mais une hirondelle ne faisant pas le printemps, on ne va pas condamner tous les piétons simplement parce qu’il s’en trouve qui sont aussi ou moins intelligents que leurs…pieds.

Saidou Alceny Barry

vendredi 25 novembre 2011

Un jour sans presse, le pied !

Un spot publicitaire passant à la TNB nous demandait d’imaginer un jour sans presse. Nous avons joué le jeu, fermé les yeux, laissé gamberger notre imagination et franchement un tel jour, c’est le paradis ! Sans presse, sans pression, c’est le nirvana !
Imaginez que vous vous réveillez dans un monde sans journaux dans les kiosques, sans vendeurs à la criée aux feux, sans journaux télévisés, sans le scintillement de la lucarne bavarde dans votre salon et sans grésillement de la radio. Un jour sans presse ! Sans apprendre au réveil que Assad a tué une dizaine de syriens qui manifestaient paisiblement, sans lire qu’un dément a vidé son chargeur sur un bus d’écolier aux Etats-Unis, qu’un barbu s’est fait exploser avec sa bombe dans une mosquée, faisant des centaines de victimes, sans entendre que la crise financière va débarquer dans votre pays, sans avoir dans la gueule les images d’un camp de réfugiés somaliens avec de petits enfants , ventre gonflé, côtes saillantes agonisant devant les caméras, bref un matin neuf et sans tache qui ne vous fasse pas désespérer de l’humain, un matin sans atrocité qui vous retourne l’estomac et vous fiche une envie de dégueuler toute la journée, sans l’habituelle dose de pessimisme que les nouvelles du matin vous instille dans le cœur pour le restant de la journée.
Imaginez un silence radio toute la journée. Ouf, nos oreilles enfin en paix. Plus de vociférations des animateurs des radios FM qui nous raclent les tympans, finis les hurlements de bonimenteurs semblables à des cris de gorets que l’on égorge. Plus de zigotos qui déversent leur bile sut tout et rien, plus de carnet nécro, plus de communiqués peins de menaces de la Commune…en somme une journée pépère qui vous donne le sentiment que tout va bien au Faso.
Un jour sans subir la pesante présence de la télévision, c’est un pur bonheur à siroter à petits coups! Ne plus voir un journaliste baragouiner un français approximatif, truffés de fautes de langue indigne d’un élève de cours moyen lire un court texte d’une dizaine de mots avec des erreurs et dont le commentaire est démenti par les images : il parle du Faso, on y montre des images de Kuala Lumpur. Et surtout sans ses magazines de sport où une nymphette égrène un interminable chapelet de coupes de foot organisées par d’ obscurs députés, d’illustres inconnus ou des politiciens sur le déclin dans d’ obscurs patelins avec des gueux qui courent derrière le ballons comme des oies éclopées. Affligeant ! Sans être obligé de recevoir dans son salon, la présentatrice de la météo qui ronronne, minaude, se pavane sous tous les angles, les bras se tordant dans tous les sens tels des boas tout en mâchouillant des noms de villes et de pays de façon inaudible. Berk ! Et sans le 20H avec son immuable déroulé de séminaires, de symposiums, de sessions, de réunions, de rencontres qui se suivent et se ressemblent ; ne plus voir et entendre les mêmes hommes politiques, les mêmes de la société civile, les mêmes bonnets rouges, les mêmes bonnets blancs, les mêmes nu-tête. Un jour sans voir ni entendre l’omniprésent et l’omni-communicant gouvernement de LAT…. Hum ! Ceux-là, ils doivent avoir un don d’ubiquité pour être tous les jours sur le terrain et en avoir du temps de boulot pour nous sortir de la crise. A moins qu’ils utilisent des sosies pour jouer leur rôle devant les télés. Ou ont-il un studio de cinéma avec les paysages de tout le pays où ils tournent toutes les sorties de la semaine le dimanche avec des figurants et ensuite, pendant que nous les voyons sur le terrain à la télé, ils sont à carburer dans leur ministère ! C’est bien possible car la presse est une grande manipulatrice. Et sans voir la barbichette d’un opposant, sans entendre le tollé d’un syndicat. Bref, un jour sans avaler une couleuvre! Cet inventaire à la Prévert peut se poursuivre jusqu’à la fin du monde tant il semble commis par un chef de programme un peu pervers !
Et la presse écrite ! Plus de Nouvel Obs, ni d’El Pais ni de Tam-tam officiel. Aucun article pour orienter votre lecture des évènements, pour vous gauchir le jugement, vous faire voir le monde à travers des œillères. Vous allez à l’actualité, vierge et sans a priori. Quitte à ne rien piger à cet imbroglio d’évènements ! Surtout vous ferez l’économie d’articles dont la lecture vous fait d’habitude monter la moutarde au nez et vous donne des envies de meurtre, le désir de serrer le gosier de l’oiseau à plume qui a osé débiter des vérités qui ne sont pas les vôtres, donc de purs mensonges.
Mais un jour sans presse, c’est aussi un jour de liberté pour les journalistes eux-mêmes. Chaque jour, ces pauvres scribouillards sont contraints de trouver des sujets vaille que vaille. De courir le monde pour traquer l’info, la vraie, séparer le bon tuyau de l’intox, mâcher cette info pour faciliter sa digestion par un lectorat qui veut du prêt à consommer, etc. Et puis, les pauvres ! Ils ont beau faire un métier ingrat, qui ne donne ni villa à Ouaga 2000 ni 4X4 climatisée, ils se retrouver souvent face à des gens qui les traitent de tous les noms d’oiseau, d’autres qui leur tirent dessus comme s’ils étaient des canards sauvages ou qui les foutent au gnouf. C’est méchant ! Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt, il faut signaler qu’il y a de belles âmes qui nourrissent un amour vrai de la presse, qui adorent les hommes de médias quoiqu’ils haïssent un tout petit peu ce qu’ils écrivent. Comme ce ponte d’un parti politique du Faso qui « haime » tellement les journalistes qu’à la vue de la mauvaise qualité du papier journal, il leur a suggéré d’écrire sur leur dos. Et depuis, il y a des journalistes qui se sont mis au yoga et apprennent les postures de contorsionnistes pour écrire sur leur dos ; ceci pour faire plaisir à leur ami politique et à ses amis.
Donc, un jour sans presse, vous vous surprendrez à fredonner « It’s a wonderful word » d’Elvis Presley. Ce jour serait comme le retour à l’Eden, dans le jardin du paradis avant qu’Eve ne mordît dans la pomme et découvrît à l’intérieur un petit émetteur radio dont elle se mit à écouter les émissions, ce qui amena des ennuis et la fureur du jardinier barbu qui expulsa le couple d’auditeurs radio! Un jour virginal où vous pourrez vous asseoir et écouter la douce musique du… silence.
Mais d’un autre côté, si la presse se taisait un jour, le monde ayant horreur du vide, dame rumeur prendrait vite le relais et avec elle, c’est no limit. Ouaga pourrait bien se vider un beau matin de sa population à cause d’une rumeur sur l’imminence d’une éruption volcanique ou d’un tremblement de terre. Oui, tout le monde sait que la capitale n’est pas posée sur une faille tectonique mais avec la rumeur, on ne s’embarrasse pas de ses détails-là. Même si la presse fait quelques fois de petits arrangements avec la vérité, elle n’est pas une fabrique de mensonges comme dame rumeur. Par conséquent il faut mieux la prescrire que la proscrire. Alors que le Festival international de la liberté d’expression et de la presse (Filep) évite de pubs pareilles car ça pourrait donner des idées à..à…à…( autocensuré !).
Saidou Alcény Barry

lundi 14 novembre 2011

Island d’Athol Fugard : l’imaginaire à l’assaut des barricades

Island est une pièce écrite en 1970 par trois auteurs sud-africains que sont Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona sur la vie à Robben Island, l’île prison célèbre pour avoir accueilli Mandela. Pénitencier cerné par l’océan et régenté par des geôliers sans cœur. Au cœur de cet enfer, pourtant, la liberté est possible grâce à la parole et au jeu. C’est ce paradoxe que Hassane Kouyaté met en scène avec brio. Entre humour et émotion, Island est une méditation sur la capacité de l’homme à résister par tous les moyens. Par le théâtre, particulièrement.
La pièce s’ouvre sur une scène dépouillée, un petit rectangle dans lequel sont posés un seau et des couvre-pieds figure une cellule de prison, tout alentour le sable. Là, deux hommes, John (Habib Dembélé) et Wilson (Dani Kouyaté), deux bagnards en kaki dont la vie est réduite aux pénibles corvées le jour et à l’immense solitude qu’amène la nuit. Un ordinaire merdique qui normalement désagrège les vies les plus solides au fil des jours et disperse l’humanité aux vents maritimes. Mais ces deux bagnards-là se sont souvenu que l’homme est un roseau pensant, qu’il plie sous l’adversité mais il ne rompt pas s’il recourt à son imaginaire. Ainsi le roublard John et le balourd Wilson, comme Shéhérazade prolongeant chaque soir sa vie par ses contes de mille et une nuits, tissent, par le jeu et la parole, un fil entre la prison et New Brighton, la ville où vivent leurs familles ; grâce à leur imagination, ils entendent les voix des personnes aimées et quittées, les amis, les épouses et les enfants ! Comment ? A tour de rôle, un prisonnier se saisit d’un objet, en fait un téléphone et lance un appel longue distance et simule une conversation avec la famille et les amis. Quand John, une tasse collée à l’oreille comme un téléphone appelle leur famille, l’émotion dégouline de la scène dans le public telle un trop plein de confiture débordant de son pot. A ce rituel qui implose les barreaux de la prison, se greffe la préparation de la pièce de théâtre, Antigone, que Wilson et John doivent présenter dans une semaine à la fête de la prison. Spectacle dont l’élaboration est un sujet de perpétuel désaccord entre ce tandem si mal assorti : à voir le filiforme John et l’épais John, on pense aux tandems mythiques tels Laurel et Hardy ou George et Lennie du roman de John Steinbeck, Des souris et des hommes de Steinbeck. Mais le tandem n’est pas figé car si au début Wilson paraît une montagne de muscle avec un cerveau gros comme un petit pois et que John fait le rusé, par moments, il y a une inversion de rôle et c’est Wilson qui prend le dessus et mène la danse. Et la réussite de ce spectacle tient en effet à ce perpétuel vacillement du registre, entre comique et tragique, à cette instabilité des caractères et surtout le grand jeu des comédiens. Habib Dembélé a un jeu tout en nuance et en multiples variations sur l’échelle des émotions. Il a une telle capacité de passer d’un sentiment à son extrême opposé, d’un rire grossier à un sanglot étouffé en un cillement, un jeu qui s’apparente par sa fulgurance au spectacle de la foudre : un vif éclair qui illumine tout suivi d’un grand fracas qui secoue le monde et un calme plat : une furtive inscription dans le ciel mais qui demeure longtemps dans la rétine du spectateur. Ainsi en va-t-il du jeu d’Habib Dembélé. Quant au jeu de Hassane Kouyaté, lui monte doucement en puissance avant d’éclater en gerbes à la fin. Comme goupillé comme un artificier chinois. Une alchimie qui donne une grande complicité sur scène et laisse deviner une véritable complicité dans la vie des deux comédiens. D’ailleurs Island est la preuve que la vie et le théâtre ne sont pas antinomique, ils se nourrissent l’un de l’autre et le théâtre permet de rendre mieux compte de la vie. En effet, Island est née du vécu des comédiens de la troupe de Fugard qui ont été embastillés à Robben Island et c’est une pièce qui veut témoigner de l’enfer de l’Apartheid. De sorte que cette pièce est avant tout une réflexion sur le théâtre et sur sa capacité à parler plus justement de ma vie, parce que l’art transforme l’expérience individuelle en archétype. Le théâtre d’Antigone s’inscrit en abîme dans le théâtre. En effet, quand Wilson rechigne à jouer le procès d’Antigone sous le prétexte que lui aussi a été condamné par un juge à la suite d’un procès et que son expérience est plus éloquent parce que vrai, il oublie qu’Antigone contient et excède sa propre expérience parce que ce texte parle pour tous du cornélien choix entre la Loi et le Devoir. Entre l’obéissance au diktat du groupe et à l’injonction du devoir qui incombe à l’individu. Par-delà le bien et le mal, Antigone dans ce contexte d’Island n’est plus la rébellion d’une fille contre son oncle, ici le texte de Sophocle justifie amplement que des hommes s’opposent à un Etat ségrégationniste et raciste au nom du droit de tous les hommes à la liberté et à l’égalité. Le théâtre est donc une arme miraculeuse et il est possible de le faire partout, même dans la captivité. Il suffit d’un homme ou deux pour que le prodigue théâtral surgisse. Avec des cordes pour faire une perruque, des clous pour un collier et deux demi-noix de coco pour transformer Wilson en la belle Antigone ; des fourchettes sur un cerceau, un couronne sur John et il est Créon, le roi de Thèbes. Et voilà la flamme de la liberté qui naît et dissipe les ténèbres. L’un des mérites de la mise en scène de Hassane Kouyaté est d’avoir respecté l’esprit de ce texte. De ne l’avoir pas encombré d’une scénographie lourde et d’avoir fait surgir la flamme de ce texte à partir de petits riens. Comme le bon campeur fait le feu du bivouac en frottant deux silex sur une ouate de coton! En somme, utiliser un théâtre pauvre pour dire la difficile et grandiose condition humaine. Chapeau bas !
Saïdou Alcény Barry

samedi 22 octobre 2011

La qualité artistique, une gageure pour le cinéma burkinabè.

L’Association des critiques de cinéma du Burkina (Ascric-B) a, pour la deuxième édition de la semaine de la critique, articulé sa réflexion autour du thème : « Cinéma burkinabè : la qualité artistique en question ; quels choix esthétiques et artistiques pour un renouvellement créatif ». C’est aussi l’occasion pour Projecteur de braquer le faisceau sur les deux faiblesses majeures du cinéma burkinabè à partir des années 2000, à savoir le montage et la direction d’acteurs.

Si nous limitons notre corpus aux films de la dernière décennie, c’est en raison de la multiplication des réalisateurs et des films, une effloraison due à la technologie numérique et surtout parce que c’est dans ce corpus que l’on trouve les œuvres les moins abouties au niveau du montage et de la direction d’acteur. Loin de nous, la nostalgie fleur bleue d’un âge d’or du cinéma burkinabè qui aurait existé avant ce millénaire, le lustre du passé est un leurre. Si nous avons eu deux étalons d’or avec Buud-yam de Gaston Kaboré et Tilaï d’Idrissa Ouédraogo, c’est un indice de qualité de ces films lauréats mais nullement une preuve suffisance de la vitalité de l’ensemble de notre cinéma de l’époque. On comprend que, devant le marasme du cinéma actuel dans le montage et la direction d’acteurs, les amoureux du cinéma aient tendance à regarder dans le rétroviseur et à enjoliver le passé.

L’avènement du montage à la tronçonneuse

Le montage et la photogénie (esthétique de l’image) sont les deux éléments qui constituent l’ADN du cinéma. Tous les autres éléments comme la mise en scène, la direction d’acteur se retrouvent aussi dans les autres arts. C’est dans le montage que se trouvent la composition d’ensemble, la structure narrative, le rythme et les relations entre les différents plans que sont les raccords. Robert Bresson disait d’ailleurs : « c’est qui est beau au cinéma, ce sont les raccords, c’est par les joints que pénètre la poésie ». Cela a fait dire que le cinéma est véritablement né avec le montage, c’est pourquoi La Naissance d’une nation de D. W. Griffith qui est le premier film à bénéficier d’une grammaire du montage, est considéré comme le premier véritable film. Dans cette logique, on peut dire que le cinéma burkinabè a renoncé à l’art à partir des années 2000 car les œuvres de cette décennie ont renoncé à penser le montage comme un aspect fondamental du film. Beaucoup d’œuvres sont montées si maladroitement qu’on les dirait faites dans un état second. Ces œuvres sont décousues et les raccords très approximatifs. C’est le montage, pourtant qui donne au film sa respiration, son impression de réalité et même sa poétique. Cependant, il est apparu une malheureuse tendance qui consiste à raccourcir des séries télé pour en faire des longs métrages au mépris de toutes les règles du montage, et le grave est que ce procédé est une insulte aux spectateurs. En 2001, Boubacar Diallo a inauguré cette mode consistant à attaquer une série télé à la tronçonneuse pour en faire un long métrage avec la bien nommée Série noire à Koudbi. Et depuis, la série noire du cinéma se poursuit avec des œuvres sauvagement mutilées. Au montage défaillant de ce cinéma, il faut ajouter la mauvaise prestation des comédiens.

Le cinéma Burkinabè a mal à sa direction d’acteurs.

Longtemps, les réalisateurs avaient majoritairement recours à des comédiens amateurs constitués d’amis et de parents. A partir des années 2000, avec l’entrée de comédiens professionnels ou semi-professionnels de théâtre sur les plateaux de tournage, on pensait que notre cinéma allait gagner un supplément de qualité. Las, les comédiens de théâtre y ont amené le jeu théâtral en déphasage avec le jeu exigé au cinéma, un jeu fait de retenue et d’économie. Cela a dénaturé le cinéma au lieu de le faire gagner en réalisme. Et tous les films de fiction actuels n’échappent pas à cette maladie de la théâtralisation. A contrario du théâtre, le jeu au cinéma participe de la mimésis, il imite le naturel. Faut-il jeter la pierre aux comédiens de théâtre? Non ! Un comédien, tout comme la caméra, est un instrument entre les mains du réalisateur, celui-ci doit savoir en user pour espérer en extraire toutes les potentialités. Ce problème n’est pas celui du comédien mais ressortit de la direction d’acteur. Tous les films et téléfilms Burkinabè de cette décennie ont mal à leur jeu d’acteurs, exception faite de la série Les éléphants se battent d’Abdoulaye Dao. Même des films récents de réalisateurs confirmés ont cette faiblesse. Par exemple, En attendant le vote…de Missa Hébié a bénéficié de la présence de l’un des meilleurs comédiens africain, Habib Dembélé, mais sa prestation fut une redite sans génie de son rôle dans Guimba de Cheick Omar Cissoko. Certainement que le réalisateur s’en est contenté. Même le dernier film de Pierre Yaméogo, Ba-yiri est plombé par la prestation mitigée des acteurs qui traversent le film tels des somnambules. Un acteur, même auréolé d’un grand prestige est pareil à un instrument de musique, le réalisateur doit savoir en jouer, pincer la bonne corde pour libérer la note appropriée. Si le réalisateur est mauvais musicien, même d’un stradivarius, il ne pourrait en tirer qu’un affreux crissement. Il faut donc que nos réalisateurs se forment à la direction d’acteurs ; à défaut il faudra qu’ils se fassent accompagner de metteurs en scène.
Quand un cinéma a mal à l’interprétation et au montage, il s’avance sur deux béquilles. Faut-il pour autant déduire que notre cinéma restera paraplégique ad vitam aeternam ? Pas du tout. Nous pensons que notre cinéma est en crise parce que la société burkinabè tout entière l’est. Souvent le renouveau artistique sort des périodes de crise. Nous sommes convaincu que l'accord heureux entre notre cinéma et la société se produira parce que de nouvelles oeuvres sont en train de naître et de jeunes créateurs de talents sont en train de poindre.

Saïdou Alcény Barry

lundi 12 septembre 2011

Jacob’s Cross : l’Afrique du Sud débarque sur nos petits écrans.

Longtemps les télévisions du Burkina ont été infestées par les insipides telenovelas et les séries africaines faites de bric-à-brac. Avec la programmation de la série Jacob’s cross sur la Télévision nationale du Burkina, l’Afrique du Sud s’invite dans nos foyers. Tout laisse croire que cette série sera culte.



Jacob’s cross se passe dans l’ Afrique du Sud post-apartheid. Jacob Makhubu(Hlomla Dandala) un jeune noir brillant et entreprenant, fils d’une célèbre chanteuse et d’un héros de la lutte anti-apartheid, rêve de bâtir un empire financier avec des capitaux africains. Sa trajectoire va croiser celle d’un richissime homme d’affaire nigérian, Chef Abayomi, propriétaire d’un holding qui possède des puits de pétrole, une chaîne hôtelière et de nombreuses autres affaires, celui-ci veut proposer une énergie propre, le nucléaire, au gouvernement sud-africain. Le magnat nigérian lui apprend qu’il est son fils. A la mort de celui-ci, devenu légataire de l’empire financier et de la famille, le jeune paterfamilias doit faire face aux dissensions familiales qui risquent de couler le holding familial. Le pétrole aiguille les appétits et transforme la famille en une mer pleine de requins affamés de sang. Son demi-frère Bola (Fabian Lojede) est prêt à tout, même à l’assassinat, pour éjecter l’intrus et récupérer un empire qu’il estime lui revenir de droit. Et les requins de la finance internationale aussi voudraient bien déchiqueter le blanc-bec. Mais Jacob peut compter sur son fidèle ami blanc (clin d’œil à la nation arc-en-ciel) Prospero (Anthony Bishop) et sa demi-sœur (Moky Makura).
Jacob’s cross expérimente le genre « way of live » qui permet de fusionner plusieurs genres. C’est une macédoine qui associe les affaires de cœur, de palpitantes aventures et le bling-bling de l’univers de la finance internationale. En outre, le scénario bien ficelé, truffé de rebondissements, et les dialogues sont bien balancés et mâtiné de réflexions fines empruntant à Shakespeare ou à la sagesse africaine. En associant l’amour, la finance et le drame familial autour d’une galerie de personnages enchâssés comme des poupées gigognes, on a un cocktail qui permet d’infinies variations.
Avec la qualité des images et du montage, cette série tranche avec ce qui se fait dans la sous-région. Le recours au très gros plan, façon clip publicitaire et le montage speed en font un joyau télévisuel. On est loin de ces sitcoms où les images se traînent comme des limaces. Et le choix du screen split, c’est-à-dire l’écran présentant concomitamment deux ou plusieurs actions est plus intéressant que le montage alterné. Cette série profite pleinement des avantages du numérique. Avec un clic de souris, on peut lustrer un visage, mettre plus de lumière dans une scène ou insérer une image. La beauté des images est ici, époustouflante. Le téléspectateur se sent happé par la télé, comme s’il était face à un film en 3D. Par ailleurs, cette série va créer l’addiction du téléspectateur. Des flash-back reconstituent les grands axes des épisodes passés en début d’épisode pour faciliter le suivi de la série par les retardataires et le gimmick (la croix d’Agadez dans le cerceau de feu) du générique sont des morceaux de bravoure qui marqueront durablement les téléspectateurs.
Et le dernier must de Jacob’s cross : vous ne verrez pas les townships vérolés de misère et ravagés par le sida. Ici tout est luxe, beauté et volupté. C’est un monde paradisiaque avec des éphèbes, des sirènes et de belles voitures. Univers de champagne et de caviar ! Mais contrairement aux séries étrangères, ce sont des Africains qui habitent ce Paradis. Avec cette série, le rêve a l’avantage d’être de la couleur café de notre peau !

jeudi 8 septembre 2011

Le vieil homme à la viole

Karim Ouédraogo est un mal voyant de Tanghin. Guidé par un garçonnet, il fait la tournée des espaces achalandés pour jouer de sa viole et chanter. C’est un obscur musicien qui, jamais n’aura de cassette ni de clip. Très peu connu, hormis de ceux, peu nombreux, qui ont eu le bonheur de croiser sa trajectoire. J’ai fait partie de ces rares élus, une nuit à Gourcy.

Cette nuit-là nous étions dans une auberge de Gourcy. La moiteur de l’air nous avait poussés hors des chambres transformées en étuve par la chaleur. Assis sur la terrasse, nous attendions que le mitan de la nuit nous amène un peu de fraîcheur et de sommeil. Un jeu de cartes miraculeusement apparu nous décida de jouer à la belote. Nous étions tout absorbés par la valse des cartes et la ronde des équipes autour de la table quand, soudain les aboiements du chien de la gérante et l’envol des pigeons dans un froufrou d’ailes signalèrent une présence. Un vieil homme se tenait sur le seuil, un bâton à la main, la viole en bandoulière et le visage scrutant le ciel étoilé. Un garçon d’une dizaine d’années se tenait à ses côtés. Nous pensions que le vieil homme avait perdu son chemin et que nos voix dans la nuit l’avaient guidé jusqu’à nous. Mais au lieu de demander sa route, il s’installa tranquillement dans un coin, à quelques mètres, se saisit de sa viole et se mit à en jouer. C’était une viole faite d’une casserole et d’un morceau de bois qui servait de manche et sur lequel étaient tendus des crins de cheval. L’archet était aussi fait de crins de cheval. Il le fit courir sur le manche et des gémissements de la viole montèrent dans les airs. Il chantait d’une voix chevrotante. Rapidement nous nous concertâmes et quelques piécettes d’argent furent rapidement réunies et remises au vieil homme. Nous pensions ainsi mettre fin à cette irruption et reprendre notre partie de cartes. Les pièces disparurent dans une poche du boubou du musicien et l’archet se mis à courir plus lestement sur le manche et le chant grimpa plus haut. Nous comprîmes que la partie de cartes était perdue et que le vieil musicien avait décidé d’installer ses quartiers sur nos terres. Il s’appelle Karim Ouédraogo de Tanghin. C’est un mal voyant. De ses yeux, « la divine étincelle est partie». Le garçonnet lui prête l’acuité de son regard en le guidant depuis qu’il est enfermé dans la nuit éternelle. Il pourrait tendre la sébile comme beaucoup d’aveugles pour bénéficier de la générosité des bonnes âmes. Mais conscient que « la pitié n’honore ni celui qui l’éprouve ni celui qui la suscite », il préfère jouer de la musique et mériter ce qu’on lui donne. De la musique contre du pain, un troc honnête !

Et cette nuit il joua de sa viole avec tant de maestria, faisant gémir l’instrument en chantant de sa voix éraillée des histoires tristes où il est question de mort, d’amours impossibles ou de batailles perdues. La musique devenait guillerette et sa main allegro quand il parlait de choses heureuses. Et pianissimo quand il se mettait à parler des choses de la vie et à dérouler des calembours ou des aphorismes tirés de sa longue vie. Quelques phrases me sont restées en mémoire telles: Celui qui dit que le coton ne pèse pas ne l’a pas porté pendant longtemps sur une longue distance ; la part du crapaud ne se trouve pas sur un arbre ; On ne peut empêcher les calomnies sur sa personne mais on doit agir de sorte qu’elles ne contiennent la plus petite part de vérité. Etre fidèle à soi reste le premier devoir…
Quand quelqu’un lui dit qu’il y avait beaucoup enseignants parmi nous, il fit un calembour en mooré sur l’enseignant « karamsamba » et le pouilleux « karansooba » pour dire que l’enseignent n’est pas un miséreux. C’était une belle trouvaille stylistique mais assez éloignée de la vérité. Il ignorait sûrement, le vieil homme, que c’est la chaleur qui lui fit trouver ces gens-là dehors et qu’à quelques mètres de là, se trouvait un motel avec des plumards moelleux et air conditionné qui versent un sommeil divin et que tous ces couche-tard d’enseignants auraient bien aimé être là-bas si la cherté de la nuitée ne leur donnait des insomnies. Mais là-bas, ils n’auraient pas eu droit à un concert nocturne et un cours du soir de sagesse africaine du vieil Homère de Tanghin !

Tard dans la nuit, dans la lumière d’albâtre de la lune, le vent frais tant espéré s’est mis à souffler. Nous aurions pu rejoindre nos chambres mais nous sommes restés à écouter les airs du vieil aède et ses sentences. Quand ils se sont retirés, le garçonnet devant et lui suivant le petit guide, nous sommes restés longtemps sur la terrasse, silencieux et heureux. Le vent nous ramenait l’écho de la voix chevrotante qui se diluait petit à petit dans la nuit.

jeudi 11 août 2011

Pourquoi Les Borgia sont-ils si actuels ?

Les Borgia ! Comment une famille de la Renaissance italienne reste-t-elle aussi présente dans les arts et les lettres ? Motif de beaucoup de romans, sujet d’opéra, de cinéma, de télévision et même d’essais politiques, les excès et les crimes des Borgia suscitent toujours notre intérêt. Pourquoi ?
Il est sidérant de constater la permanence des Borgia dans les arts. Il s’agit du Pape Alexandre VI, son fils César Borgia et sa fille Lucrèce Borgia. Pourquoi cette famille italienne du 15 siècle, attire les artistes depuis si longtemps ? En 1833 déjà, Victor Hugo écrit un drame en 3 actes, Lucrèce Borgia. Peu après, Alexandre Dumas qui fouille dans les combles de l’histoire pour bâtir ces feuilletons consacre un chapitre de ses Crimes célèbres au Borgia. Et la poésie de se jeter dans les bauges borgiasques avec, en 1866, Verlaine qui intitule un des Poèmes saturniens "César Borgia". Donizetti aussi s’inspire du drame d’Hugo et crée un opéra éponyme! Au 20ème et 21ème siècles, c’est le cinéma et la télévision qui s’emparent durablement de la légende des Borgia. Une bonne dizaine de films ont été réalisés de 1909 à 2006, année où deux long-métrages ont été présentés sur les écrans. À la télévision, deux fictions sont produites dans la décennie 70-80. La première est française, Les Borgia ou le sang doré, la seconde est une production anglo-italienne, The Borgias.
Pour comprendre cet attrait des artistes pour les Borgia, faisons un peu d’histoire. En 1492, Rodrigo Borgia, neveu du pape défunt Calixte Borgia, devient pape à 36 ans sous le nom d’Alexandre VI. De pape, il n’a que la tiare, et ne sert qu’un seul dieu : lui-même. Assoiffé d’or et de toutes les richesses, il décida d’hériter de ses cardinaux et aida souvent le destin avec un poignard ou un poison pour faire passer de vie à trépas ceux qui trainaient un peu à rendre leur âme au Seigneur. Dirigeant la papauté avec un grand népotisme, il fit venir ses cousins aux affaires, leur distribua terres et domaines. Mais c’est son fils César qui bénéficia durablement du piston paternel ou disons de l’ascenseur tant son ascension fut fulgurante : à sept ans il est protonotaire de la Papauté, à 17 ans évêque de Pamplona et archevêque de Valencia, et à 18 ans Cardinal ! Après il le fit ôter la soutane pour l’épée et l’aida à régner sur le pays sous le nom de duc de la Romagne.
Par ailleurs, Il faut souligner que le pape et son fils sont de grands sybarites. En effet, le pape Alexandre VI organise urbi et orbi ou pour dire juste urbi et orgies des soirées de débauche à côté desquelles les soirées Bunga Bunga de Berlusconi sont des distractions de saints ; une célèbre orgie restée dans les annales fut celle avec cinquante courtisanes. Parmi les invités se trouvait son fils César ! Il faut dire que le père et le fils qui ne craignaient pas le Saint d’Esprit, s’aidaient de la poudre de cantharide pour se donner du tonus dans les reins et aussi pour se débarrasser de leurs ennemis : une pincée pour retrouver la vigueur d’un taureau dans le plumard, deux à trois pincées de plus dans le vin d’un convive pour l’envoyer ad patres. César prit tellement goût à ces petits meurtres entre amis qu’il les étendit à son frère Juan, assassiné et jetée dans le Tibre par ses sicaires et à son beau-frère Alphonse d’Aragon, l’époux de Lucrèce. Devenu maître dans les intrigues de palais et l’assassinat des opposants, il attira à sa cour les élites romaines. Leonard de Vinci, le génial inventeur et ingénieur italien dessina arbalètes, canons, chars, catapultes et béliers pour sa sanglante armée. Machiavel séduit par César écrivit le Prince, le livre de chevet de tous les hommes politiques contemporains, en s’inspirant de son mode de gestion du pouvoir. On voit que la concussion entre la tyrannie et l’intelligentsia ne date pas d’aujourd’hui.
Quid de Lucrèce Borgia ? L’histoire retient que c’est une très belle femme mais une incestueuse. Avec le père et avec le frère. En réalité, il fut un objet entre les mains de son père. Voulant la placer dans une famille de la noblesse, il obligea son premier mari à dire publiquement que leur mariage ne fut pas consommé. Ce qui fut fait mais la belle dame était déjà enceinte. Ce qui n’entrava d’ailleurs pas le second mariage, et une bulle papale reconnu l’enfant comme fils de César et ensuite du pape lui-même. Mais rendons justice à l’injuste Alexandre et à ses enfants. Il n’est pas le père incestueux que nous vend la légende. Mais, en vrai grippe- sou, il ne voulait pas que l’héritage de la famille échût à un enfant bâtard. D’où la falsification du bulletin de naissance. A la mort d’Alexandre VI à 72 ans, son fils César fut embastillé et sa fille Lucrèce s’emmura d’elle-même dans un cloître. Ici, finit l’histoire et là, commence la légende noire des Borgia qui continue à inspirer écrivains et cinéastes.
Quelle morale tirer de cette histoire ? Pourquoi notre époque s’intéresse-t-elle plus au Borgia qu’aux Atrides qui ont fait le sel des tragédies grecques. Certainement parce que les Borgia existent à toutes les époques. Nietzsche ne parle-t-il pas de l’éternel retour pour expliquer que tout fait se répète indéfiniment? Et le Bouddhisme n’évoque-t-il pas la réitération des phénomènes à travers la réincarnation du Karma ? Peut-on dire que sur tous les continents, à chaque époque, il existe des Borgia Noirs, Blancs, Jaunes et Rouges ? Les Borgia seraient donc un prétexte pour les artistes de parler des monstres qu’enfante leur époque. Des puissants qui vivent dans le lucre, le stupre et le crime.
Saïdou Alcény Barry

mardi 9 août 2011

Le journalisme entre réalité et fiction


Le journaliste partage avec le romancier le recours à l’écriture, mais du romancier il se veut la face opposée. Le journaliste rend le monde tel qu’il est, le romancier le monde tel qu’il le rêve. Là où le romancier représente avec les artifices de l’art, le journaliste présente avec objectivité. Toutefois, à lire le discours de la presse écrite sur la tragédie zimbabwéenne et l’image qu’elle nous donne de Mugabe, on se demande si elle n’est pas devenue une fabrique de mythes et le journaliste, le nouveau romancier de notre époque.

Des journalistes qui se jouent de la réalité et fabulent en s’arrangeant avec les faits, on en trouve partout. Il y a des articles bidonnés, de fausses interviews, des témoignages fabriqués et des reportages rédigés pendant le trajet- à l’aller- et présentés comme une enquête de terrain. On se rappelle la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre D’Arvor ou les enquêtes fabriquées dans une chambre d’hôtel d’un journaliste du Washington Post, qui avait obtenu le Pulitzer! Mais ces manquements sont le fait de quelques brebis galeuses et sont condamnés par la profession. Parce que le journalisme se veut un rendu objectif du monde et une explicitation de sa complexité au lecteur. D’où un discours épuré qui évite l’équivoque et un style qui, parfois, fait la concurrence au procès-verbal pour rendre fidèlement compte de l’événement au quotidien.

Mais, en ce qui concerne Mugabe, cette précaution est oubliée. Le langage des journalistes devient imagé, ils usent de métaphores en abondance. En manchette des journaux, les titres : le naufrageur, il coule le navire Zimbabwe, le tyran, le Roi Mugabe, le dinosaure…Aucune image dépréciative n’est de trop dans la rhétorique journalistique pour stigmatiser Robert Mugabe. Et l’unanimité se fait autour de cette entreprise de démolition. La presse du Sud rejoint celle du Nord dans l’arène et c’est à qui enfoncera le plus de banderilles dans les flancs de cet homme transformé en taureau de corrida. Jamais un homme n’a autant occupé les colonnes des journaux sans qu’une seule fois on ne lui donne la parole. On l’accable. Mais personne ne lui tend le micro pour qu’il s’explique. Et quelles images de l’homme nous sert-on ? Point de photos où Mugabe sourit, jamais l’objectif ne fixe la main du papy effleurant la joue d’un enfant lors des meetings ni la poignée de main franche donnée à un citoyen lambda, ni la tape amicale dans le dos d’un camarade. Cela est humain, trop humain pour Mugabe. Seuls les gros plans d’un rictus, d’un regard exorbité, d’une moustache que l’on compare insidieusement à celle d’Hitler occupent les pages des journaux. Et on fabrique un vieil homme hurlant, vociférant, l’écume au coin de la lèvre, un fou furieux très dangereux. Voici Mugabe, voici le monstre ! De Mugabe, on véhicule l’image d’un ancien combattant qui a perdu la raison et dont l’entêtement a précipité le pays dans la misère noire, les populations sur les routes de l’exil et a érigé la violence politique en mode de gestion de l’Etat.

La caricature efface à dessein la complexité du problème zimbabwéen. L’analyse de l’actualité du Zimbabwe ignore l’histoire du pays ; on s’attache au détail qui détonne en oubliant la structure qui donne un sens à ce détail. Le journaliste ne tient pas compte de l’histoire du Zimbabwe. On oublie que Mugabe a mis fin à une injustice séculaire, en réformant l’accès à la terre et en la donnant au plus grand nombre. Comme Antigone, il est condamné pour une poignée de terre ! On oublie que Mugabe est un des rares dirigeants politiques de la planète qui peut se prévaloir de sept diplômes universitaires ! Il n’est pas la vieille brute dont le seul mérite est d’avoir porté une arme pendant la guerre d’indépendance. C’est un intellectuel de haut vol comme on en rencontre rarement dans les arcanes de la politique. On oublie aussi qu’il avait fait de son pays un pays prospère, où l’espérance de vie était de 64 ans et le taux d’alphabétisation de 90%. Que la déliquescence du pays est aussi imputable au Royaume-Uni, qui a étranglé son économie en guise de rétorsion contre la réforme agraire. Il ne s’agit pas, pour le journaliste, d’exonérer Mugabe dans la tragédie zimbabwéenne. Avoir été un combattant de l’indépendance ne donne pas un droit imprescriptible à l’adulation. Autant la redistribution des terres ne devrait pas susciter la détestation. Si le Zimbabwe coule tel le Titanic, c'est la faute au capitaine Mugabe. Et à l’iceberg britannique, qui éventra le navire. Après le codéveloppement, très en vogue, il faut aussi parler de la coresponsabilité.

Par ailleurs, on ne souligne pas assez un mérite de Mugabe : il est un des rares présidents en exercice sur le continent à perdre des élections qu’il a lui-même organisées ! Quel piètre dictateur !

On ne peut s’empêcher de voir dans la tragédie zimbabwéenne se profiler celle d’un homme : Mugabe. Rien n’est plus tragique que de voir, au crépuscule de sa vie, toutes ses réalisations se déliter, le monde que l’on a bâti s’effondrer, ce que l’on croyait de pierre devenir fiable et poudreux sous ses doigts. Tout cela, pour avoir entrepris une réforme juste. Mugabe, c’est le Roi Lear parcourant un empire devenu fantôme ! Ce fut un homme debout, qui est aujourd’hui à bout, mais point un homme de boue, contrairement à ce que suggère la presse. Pourquoi la presse est tombée dans ce travers qui consiste à réécrire l’histoire et à perdre toute objectivité ?

Jean Lacouture a inventé le terme de «l’histoire immédiate» pour le journalisme, par opposition à l’Histoire, qui, elle, s’occupe de grandes tranches de temps. Mais dans la crise au Zimbabwe, l’histoire immédiate attaque l’Histoire (avec un grand H) à la hache, elle l’émiette et la disperse aux quatre vents pour s’imposer comme unique discours sur ce pays. Comme si l’aiguille des secondes arrachait du cadran de l’horloge les aiguilles des heures et des minutes et prétendait seule donner une idée exacte du temps !

Par conséquent, on éprouve beaucoup de scepticisme face à l’objectivité du journaliste. Car il est impossible, comme le suggérait Tchekhov, «d’être aussi froid qu’un glaçon avant d’écrire» . C’est pourquoi Norman Mailer a conceptualisé un «journalisme subjectif», qui reconnaît que l’histoire individuelle du journaliste interfère dans sa perception et dans son rendu du monde. Dans le cas Mugabe, on n’est plus dans cette subjectivité inévitable, on est dans la «mythistoire» voulue d’Etiemble, c’est-à-dire que l’histoire devient le matériau de la fiction. Le Zimbabwe existe, les personnages sont de chair et de sang, mais le reste ressortit à la fabulation ! Le journaliste ne subit plus l’événement, il le crée ou l’arrange à sa convenance. En plus, on est dans l’unanimisme : toutes les presses ont un discours identique sur la crise au Zimbabwe. Cela remet en cause la pluralité des opinions et si on pousse la logique un peu loin, la liberté d’expression même est mise en péril par la…presse elle-même. C’est effrayant de penser que la presse mondiale est borgne et regarde la planète avec une lunette unique. On disait que le monde est devenu un village planétaire, maintenant, il est devenu une voix planétaire. Unique. Et cette voix vient du Nord. Les presses du Sud n’en sont que les échos répercutés. Les journaux du Sud n’avaient pourtant pas suivi la campagne de diabolisation de Saddam Hussein visant à légitimer l’intervention américaine en Irak.

Maintenant, les presses d’Afrique, en optant de monter au créneau contre Mugabe, suivant en cela leurs confrères du Nord au lieu de proposer une lecture moins manipulatrice de la crise zimbabwéenne, risquent de rater le dernier barreau de l’échelle et de s’étaler dans les eaux glauques de la gabegie, pardon de la (Mu)gabegie.

Quoi que l’on dise, il semble que nous sommes entrés dans une époque postréelle, où la presse est capable de nous imposer un monde virtuel comme réel. Le journaliste, qui a longtemps souffert d’être perçu comme un écrivain raté, tient sa revanche. Maintenant, il est l’égal du romancier, un créateur de monde, et, en plus, sa fiction est perçue comme vraie. Au cri de Nietzsche : «Dieu est mort», pourrait répondre celui du journaliste : «Le réel est mort !»

jeudi 4 août 2011

Pourquoi le journal paraît-il chaque jour ?

Je l’ai lu dans mon dico de poche : on appelle quotidien un journal qui paraît chaque jour comment le soleil se lève chaque matin mais l’astre, lui n’est pas toujours visible, lorsque le ciel est nuageux. Mais le quotidien, c’est sa vocation d’être dans les kiosques chaque jour et de parler de l’actualité du jour. Pourtant il est des jours où les journalistes n’ont rien à se mettre entre les dents ; aucun événement qui mérite d’être porté à la connaissance du lecteur. Calme plat. Aucune affaire. Aucun accident. Aucun chien écrasé. En somme, comme dit l'Ecclésiaste, rien de nouveau sous le soleil. Objectivement, il n’y a rien qui puisse être rapporté, analysé ou commenté. En somme, aucune raison de faire paraître un journal. L’actualité est vide comme un ciel bleu d’avril! Et pourtant un quotidien paraît chaque jour. Logiquement, il devrait avoir des matins où le lecteur ne devrait pas trouvé son journal. Ou il devrait trouver un journal blanc, vide, vierge. Il l’achèterait et le remplirait des petits événements de sa petite vie. Ce sera un journal perso. Alors dites-moi pourquoi le quotidien paraît chaque jour ? Hem, bizarre !

dimanche 31 juillet 2011

Desespearly seeking for black ladies.

Femme noire, je te cherche en vain. Naturellement belle et la peau d’un beau noir brillant, il n’en existe plus. Ou si peu. De plus en plus, les Africaines sont trop artificielles. Elles doivent leur regard soyeux à des faux cils, l’abondante chevelure à des fibres de Chine, leur teint doré à la chimie des crèmes décapantes. Au secours, la femme noire que célébrait le poète L.S.Senghor est devenue une espèce en voie de disparition !

mardi 26 juillet 2011

Le silence des autres : une plongée dans le monde des bonniches

Lauréate du meilleur scénario de Ciné droit libre de 2010, Assita Ouarma a, avec l’aide du Festival, « réalisé » un court docu « Le silence des autres » sur l’univers des petites bonnes de Ouagadougou. La caméra les suit depuis le village San dans le Mouhoun jusqu’à la capitale et présente des aspects méconnus de la vie de ces esclaves de temps modernes. Edifiant et révoltant.

Le silence des autres
s’ouvre sur les images d’un village du bout du monde. Des cases de banco aux murs croulants, quelques animaux faméliques, et des hommes et femmes tenaillés par le manque d’eau, de nourriture, de tout. Ici le terre est ingrate. L’eau rare, il faut aller la chercher dans les profondeurs de la terre, à plus de 100 mètres. Les parents, la période de soudure venue, sont contraints d’envoyer leurs fillettes. Se séparer des enfants est un arrachement qui ne se fait pas sans douleur. La caméra s’attarde sur les visages des mères, on y lit l’angoisse, l’abattement. C’est la misère qui les oblige à cette difficile résolution. Et elles s’en remettent au Bon Dieu pour retrouver leurs enfants dans quelques mois, saines et sauves. Elles invoquent les divinités et remettent des gris-gris protecteurs aux aventurières.
Dans les yeux de ces petites filles qui partent, brillent des rêves d’argent, de pagnes et de victuailles dont on dit que la ville est prodigue. Elles sont attirées par les lumières de la ville, ces petites phalènes mais beaucoup se brûleront les ailes à la flamme de Ouagadougou. Nombre d'entre-elles ne reviendront plus au village. La Capitale les aura happées et transformées : elles ne voudront plus vivre dans les cases sombres du village, sans eau courante ni télévision ! C’est avec tristesse que l’on suit le témoignage d’une mère sans nouvelle de sa fille depuis 19 ans. Le lien avec le village s’est rompu. Ailleurs, une fillette fraîchement débarquée du village s’émerveille sur le confort de la ville : « Ici, il y a l’eau, l’électricité et le goudron » dit-elle, des étoiles dans les yeux. Rapidement les mèches de couleurs envahissent les têtes, les talons-aiguilles enserrent les pieds et les maquillages empourprent les faces et peu à peu la mue s’opère avec au bout, le lien avec le village coupé comme un pont-levis que l’on lève !
L’arrivée des filles à Ouagadougou est un autre grand moment du film. La cour du tuteur est noire de monde, les employeuses averties de l’arrivée de la cargaison sont au rendez-vous. Comme des oiseaux de proie prêts à fondre sur une portée d’oisillons. On discute le salaire, on soupèse la fillette du regard, on préjuge de sa force de travail, on conclut le marché et on enlève la fillette. C’est comme au marché de bétail. Rarement une bonniche trouve une famille accueillante, très souvent elle débarque en enfer. Brimades, bastons, privations. Beaucoup d’employeurs sont violents, quelques-uns violeurs, et tous leur volent leur enfance. De respectables pères de famille se commettent dans des amours ancillaires, traumatisant à vie les fillettes. Rien ne filtrera de ces souffrances, les sanglots de la fillette ne franchiront pas les quatre murs de son réduit. On étouffera les scandales dans des bulles de silence. Bulles de silence que ce docu entend crever.
Ce documentaire dégorge d’émotion. Les petites bonnes s’exposent, parlent, rient. On les découvre sincères, fragiles, innocentes. Elles ont des rêves d’enfants, les mêmes que nos enfants. Ce que les employeurs oublient souvent ! « C’est le même sang rouge qui coule dans leur veine », nous rappelle une jeune assistante sociale ulcérée par les traitements inhumains que certaines mères d’enfants font subir à ses fillettes.
Le seul reproche que l’on peut faire à ce film, c’est de donner trop de place à l’association Terre des Hommes, ce qui l’apparente parfois à un publi-reportage pour ONG.
Le silence des autres a le mérite d’aborder un sujet qui concerne tout le monde, chaque travailleur ayant une bonne à domicile. Confinée entre la cuisine et l’arrière-cour, elle est une ombre dans la maison. Ce film leur donne une existence et font entendre leurs paroles.

vendredi 22 juillet 2011

Le tunnel d’Ernesto Sabato : Le livre capital

Ernesto Sabato, écrivain argentin, s’est éteint en cette année 2011 à l’âge de 99 ans. Auteur d’une trilogie romanesque qui tresse l’intime et la métaphysique, ses œuvres sont une méditation existentialiste sur l’homme en prise avec les forces du dedans et celles du monde. De Sabato, il faut cependant retenir le Tunnel paru en 1948. C’est une œuvre incontournable. Un des livres le plus profonds sur la mécanique de la jalousie et ses ravages.
Il est des livres dont la lecture marque à vie. Est de ceux-ci le Tunnel de Sabato. Non parce que Alain Mabanckou le cite comme son roman préféré, ce qui est fort contestable car la prose du Congolais est si fade, son univers si mièvre que l’on peut douter qu’il fut jamais en contact avec ce chef-d’œuvre. L’eût-il été que sa plume en aurait été contaminée et sa prose rendue meilleure !
Le Tunnel a pour narrateur le peintre Juan Pablo Castel. De sa prison, le peintre tourmenté, relate sa rencontre avec une jeune femme, Maria, pendant un vernissage. Maria s’intéresse à une toile du peintre qui n’a accroché ni l’œil du public ni l’intérêt des critiques. Après elle disparait ! Le Peintre n’a de cesse à penser à cette mystérieuse femme qui a disparu. Il est convaincu qu’elle est le seul être à l’avoir compris. Il l’a retrouvera et il en naîtra une belle histoire d’amour. Mais découvrant que Maria est mariée, ce qu’elle ne lui avait pas dit, il va la soupçonner de lui mentir sur l’amour qu’elle lui porte, de le tromper avec d’autres hommes. Le drame de Pablo Castel n’est pas de manquer d’intelligence mais d’en avoir trop, de croire que tout peut être expliqué, analysé. Par la déduction, le peintre misogyne et misanthrope remonte à la cause de chaque acte. Il s’installe dans le doute méthodique permanent, fait l’inventaire des faits, gestes et mots de Maria pour y chercher l’indice de l’infidélité, la preuve qu’elle est une femme de petite vertu. C’est à une véritable phénoménologie des gestes que Juan Pablo Castel se livre. Convaincu que Maria est une catin, le peintre la tuera de plusieurs coups de couteau.
Ce résumé ne rend pas justice au roman de Sabato. Celui-ci est si riche en nuances, en petits détails qu’il est impossible d’en faire un bon résumé. On ne peut rendre compte des saveurs de toutes les couches d’un millefeuille, on mord simplement dans le gâteau pour s’en délecter. Aussi le lecteur doit-il aller au Tunnel au lieu de se contenter d’un résumé. C’est un roman mince, loin des chefs-d’œuvre ventrus et obèses tels Le Tambour de Günter Grass, la Montagne magique de thomas Mann et Belle du Seigneur d’Albert Cohen qui sont des Everest, tant leur lecture s’apparente à l’escalade du plus haut toit du monde. Les 137 pages du Tunnel se parcourent en une demi-journée. Mais il vous en demeurera un souvenir impérissable parce que Sabato est un styliste hors-pair qui déroule une écriture d’une grande économie, sans fioriture, sèche mais d’une force terrible. « La profondeur se trouve à la surface des choses » disait Nabokov. En effet sous ses dehors neutres, l’écriture de Sabato est une machine à distiller l’émotion à dose homéopathique. Mais le cumul de petites doses au fil des pages vous plonge dans une vague d’émotions, entre blues et tension. D’ailleurs, l’apostrophe permanente du lecteur par le narrateur fait penser au romancier de Lolita. Le Tunnel, c’est quatre écrivains en un. C’est l’écriture tout en économie d’Albert Camus, la finesse de l’analyse psychologique de Fedor Dostoïevski, le récit en creux qui dialogue avec le lecteur de Vladimir Nabokov et la prose métaphysique de Luis Borges, l’aveugle argentin à la prose lumineuse !
Si vous deviez lire un seul livre pendant ces vacances, alors que ce soit celui-là ! Engagez-vous dans la bouche obscure du Tunnel, vous descendrez dans les noires profondeurs de l’âme humaine, dans le labyrinthe de la jalousie mais n’ayez crainte de l’ombre. L’écriture de Sabato secrète des mots qui tels des lucioles fluorescentes éclairent son Tunnel et en font une caverne ajourée que le lecteur parcourra sans effort. Mais il en sortira, transformé car Tel qu’en lui-même, l’art de Sabato le change, lui révélant l’incommunicabilité des êtres : tout homme est dans un tunnel de verre, ni l’art, ni l’amour ne sont ne rompent la solitude humaine. C’est l’enseignement du Tunnel !

Saïdou Alceny Barry

mercredi 20 juillet 2011

Le métier de critique ou la profession de mauvaise foi

Comment peut-on faire profession de critique ? Éreinter ou louer un film ou une pièce de théâtre sans être cinéaste ni homme de théâtre et n’en éprouver aucune gêne. Ne faut-il pas une bonne dose de culot et beaucoup de mauvaise foi?

Il nous est incompréhensible qu’un journaliste, honnête et bien dans sa tête, se fasse payer pour écrire des méchancetés ou pour vanter un film, une pièce de théâtre, un livre ou une sculpture sans être ni cinéaste, ni metteur en scène, ni peintre ni sculpteur. Imagine-t-on un journaliste se mêlant de chirurgie et donnant des leçons de manipulation de bistouri à un chirurgien de Yalgado? Le ferait-il qu’on le mènera fissa à l’asile attenant au bloc opératoire car on le soupçonnerait d’avoir péter un plomb et même le gros câble de la raison. Alors pourquoi ce qui n’est pas admis dans la médecine ou tout autre domaine l’est dans les arts ? Pourtant un journaliste peut juger de la qualité d’un tableau ou de l’art d’un peintre même s’il ne sait par quel bout on tient un pinceau ni l’art de composer les couleurs. Que l’on retrouve le même bonhomme dissertant de cinéma sans être cinéaste, de théâtre sans en connaître les ficelles et même de danse contemporaine tout en étant incapable d’esquisser le moindre pas, voilà un mystère qui nous laisse pantois.

Pour leur défense, les critiques disent qu’ils sont avant tout des spectateurs et en tant que tels, ils ont le droit d’émettre un avis sur un spectacle, dire le plaisir qu’ils ont eu ou l’ennui. Mais c’est oublier qu’un spectateur, un vrai confie ses impressions au petit carré de ses intimes, il ne le crie pas à des milliers d’exemplaires dans les journaux et dans tous les foyers qui ont une télé. En plus, d’après nos enquêtes, les critiques ne paient jamais de ticket pour voir un spectacle et on leur réserve toujours les meilleures places de sorte qu’ils ne perdent aucune miette du spectacle. Et après, ces messieurs ont le culot de cracher sur le spectacle qui leur a été gracieusement servi. Quelle ingratitude ! Imagine-t-on un convive qui quitterait la table à manger en traitant son hôte d’empoisonneur ? Même quand ils en diraient du bien, on pourrait douter de leur sincérité parce que la bouche ne mord pas la main qui la remplit.
Cependant, il faut aussi se demander si les artistes ne méritent pas les bâtons et les carottes avariées des critiques. Il nous est effectivement difficile de comprendre pourquoi un homme voudrait que le monde entier voie la petite chose qu’il a bricolée dans sa solitude. Il aurait pu le montrer à sa femme ou à ses voisins mitoyens mais voilà qu’il se pique de le faire admirer de tout le monde. Les invite-t-il à venir gratuitement admirer sa création ? Non, ils les obligent à payer pour ça et il voudrait que le zig qui a claqué son oseille et qui n’est pas satisfait se la boucle. Il faut bien que quelqu'un lui dise que sa chose-là est une merde. C’est le critique qui devient le porte-parole de tous les déçus, il les venge des petites arnaques des artistes. Là, ce n’est que justice ! L’artiste a l’ego aussi gros qu’un ballon à hélium et il faut de temps à autre le dégonfler avec l’aiguille de la critique, ça participe de la thérapie de groupe. Il devient artriste mais ça ne dure pas une seconde.
D’ailleurs, quand un critique vante le travail d’un artiste, eh oui, il y en a qui sont de véritables cireurs de pompes, celui-ci se met à parader comme un paon. Peu lui importe que ces louanges soient méritées ou pas. Il court achète le journal pour lui et pour tous es amis, découpe l’article comme une relique et le range religieusement dans son press-book. Pour l’artiste, le bon critique n’est pas celui qui connait bien l’art et qui en parle avec justesse, c’est simplement le journaliste flagorneur qui lui tresse des lauriers et satisfait son envie d’être caresser dans le sens du poil. Comme des enfants qu’il faut flatter pour qu’ils mangent ou dorment, ils ont besoin de paroles mielleuses…
Et le lecteur dans tout ça ? Il semble qu’une critique favorable amène rarement un lecteur au théâtre ou à un vernissage. Après le boulot, il reste en pantoufles devant sa télé ou il s’encanaille dans un bar, rarement il va au spectacle. Par conséquent les lecteurs n’attentent pas du journaliste qu’il écrive une vraie critique, docte, juste, non, ils veulent un bel article. Toute la nuance est là ! En lisant les pages culture de leur journal, les lecteurs espèrent trouver « une semonce vertement menée, ou le cas échéant, un panégyrique réchauffant, mais l’un et l’autre écrits d’un jet, sans nuance, avec la passion et l’injustice qu’il faut pour retenir un minute l’attention ». disait Pierre-Aimé Touchard, un critique passé à l’ennemi.

En fait, à discuter des faits et des causes à propos des critiques, des artistes et des lecteurs, on perd son latin et même sa raison parce que c’est un panier de crabes. De toute façon, comme au Burkina Faso, il n’existe pas des critiques, il n’y a aucune raison d’en faire tout un foin !

mercredi 15 juin 2011

Les déconnards de Koffi Kwahulé ou les affres de l'immigré

Avec Les Déconnards de Koffi kwahulé, mis en scène par Lamine Diarra, Aristide Tarnagda, auteur et metteur en scène Burkinabe, revient sur les planches comme comédien. Il campe avec brio un étudiant africain en exil. Le ton se fait tour à tour grivois, grave ou grinçant pour esquisser le portrait d’une Afrique vivante, rieuse mais ambiguë : celle que l’immigré porte dans sa mémoire comme on porte une amulette pour se prémunir du vide et de la solitude en Occident.

On voit souvent dans les zoos, un lion, l’œil mauvais tourner dans sa cage de fer en grondant puis s’allonger et fermer les yeux un instant. A son air d’abandon, au frémissement qui court sous sa robe fauve, on devine que son imagination l’a ramené dans la grande brousse, sur ses terres qu’il parcourait en maître, au temps de la liberté. Alors, sous ses lourdes paupières closes défilent les souvenirs de grandes chasses, les gibiers à la chair tendre et les batifolages avec la fratrie. A son museau qui palpite, on imagine que lui revient l’odeur enivrante et chaude de la savane, le lourd parfum des feuilles et d’herbes, des fleurs et de fruits, de terre et de pisse de bêtes qu’exhale le sol après la pluie.

Les Déconnards fait immédiatement penser à ce fauve encagé. Voir Aristide Tarnagda avec sa longue crinière de rasta évoluer dans un décor minimaliste, passant d’un divan-lit, d’une table d’étudiant à une chaise, un porte-manteau évoque un félin pris dans une cage de verre. Il campe un étudiant africain à Paris, un jeune homme qui perd jusque son identité dans l’exil. La concierge l’appelle « Monsieur ». Dans la mansarde où il vit, seul le passage régulier du métro interrompt le sépulcral silence qui y règne. Mais les grandes solitudes sont sœurs des grands silences seulement pour les ermites car eux ont choisi de se retirer de la communauté. Pour tous les autres, surtout pour l’exilé à qui la communauté d’accueil présente une gueule comminatoire et une porte close, la solitude accouche de grands soliloques. Parler pour briser le silence, parler pour convoquer la terre d’origine et peupler le vide. Alors « Monsieur » parle, il parle et peu à peu, le village de Djimi habite la chambre et ce morceau d’Afrique investit ce petit carré d’Europe pour en chasser la vacuité. Le village est là, avec ses histoires de chasse et ses bêtes qui parlent, ces mythes cosmogoniques et défile et se défie une galerie de personnages hauts en couleur : Douze, l’homme que la nature a doter d’un priapisme qui fait fantasmer les femmes, Dynamo, le séducteur qui attire les dames comme l’aimant la limaille et qui sème la zizanie entre les femmes de Djimi, et Alémand, l’ancien combattant qui se croyait ami de De Gaulle parce que celui-ci lui avait serrer la main avant de lui accrocher une médaille sur le poitrail et Gestapo, sa laideronne épouse qui défit le combattant Alémand et en fit un con battu, et le cousin de « Monsieur » dont la missive juxtapose un faire-part de décès et une requête pour une paire de tennis et un maillot Coq sportif. Et cela donne des morceaux de bravoure, des situations cocasses et hilarantes. Et la langue de Koffi Kwahulé ! Une langue succulente et truculente qui recèle d’images et de vitalité : le français ivoirien.

Koffi kwahulé qui est un amateur de Jazz écrit ses pièces comme un musicien compose des partitions. Et le corps du comédien tel un instrument de musique fait vibrer les textes. Aristide qui campe un asthmatique réussit à donner au texte de Kwahulé un air de sonate jouée sur un balafon qui aurait une ou deux palettes usées. Virtuosité, allegro et pianissimo. Quelque fois, quand survient la crise et que l’air se fait rare dans le corps, il en sort des notes étouffées, douloureuses comme surgies d’une palette désaccordée. Ce mono est un solo avec des moments superbes où la signification devient subsidiaire, l’émotion naissant de la musique du texte et non plus de son sens. Ainsi en va-t-il du match de football narré en Bissa. Pas besoin de comprendre la langue, on est sensible au vibrato de la voix de comédien. Les Déconnards est un texte qui déclenche l’hilarité à chaque instant comme un talk-show mais il ne faut pas oublier que les Déconnards est une voix d’outre-tombe, un verbatim post mortem. C’est une cassette audio qui rend la parole de celui qui est allé se jeter sous le dernier métro un soir de réveillon. Comme quoi, cette parole-là est un écho, la vibration d’une note qui flotte dans l’air longtemps après que l’instrument se soit tu ! C’est donc un ectoplasme de l'étudiant que nous voyons sur scène !

S’il fallait trouver une seule faiblesse à ce spectacle, ce serait sa longueur. A notre sens, il souffre d’un quart d’heure de trop qui installe la langueur au niveau du spectateur. La mise en scène gagnerait à resserrer le spectacle autour des moments de climax et ne pas se laisser prendre dans le vortex des mots de Kwahulé.

Avec les Déconnards, Aristide Tarnagda a réussi son retour sur scène comme comédien avec cette performance magistrale. Maintenant qu’il nous a prouvé qu’il reste un bon comédien, qu’il rejoigne derechef sa table d’écriture pour nous offrir des textes de son cru. Nous attendons impatiemment d’autres grands textes du jeune auteur prometteur de l’Amour au cimetière.
Saidou Alceny Barry

vendredi 27 mai 2011

Les voix du silence se font bruyantes au CITO

Les Voix du silence fut écrite en 1982. Trois décennies plus tard, on s’attendait à ce que cette pièce sente la naphtaline, pourtant elle est d’une telle actualité qu’on la croirait écrite en ce mois d’Avril. On y trouve tous les maux qui ont mené le Burkina aux émeutes de la faim : mal gouvernance, paupérisation des masses, arrogance des puissants, justice aux ordres…
La mise en scène fait cohabitée deux mondes. En haut celui des riches. En bas, les exclus. A la veille des élections présidentielles, Chef Adam, à la tête d’un méga parti rassemble son état-major composé de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, de chefs traditionnels pour un dernier grand meeting. Les pauvres d’en bas, dont les voix sont nécessaires dans ce système électoral sont courtisés. Les politiques consente à descendre dans la cours des miracles tenue par Ma Awa où vivotent tous les exclus de la cité. On leur propose des ripailles et des enveloppes d’argent. C’est au cours d’un meeting de Chef Adam que Oscar, le fils de l’homme politique viole Amicha, la fille de Ma Awa, entraînant la fureur des gens d’en bas. Cela va-t-il compromettre l’ascension de Chef Adam ?
Entre chants et danses, rires et coups de théâtre, le spectateur voit défiler une galerie de personnages inoubliables. Comme Chef Adam campé par Charles Wattara qui lui donne une infinité de nuances et d’ambiguïté : un tissu d’engagement, de cynisme, de gabegie et de grandeur. Ou l’avocat Bekolo, joué avec maestria par Gouem qui donne à ce passionné de justice, quelque chose de grotesque. Ou la mendiante aux jumeaux jouée par Olivia Ouédrago avec beaucoup de justesse de sorte que des spectateurs abusés lui jetaient des pièces comme aumône !
Les mises en scène de Prosper Kompaoré révèlent toujours le musicien et le géomètre qui se cachent derrière l’homme de théâtre. Chez lui, c’est la musique avant toute chose. En effet la musique est omniprésente dans Les voix du silence. On y chante, on y danse et on se croirait dans une comédie musicale tant les parties chantées du texte sont abondantes. En chef d’orchestre, il dirige à la baguette vingt-quatre comédiens dans une mise en scène réglée comme du papier à musique. Kompaoré a un compas dans l’œil tant la circulation et la disposition des comédiens sont calibrées au millimètre près. Jamais un comédien ne masque l’autre.
On rit beaucoup pendant ce spectacle. Mais si Prosper Kompaoré a choisi d’aborder son texte sur le mode comique, Les voix du silence n’est pas moins la pièce d’un moraliste désabusé. C’est un monde sans héros. Aucun personnage n’est un modèle de vertu dans cette pièce. Ni dans le camp de Chef Adam ni dans celui des mendiants. Chef Adam est élu malgré son passé trouble, justice ne sera pas rendu à Amicha parce que les gens d’en bas préfèreront un règlement à l’amiable. Dans ce pays, les fils violent les filles de sorte que l’avenir ne peut accoucher que de monstres. Les Voix du silence sont les voix de notre apocalypse.
Pourtant dans le théâtre de Kompaoré, il n’y a ni épate, ni sein dénudé, ni obscénité, juste une mise en scène respectueuse du texte et du spectateur qui déroule son bouquet de chants, de danses, de rire et d’émotion tout en faisant la radioscopie d’une société qui va à vau-l’eau. L’aîné en investissant le CITO qui apparaît comme la scène des jeunes créateurs Burkinabé avec une telle mise en scène leur démontre que le théâtre peut être subversif sans tomber dans la vulgarité. Et c’est une leçon qui vaut son pesant d’or.
Malraux disait dans un essai portant le même titre que le texte de Kompaoré, Les voix du silence que « Les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux». Il serait plus juste de dire en ce qui concerne Les voix du silence de Prosper Kompaoré que c’est le monde réel qui avait trois décennies de retard sur la fiction dramatique.
Saïdou Alcény Barry

lundi 9 mai 2011

Intellectuels africains et crise ivoirienne: la défaite de la pensée?

La crise ivoirienne a mis à nu l’impuissance des politiques africains à résoudre les situations conflictuelles sur le continent. Elle a aussi révélé que les intellectuels africains, pris dans le nœud de leurs contradictions, n’ont pas brillé par la lucidité et la force de proposition que l’on attendait d’eux. Voyage au pays de l’intelligentsia africaine dans sa diversité et ses divergences.

Les intellectuels mutiques

Dans la crise ivoirienne, il y a des intellectuels qui ont réussi la prouesse d’abdiquer ce qui fait substantiellement l’intellectuel, c’est-à-dire la prise de parole. Ceux qui ont fait vœu de silence dans cette crise, ce sont surtout les intellectuels Burkinabé. Nous n’avons pas entendu le Forum des artistes et des intellectuels, cette coalition qui ambitionne de se positionner dans le paysage africain comme un interlocuteur incontournable et une force de propositions dans la conduite des affaires africaines. Même à titre individuel, aucun franc-tireur n’a pipé mot. Ce mutisme est peut–être dû à la peur de ces leaders d’interférer dans les actions de médiation du Président du Faso ou crainte qu’une prise de position n’entraîne des exactions contre les cinq millions de compatriotes, la plus forte communauté étrangère vivant en Côte d’Ivoire. Quelles que soient les raisons de ce mutisme, ce silence jette un discrédit sérieux sur la capacité de nos intellectuels de s’abstraire des atermoiements pour être une instance de questionnement de nos politiques et de la marche du continent. Malgré ce silence ou peut-être à cause de lui( si nous voulons être cynique), des monceaux de cadavres de Burkinabé ont jonché les rues d’Abidjan et d’ailleurs. Et se taire c’est couvrir ces morts du linceul de silence. Dans cette crise, les Burkinabe ont été les spectateurs obligés des meurtres et des pogroms grâce aux médias ivoiriens et français : jamais nous n’avons été condamnés à tout voir sans rien savoir. Combien de nos compatriotes ont perdu la vie dans cette crise? Nul ne le sait parce que les politiques n’ont rien dit et les intellectuels n’ont rien demandé. Elie Wiesel disait : « Le bourreau tue deux fois. La deuxième fois par le silence ». Même si nos intellectuels ne sont pas comptables de ce qui s’est passé, on peut leur reprocher d’avoir raté une bonne raison de se faire entendre !

Les imposteurs ou pseudo-intellectuels

Les désastres politiques sont comme les grandes putréfactions, ils attirent les charognards. Et la crise ivoirienne, à cause de sa forte médiatisation, a attiré des individus en mal d’exposition médiatique. Aussi des pseudo-intellectuels qui étaient au creux de la vague ont voulu utiliser la crise ivoirienne comme un trampoline pour revenir sous les projecteurs. Calixte Beyala dont les derniers romans ont paru dans l’indifférence générale a endossé opportunément le rôle de la pasionaria de la cause ivoirienne. Courant les plateaux télés, elle dénonce l’ingérence française et prétend défendre la légalité qui se trouverait du côté de Gbagbo. Mais elle a desservie la cause de Gbagbo par l’incurie de son argumentaire, ses interventions dévoilant une méconnaissance abyssale du paysage politique et des textes constitutionnels du pays. Comme quoi, on a beau savoir fabuler dans le roman, la réalité politique ne se laisse pas enfermer dans la fiction et la romancière camerounaise l’a appris à ses dépens.


Les intellectuels partisans :

Une autre espèce d’intellectuels est celle des partisans. Ils ont rejoint un camp et ont mis leur plume et talent au service de Laurent Gbagbo ou d’Alassane Ouattara. On nous dira que l’engagement procède toujours d’un enrôlement dans un camp. Bien sûr mais le Camp du Capitaine Dreyfus fut le camp du droit et de la justice ! Ici, les choses sont moins tranchées. S’il y a une minorité qui a opté pour Gbagbo ou Ouattara pour des calculs mesquins de positionnement, la plupart de ces intellectuels partisans ont été abusé par la complexité de la crise ivoirienne avec son bal masqué : l’ancien colonisateur joue le parangon de la bonne gouvernance en Côte d’Ivoire tout en maintenant des despotes tout autour de ce pays. C’est par conséquent le combat contre la Françafrique qui a biaisé le débat et obscurci la lecture de la crise ivoirienne. De sorte que les anticolonialistes se sont rangés du côté de Gbagbo par pis-aller. Alassane apparaissant comme un outil entre les mains de la métropole.
Au Forum des altermondialistes de Dakar, de manière générale, les intellectuels se sont rangés du côté de Gbagbo qui représente le combat contre la Françafrique. Alassane est taxé d’ennemi parce que libéral, ami des puissants du monde et des institutions financières telles le FMI et la Banque mondiale, ces pilleurs du continent. Entre l’ami d’Occident et le professeur qui défia Houphouet-Boigny le suppôt des basses besognes de la France sur le continent, les altermondialistes ont choisi le leur !
D’autres ont eu une posture plus inconfortable. Aminata Traoré, mue par son combat anti-colonialiste s’oppose à l’ingérence française tout en esquivant le débat de fond sur la crise ivoirienne. On comprend qu’il lui est intolérable de voir la Force Licorne et surtout Sarkozy dont on se souvient du discours raciste de Dakar jouer les sauveteurs de la démocratie dans une crise où la France ne peut montrer patte blanche. Mais la logique du combat contre la France peut-elle justifier que l’on ferme les yeux sur les dérives du régime de Gbagbo ? Nous pensons que non ! Elle peut autoriser la colère et l’indignation. Pour Sénèque, elle est indigne du philosophe et du sage. Mais l’indignation est une réaction organique, elle donc est légitime. Mais pour qu’elle trouve un sens, il faut qu’elle s’accompagne d’une analyse lucide. C’est la lucidité qui fait l’intellectuel et elle a manqué à tous ceux qui, sous le couvert du combat anti-colonialiste, ont absous Gbagbo et cautionné son rapt électoral.

Les intellectuels sceptiques.

Ce sont ceux qui ne donnent pas un blanc-seing à l’ONU, ce gros machin aux mains de la communauté internationale. Ces intellectuels restent circonspects sur les résultats des élections parce qu’ils pensent que l’ONU n’est pas une structure indépendante, qu’elle est aux ordres des plus puissant. Ils rappellent ses positions ambiguës au Congo dans l’assassinat de Lumumba, sa passivité dans le génocide rwandais, et les élections contestées qu’elle a organisées en Afghanistan. C’est particulièrement l’insolence du représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire se comportant en gouverneur d’un territoire conquis qui les ulcèrent au plus haut point. L’écrivain guinéen Thierno Monénembo incarne ce courant qui entend questionner toutes les procédures électorales. Ils ne sont ni pour Alassane qu’il taxe de sécessionniste, ni pour Gbagbo qui a confisqué le pouvoir ni pour Bédié qui a conçu l’ivoirité. Ce fut un courant minoritaire mais qui a une analyse qui vaut qu’on s’y arrête.

Les intellectuels incorruptibles

Il faut entendre ce terme au sens d’une analyse qui demeure dans la constance, suit un cheminement logique que le temps n’infléchit pas mais approfondit, que les idéologies n’édulcorent ni ne forcissent. Nous pensons que la réflexion d’Achille Mbembé est de celle-ci. On peut moquer sa conviction plein de candeur que l’outillage juridique doit précéder le geste politique et son moralisme mais on ne peut que reconnaître la pertinence de sa réflexion. Il est un des rares intellectuels avec Théophile Abenga à condamner l’intervention de l’ECOMOG, à préconiser que l’Unité africaine se dote de textes juridiques pour baliser les interventions militaires dans un Etat membre et à répéter que les crises politiques sur le continent doit être résolu par les Africains. Et nous pensons qu’il est dans le vrai.


Cette crise a révélé les contradictions qui secouent la communauté des intellectuels partagés entre l’alignement sur les politiques, les errements partisans et les argumentaires en déphasage avec la réalité africaine. Néanmoins, quelques-uns posent parfois le bon diagnostic mais évitent de proposer la bonne médecine. Car s’ils reconnaissent à l’unanimité que la démocratie est à la source de tous les maux sur le Continent, la plupart proposent de repenser celle-ci en tenant compte du contexte africain. Nul ne remet en cause l'option démocratique. Est-ce parce que rejeter ce système politique promu par l’Occident les priverait de toute tribune et les condamnerait au silence. Ambiguïté de l’intellectuel africain qui veut tenir un discours de vérité sans incommoder « la bien pensance » internationale ?
Barry Saïdou Alceny