Tout mur est une porte. Emerson

samedi 18 février 2012

Joseph Traoré, un grand comédien

L’association des critiques de cinéma du Burkina a rendu hommage au comédien Burkinabè Joseph Traoré, Jo pour les intimes. Des films dans lesquels il a tourné ont été mis à l’honneur. Ce qui a permis de dessiner en creux, le portrait d’un comédien de talent, un homme qui a le cœur sur la main.

C’est un homme diminué physiquement mais au moral intact qui est venu recevoir l’hommage des critiques de cinéma du Burkina. Il déplace lentement sa silhouette massive avec une béquille à l’aisselle, parce qu’il a une prothèse au pied et une pile cardiaque dans la poitrine. Malgré cet état, il est toujours de bonne humeur. La voix est chaleureuse, le visage replet et apaisé d’un Bouddha tropical, un sourire qui se transforme vite en rire et tourne un aréopage de visages sérieux en une bande de joyeux drilles. Il faut dire qu’il a la blague facile et l’art de saupoudrer ces anecdotes d’une pincée d’humour. Il est intarissable avec sa provision d’anecdotes glanées sur les plateaux de tournages ou au contact des hommes de cinéma. Ainsi du duel homérique entre Jo, le jeune buteur et Sotigui Kouyaté, le défenseur inamovible de l’équipe adverse, affrontement qui finit par un ballon adroitement glissé entre les jambes d’échassier du géant Sotigui Kouyaté et un but. Ce clash est comme un remake sur un terrain de foot de l’affrontement entre le menu Bruce Lee contre le gigantesque Maleek Abdul Jabbar dans le Jeu de la Mort. Plusieurs décennies plus tard, Sotigui rappelait toujours l’évènement quand il croisait celui qui défit sa réputation de muraille imprenable. Plus tard, ils se sont retrouvés dans le film Jours de tourmente( 1985) de Paul Zoumbara où Jo jouait le rival de Sotigui. Un rôle de méchant qui le rendit antipathique à beaucoup de cinéphiles tant son jeu fut convaincant.

Dans Humanitaire (2007), le court métrage d’Adama Rouamba sur l’univers des ONG des Nations-Unies en temps de conflit dans un pays africain, il révèle son grand talent par un jeu tout en économie et d’une intensité dramatique insoupçonnée. Il y joue le rôle d’un sourd muet ayant survécu au massacre de sa famille. Recueilli dans un camp de réfugiés de guerre, il attend avec espoir que le camionneur du HCR lui ramène quelques membres de sa famille ayant échappé au massacre. Entre les allers-retours du camion, la béquille à l’aisselle et debout sur la prothèse de tige métallique, son visage est tour à tour visité par l’inquiétude, l’espoir mais finit tordu par une immense douleur lorsque l’auto explose sur une mine. Un sourire qui se fige au moment de la détonation, devient une affreuse grimace et le visage qui devient un masque de douleur : les yeux deviennent torrents de larmes. Voir le vieil homme pleurer à chaudes larmes silencieuses est un moment de grande émotion.
Il y a deux sortes d’acteurs : les bons rôles et les grandes âmes. Le bon rôle est un acteur qui a la gueule de l’emploi et ne peut sortir d’un certain type de personnage. Jo Traoré appartient au second groupe de comédiens ; ceux dont la vie est si riche d’expériences et de rencontres qu’ils abritent en eux une foultitude de caractères. Ainsi d’une frondaison luxuriante héberge quantité d’oiseaux et une infinie variété de chants. Ouvert à l’aventure et aux autres, ce type de comédien se nourrit de l’existence des autres comme une éponge se gorge des fluides et des parfums qui l’environnent. Et son jeu se déploie sur un large éventail de possibilités.

Il ne fait pas de doute que cet homme de 74 ans aime le cinéma. Il lui a d’ailleurs consacré les plus belles années de sa vie. Il a été projectionniste en Côte d’Ivoire, chauffeur à la cinématographie nationale à son retour au pays jusqu’à sa rencontre avec Serge Ricci, un français faisant de la réalisation pour le cinéma ambulant, avec lequel il débute comme acteur. Lorsqu’il ne fait pas l’acteur, il est régisseur sur les plateaux de tournage. Il avoue une cinquantaine de films au compteur comme régisseur et acteur.

Aspire-t-il à une retraite bien méritée ? Pas du tout. Il a le jeu chevillé au corps et est toujours en attente de rôles et de scénarios. Mais pour ceux qui évalue l’accomplissement d’une vie d’homme au prorata de l’épaisseur du compte bancaire et des choses matérielles accumulées, il y a dans cette fin de parcours quelque chose d’injuste car on a le sentiment que l’investissement de Jo dans l’art a été payé en monnaie de singe. Malade, diminué, on aurait souhaité qu’une telle carrière le mît à l’abri du besoin. Malheureusement ce n’est pas le cas ! Et une vie entièrement consacrée au cinéma devrait comme un bon film avoir un happy end ! Pourtant Jo n’est point amer, il est fier et reconnaissant de ce que le cinéma lui a donné comme joie et comme rencontres. C’est pourquoi il nous faut l’imaginer heureux !
Saïdou Alcény BARRY