Tout mur est une porte. Emerson

lundi 30 novembre 2015

Jacques Guégané, le poète qui veut sortir la poésie de la littérature



Le poète Jacques Guégané est l’invité d’honneur de la Foire international du livre de Ouagadougou ( FILO 2015). Immense poète, par la stature, le talent, et la culture, Jacques Guingané est aussi éditeur. La FILO  couronne une œuvre majeure en la mettant sous les feux des projecteurs. Mais le poète est déjà sur un nouveau chantier : sortir la poésie de la littérature.

Le poète est peu disert sur sa vie et même sur son œuvre, convaincu que celle-ci n’a pas besoin de la tutelle de l’auteur pour se frayer son chemin dans le monde. Mais cette fois-ci, il sera obligé dans l’autobiographie même sommaire car l’hommage de la Filo exige qu’il lève un pan de voile sur son œuvre en parlant de sa trajectoire d’homme et de créateur. Il ne faudrait pas attendre qu’il évoque sa vie à la troisième personne du singulier ni qu’il fasse des révélations fracassantes. L’homme sait comme Pascal que « le moi est haïssable » et qu’un homme n’est qu’un misérable petit tas de secrets, comme l’écrivait Malraux.

Donc l’auteur abordera certainement sa vie de biais, à travers les hommes et les objets qui l’ont fait. Jacques Guégané croit que l’homme est la somme de ses rencontres. Il est fait de tous les hommes et les objets qui ont croisé sa trajectoire, dont il s’est nourri. Ce sera donc un inventaire à la Prévert de livres, d’auteurs, des mythes et des légendes qui servira de fil d’Ariane pour mener à son œuvre. De George Guynemer à Saint-John Perse si présent dans son œuvre, de Soundjata à Lao Tsé, de Moïse à Mohamet, ces figures d’artistes et d’hommes d’actions ont nourri son imaginaire et son art poétique. La compréhension de l’homme et l’intelligence de son oeuvre l’homme passent par  ces fragments ; il serviront donc à élaborer un discours poétique comme Roland Barthes élabora son discours amoureux au travers des fragments.

Poète paradoxal qui chérit la solitude et l’ombre mais dont l’oeuvre est si ouverte au mode, Jacques Guégané est un poète rhizome, poreux à tous les souffles du monde. Ce poète est un océan d’érudition dont les affluents charrient les savoirs et les récits de tous les continents. Des grands récits du monde, il a tapissés sa poésie. De la Chine  au Moyen Orient, d’Europe à l’Afrique, il a puisé les mythes fondateurs et les personnages légendaires pour en faire des motifs sur sa fresque du monde.

Il est vrai que l’éclairage d’un auteur, quoique très utile pour dire l’intentionnalité à l’œuvre dans son texte ne peut en épuiser le sens. Mais des éléments de biographie de Jacques Guégané sont très importants pour comprendre cette œuvre réputée difficile, ce qui est une aberration car comme toute grande œuvre, elle exige seulement du lecteur à qui elle s’offre de s’en montrer digne en exhaussant à sa hauteur. Il est vrai que ce n’est pas avec un bagage linguistique de plus sommaire que l’on peut avancer dans cette œuvre dense comme une forêt tropicale.

L’auteur a une culture encyclopédique et dans l’œuvre opère une agilité d’esprit qui associe à travers les analogies et les parallélismes les notions de prime abord si éloignés les unes des autres. Ici cybernétique et information, astrologie et astronomie, physique quantique et pneumatique se répondent. Le trou noir stellaire fraye avec le livre du fa du vodoun, le chacal de la cosmogonie dogon se tient à côté de la femme buffle de la légende du Mandé, le yin et le yang s’enroulent autour de l’hélice de l’ADN, etc. Jacques Guégané a compris que les Correspondances baudelairiennes sont une approche totalisante pour saisir le monde dans une grappe de mots.

Si l’hommage rendu ici au poète se veut un couronnement d’une œuvre parcimonieuse et puissante, le poète de 74 ans, bon pied bon œil, se tourne vers un nouveau chantier titanesque : sortir la poésie de la littérature. Si la poétique de l’action de Paul Ricoeur peut en être le catalyseur, la conviction que la poésie excède le domaine de la littérature date de fort longtemps chez Jacques Guégané. 

Explicitant sa poétique de l’action, Ricœur écrit : « La conversion de l'imaginaire, voilà la visée centrale de la poétique. Par elle, la poétique fait bouger l'univers sédimenté des idées admises, prémisses de l'argumentation rhétorique. Cette même percée de l'imaginaire ébranle en même temps l'ordre de la persuasion, dès lors qu'il s'agit moins de trancher une controverse que d'engendrer une conviction nouvelle. »

Bien que la poétique de l’action de Paul Ricoeur soit restée du domaine de l’intention sans jamais trouver sa praxis, on peut la comprendre comme le projet de trouver dans le langage poétique une fonction performative qui incite à l’agir. De cette fonction du langage, Laurent Binet en a fait le titre de son dernier roman sur la mort de Roland Barthes. Mais demeure la question: comment rester dans la poésie et susciter l’agir sans tomber dans le texte de loi ou de droit ?

Jacques Guégané dépasse cette position en sortant du cadre étriqué de la littérature pour penser la praxis même comme  poésie. Ainsi l’Insurrection des 30 et 31 octobre 2015 qui a renversé Blaise Compaoré est pour lui aussi belle et poétique que Les Sonnets de Shakespeare. Mais cela dit, il se confronte aussi à un écueil insurmontable : comment en rendre compte sans retourner à la littérature? Par un récit qui se resserre autour du noyau de l’action et qui réussit à rendre transparent le texte et à le faire oublier. D’ailleurs, une bonne œuvre est celle qui fait oublier qu’elle est ouvragée, qui cache ses coutures. Par l’essai ?

Faut-il faire ses adieux à la littérature pour s’engager vers d’autres chemins plus escarpés? Rimbaud l’a fait, en partant vendre des armes en Abyssinie. Qu’est-ce qui attend Jacques Guégané au bout de ce défi ?  Baudelaire a la réponse : « Nous voulons, tant nous brûle le cerveau/Plonger au fond du gouffre, Enfer ou ciel, qu’importe ?/Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. »

 En attendant que le futur nous édifie, cueillez le moment présent. Allez, toute affaire cessante, le vendredi 27 novembre 2015, au Pavillon chinois du Siao écouter Jacques Guégané. Assis, dans son immobilité de pierre, le regard lointain, le poète, pareil au Sphinx de Giseh, va parler. Choiront les clés pour pénétrer les énigmes de Le Pays perdu (1971), Nativité(1977), La Guerre des Sables(1979), l’An des Criquets(2001), cette constellation poétique qui brille d’un éclat étrange dans le ciel de la poésie mondiale.

jeudi 12 novembre 2015

Carrefour des arts plastiques de Ouaga: Quand un vernissage vire à l’émeute



 
photo de Giovanni Quattrocolo
Dans le cadre du Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou, l’Institut français et l’Institut Goethe ont organisé le vernissage d’œuvres d’artistes burkinabè, français et allemand à Bissighin, le 6 novembre 2015. Le vernissage  a viré au sac des œuvres, les spectateurs ont tout détruit, démontant et emportant tout. Cela pose la question de la place de l’art dans un milieu où la nécessité prime sur la jouissance esthétique. Cet acte relève-t-il de la méprise ou du mépris de l’art?

« Que diable, sont-ils allés chercher dans ce trou ? » peut-on se demander. En réalité, le site était  approprié pour le thème choisi par les artistes : Réinventer la ville. Quoi de plus normal alors que de repenser la ville à proximité de ceux qui ont été exclus de la capitale et qui ont investi un espace à la périphérie pour créer une cité sans plan, sans voirie, sans assainissement, sans aucune commodité. Une cité sauvage qui a poussé comme un abcès sur la face nord de la capitale : le quartier non loti de Bissighin. Et le trou est une carrière d’extraction des briques. De là  sont sorties toutes les maisons de Bissighin, la rebelle.

La dizaine d’artistes prenant part à l’aventure ont reçu carte blanche pour rêver la ville future à partir du matériau local, le banco de la carrière. En trois semaines, sous les regards parfois amusés, curieux ou indifférents des riverains, les artistes ont construit des maisonnettes, posé des arceaux, des passerelles, faits des installations à partir de bric et de broc, accroché des chaises et des seaux à des poteaux, dressé des mannequins, et accrochés des toiles peintes.

Et puis le vendredi, jour du vernissage, voyant qu’il y avait un public plus nombreux que d’habitude, les habitants sont venus en badauds. Et petit à petit, le trou s’est rempli de monde comme il se remplit  d’eau pendant les grandes pluies de l’hivernage. Ils ont regardé avec envie les briques, les fenêtres, les poutres, les chaises et les seaux  sur des installations d’Abou Sidibé et les bidons entassés par Sahab Koanda. 
La performance qui met le feu aux poudres
Tout aurait dérapé au moment de la performance de Koanda Sahab. L’artiste qui voulait faire revivre l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2015 a mis le feu à une carcasse de voiture qu’il a auparavant arrosée d’essence, faisant monter dans le ciel un brasier de flammes, et puis il a invité le public à prendre des bidons pour participer à l’autodafé. Les ploucs se sont rués sur les bidons, se sont battus pour les arracher et ensuite, dans une furie destructrice, ils ont attaqué les réalisations des artistes, arrachant fenêtres, portes et même briques et pour finir ils se sont rués sur les boissons et les amuse-gueule prévus pour les invités. Ils ont tout emporté. Comme des fourmis magnan, rien n’est resté après leur passage. Rien.

Comment interpréter cet acte de vandalisme ? On peut conjecturer plusieurs pistes. D’abord, la méprise. Peut-être que ce pillage s’origine dans la méconnaissance de la performance, de cet acte artistique du ici et maintenant qui, en mettant le feu à une automobile, a été interprété par ces gens comme une invite à la destruction. Ou c’est un acte de conservation : ils se sont dit que les artistes se mettent à détruire par le feu ce qu’ils ont mis des semaines à construire et eux ayant besoin de ces choses-là, ils ne resteront pas des spectateurs passifs face à cet autodafé. Leur acte désespéré vise donc à sauver des flammes ces objets qui leur sont utiles.

Dans ce cas de figure, les artistes sont perçus par ces gens comme des nantis qui s’amusent avec des objets qui sont utiles à l’amélioration de leur quotidien. Donc il y a une sorte de mépris de ces adultes qui  jouent aux enfants gâtés devant leur misère. En effet un bidon de 25 litres est une garantie contre la pénurie d’eau, une assurance de survie durant la canicule d’avril. Les fenêtres, les portes, les solives, les  soutènements, et mêmes les briques récupérés sont des objets inaccessibles à leur budget et qu’ils vont utiliser pour fermer les ouvertures béantes de leurs maisons. Les chaises en plastique apporterot du prestige dans ces taudis. Même la toile qui a servi à peindre le tableau sera rideau de fenêtre pour soustraire l’intimité au regard du voisin. Ici l’art de la récupération que pratique l’artiste contemporain est récupéré  par le pauvre qui réinsère ces œuvres d’art  dans l’utilitaire. Ce que l’artiste prend à la consommation pour créer, le pauvre l’arrache à l’art pour le rendre à la vie

Ceux qui ont une vision plus poétique des choses diront que la performance a réussi à réinstaller dans ces spectateurs devenus acteurs la furie de l’insurrection et qu’ils ont rejoué et revécu cette geste libératrice en pillant cette exposition ! Ainsi Sahab aurait réussi ce qu’Antonin Artaud appelait de tous ses vœux dans le spectacle. C’est-à-dire un projet de  représentation faisant subir au spectateur un traitement émotif choc  de façon à le libérer de l’emprise de la pensée discursive et logique pour retrouver un vécu immédiat dans une nouvelle catharsis et une expérience esthétique et éthique originales.

Dans l’une ou l’autre des hypothèses, il se pose la question  de l’art contemporain dans un environnement pauvre. Faut-il voir dans ces œuvres parfois ambiguës, ready made, récup art,  un délassement d’hommes rassasiés, un art bourgeois qui ne dit rien aux affamés. Sartre posait la question de l’utilité de la littérature devant un enfant qui meurt. On peut sans entrer dans une situation aussi tragique poser la question de l’utilité de l’art devant un ventre vide. Que vaut une nature morte, soit-elle de Cézanne ou de Van Gogh,devant un plateau de fruits pour un homme qui a faim ?

Il faut savoir raison garder et ne pas donner à cet acte l’ampleur qu’il n’a pas. Cet acte destructeur n’est pas si grave, il a anticipé de quelques jours la destruction programmée d’œuvres qui se veulent éphémères. Toutefois il a l’intérêt de poser entre autres questions, celle  de la médiation dans les expos d’arts au Burkina. 

Il y a nécessité d’associer des commissaires d’art à la fête des arts plastiques de Ouagadougou. Car un commissaire, en plus de penser la scénographie d’une exposition, fait un travail de médiation qui tient compte de la spécificité du public.  Il nous semble qu’un commissaire aurait préparé le public de Bissighin à mieux comprendre l’intrusion de cette exposition dans leur monde ou du moins, il n’aurait peut-être pas autorisé une performance pyro-artistique qui, d’ailleurs n’entre pas dans le thème de l’expo qui est, il faut le rappeler, « Réinventer la ville ».

jeudi 22 octobre 2015

Cinéma d’Afrique du Sud/cinémas d’Afrique de l’Ouest : Si proches, si loin

 
Ciné Burkina

Comment évoquer les rapports entre les cinémas de l’Afrique occidentale francophone et celui de l’Afrique du Sud  sans utiliser le passé ? Et même en parler au passé (dé)composé tant les premiers contacts ne débouchèrent sur rien. Retour sur ces rendez-vous manqués à travers deux cinéastes : Souleymane Cissé et Idrissa Ouédraogo.

L’Afrique du Sud ne fut jamais une terra incognita pour l’Afrique de l’Ouest francophone, car si aucun ressortissant de l’Afrique de l’Ouest ne souhaitait y poser les pieds pendant l’Apartheid, ce territoire à la pointe australe du continent  ne fut cependant jamais absent des préoccupations politiques et artistiques de cette région.

En effet, l’Afrique de l’Ouest a été solidaire de ces frères noirs qui vivaient sous le régime ségrégationniste de l’Apartheid. Une solidarité qui se manifestait à travers la musique, la littérature et un peu moins dans le cinéma. On se rappelle Thomas Sankara, le chef de l’Etat du Burkina Faso, offrant quelques kalanichkov au représentant de l’ANC à l’OUA (actuelle UA) pour soutenir leur combat pour l’égalité raciale! 

Avec la fin de l’Apartheid, le retour de ce grand pays dans les nations du continent apparaissait comme celui de l’enfant prodigue. Puissance économique, militaire et culturelle, l’Afrique du Sud était perçue comme la locomotive qui allait tirer le continent vers le développement. Et les cinémas de l’Afrique de l’Ouest francophone attendaient beaucoup de la première industrie cinématographique du continent.

Le cinéma sud-africain est un miracle, vu d’Afrique de l’Ouest francophone. Boycotté par le reste du monde pour son régime de ségrégation, ce pays a développé en serre une véritable industrie cinématographique comprenant la production, la distribution, l’exploitation et les studios sur le modèle hollywoodien avec l’accompagnement de l’Etat.  

Claude Forest dans Le cinéma en Afrique : l’impossible industrie notait que Ster Kinekor disposait en 2010 de 418 écrans (58 complexes, 60 000 fauteuils) avec une part de marché de 65 % pour 17 millions de tickets vendus. A côté de Ster Kinekor, il y a deux autres géants de la distribution que sont Nu-Metro Distribution (NMD) et United International Pictures (UIP) qui se partagent le reste
du marché.

D’Afrique francophone, on découvrait des films sud-africains en V.O. si proches des films hollywoodiens. Nerveux, rythmés, servis par d’excellents comédiens  et bâtis sur des scénarios haletants. Mon nom est Totsi de Gavin Hood a emballé le public ouagalais lors du Fespaco 2007. Par la suite, ces films en poussant loin les excès et en perdant de leur nouveauté vont moins séduire. Ainsi, Four Corner de Ian Gabriel qui s’inscrit dans la veine de Mon Nom est Totsi n’a pas retenu l’attention des cinéphiles du Fespaco 2015. Au début, c’était l’émerveillement devant ces films venus du Sud et la fascination devant la puissante machinerie cinématographique qui les fabrique.

L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud se tiennent aux deux extrêmes de l’industrie cinématographique. D’un côté, il y a un cinéma dans toute sa splendeur et de l’autre, un cinéma anémique, sous perfusion, qui n’existe pas en tant qu’industrie mais seulement par ses réalisateurs. 

Et pour compliquer les choses, la concurrence de nouvelles images comme celles de la télévision, des DVD, des VCD et du téléphone portable vont réduire  le public des cinémas de l’Afrique francophone  comme peau de chagrin et entraîner la fermeture des salles. Par conséquent, c’est la loi physique  de l’appel d’air qui devrait être  à l’œuvre entre ces deux mondes-là. Le cinéma francophone n’attendant qu’une occasion de s’engouffrer dans la brèche.

Deux éclaireurs, les meilleurs de leur génération

Le premier contact entre les deux cinémas se fera par le truchement de la création cinématographique et non par des contrats de producteurs. Cette approche se fera donc à travers des films sur l’Afrique du Sud. Souleymane Cissé tourne Waati, une histoire sud-africaine, en 1995 et Idrissa Ouédraogo réalise Kini et Adams en 1997. Ces films visent à jeter un pont entre les deux publics en donnant à voir ici et là-bas les réalités des communautés sud-africaines. Ainsi, l’écran donnerait à voir aux deux communautés ce qu’un autre écran, politique celui-là, a caché pendant longtemps. 

Waati fut un des films africains francophones les plus chers de l’époque. Daniel de Toscan Plantier, le producteur délégué, ne mégota pas sur le budget. Ce film suit la trajectoire d’une adolescente sud-africaine qui quitte son pays à la suite du meurtre de son père par un policier et que les tribulations mèneront à travers l’Afrique occidentale. Dans la distribution, il y a des acteurs sud-africains et des acteurs maliens et ivoiriens.

Malheureusement, ce film n’ouvrira pas les portes de salles sud-africaines ni ne débouchera sur des collaborations futures avec le cinéma sud-africain. Il ne sera pas non plus bien reçu par le public francophone et surtout hexagonal. Dans les Inrocks, le critique Vincent Ostria finira son article sur Waati par ce conseil cruel au réalisateur : «  Cissé a donc présumé de ses forces. On espère qu’il redeviendra vite le chantre de l’Afrique mythique. » Comme pour dire que le réalisateur africain est condamné à filmer des histoires mythiques et jamais le contemporain ou le quotidien. Ce film sera d’ailleurs le dernier grand film de Souleymane Cissé.

Idrissa Ouédraogo n’aura pas plus de baraka avec Kini et Adams. Cette histoire d’une longue amitié d’hommes, mise à l’épreuve par l’ouverture d’une mine dans le village, tourné au Zimbabwe, n’ouvrira pas de collaboration entre le réalisateur burkinabè et les cinéastes sud-africains.  Ce film, le plus abouti de sa filmographie, avec des comédiens anglophones superbement dirigés, bien qu’il soit sélectionné à Cannes 1997 pour la Palme d’or, aura un accueil mitigé. 

Comme si le monde du cinéma français reprochait à son cinéaste chouchou de cette époque de lui faire une infidélité. Les producteurs et distributeurs français ne regardent pas cette ouverture vers le sud du continent sans inquiétude. L’espace francophone est un marché de plusieurs millions de cinéphiles et il est évident qu’ils ne souhaitent pas le partager avec un autre.

Après ces deux cinéastes, nous ne connaissons pas d’autres tentatives ou tentations australes. L’échec des deux grands cinéastes a certainement échaudé les cinéastes francophones. Le double risque de ne pas être adopté par le public sud-africain et d’être mis au ban par les amateurs et les professionnels français des cinémas d’Afrique fait que le pont levis est en train d’être levé entre ces deux régions si proches et si lointaines…

Les premières tentatives ont-elles été maladroites ou trop précoces,venues avant que les conditions d’une vraie rencontre ne soient là ? Il est évident que nombre de cinéastes de l’Afrique de l’Ouest francophone auraient aimé que leur cinéma tirât force et réussite en se tournant vers l’industrie de l’Afrique du Sud. Pour tous, ç’aurait été une fierté que la boussole  du cinéma en Afrique indiquât le Sud, l’Afrique du Sud suscitant une aimantation assez forte pour rompre le tropisme vers le Nord.



lundi 19 octobre 2015

Le griot dans la cité moderne : un vestige du passé





Le griot a-t-il sa place dans la cité africaine. ? On peut en douter au regard de ce qu’il est devenu dans Ouagadougou, c’est-à-dire un quasi-mendiant qui hante les cabarets et les cérémonies de mariages.

Cette scène se passe à Ouagadougou, en ce mois de novembre, dans un jardin public transformé en bar, où les buveurs sont répartis autour des tables sous les paillottes et à l’ombre des arbres. Dans ce bar passent les vendeurs de vêtements, de portables et de maints autres bibelots qui slaloment entre les clients pour présenter leurs marchandises.

C’est là que s’amènent  deux griots, un jeune homme en jean et un vieil homme, sur une vieille moto chinoise pétaradante. Ils descendent et garent la moto à l’ombre d’un aacacia. Celle-ci est penchée sur une béquille branlante. Ses rétroviseurs cassés, ses capots éclatés et son phare éborgné lui donnent l’air d’une sauterelle qui serait passée entre les doigts d’un gosse cruel qui lui aurait méthodiquement brisé les antennes, cassé les brisées et fracassé la mandibule.

Le vieil homme porte un boubou trop grand pour lui, qui fut blanc mais qui tire maintenant vers le roux  avec les éclaboussures  de cola, les taches de  poussière et les souillures diverses. On devine que c’est un père et un fils. Le vieil homme a les yeux rouges d’alcool et la démarche mal assurée des grands buveurs. Après un regard qui a balayé le bar comme un périscope, le vieux ramasse son boubou pour le serrer près de son corps, prend une allure digne et raide comme un pieu, et s’avance vers les buveurs.

Le jeune garçon le suit. Mais dès qu’il ouvre la bouche pour louanger un homme assis avec trois femmes, celui-ci lui  tend rapidement une pièce et lui fait signe de poursuivre son chemin. Il esquisse un sourire forcé qui ouvre ses lèvres sur une grimace. La pièce disparait dans une fente du boubou. On sent qu’il est vexé par l’attitude de l’homme qui lui a tendu la pièce comme on jette un os à un chien pour qu’il arrête d’aboyer.

Il s’en va vers une autre table. Suivi par le jeune griot. Il recommence sa louange et s’époumone dans l’indifférence des buveurs qui continuent à converser sans un regard pour le griot. Voyant qu’il ne tirera rien de ces hommes, le vieil homme se tait brusquement, réajuste son bonnet, remercie et poursuit sa ronde. A chaque table, la même indifférence comme s’il est transparent, invisible. Il trouvera néanmoins un ou deux hommes qui, touchés par sa misère lui glisseront quelques pièces.

Et pourtant, il fut un temps pas très lointain où le griot avait une fonction capitale dans la société africaine. Chaque griot était attaché à une famille nobiliaire dont il avait à charge de conserver les traces à travers le temps. Les griots étaient les dépositaires de l’histoire de leur société. Enfant, dès qu’il savait parler, son père lui apprenait à exercer sa mémoire, à retenir les grands récits, les mythes fondateurs, les généalogies des familles, à chanter et à jouer d’un instrument de musique.

Dans les cours royales, le griot était à la droite du monarque dont il était l’oreille et la bouche. C’est à travers lui que le roi parlait. Il était le confident des puissants et le gardien de la table des lois. En retour, il était pris en charge par la société. L’Histoire a retenu les plus célèbres comme Balla Fasséké qui fut le griot de Soundjata Kéita et ce que l’on sait du fondateur de l’empire manding est la geste que ses descendants ont conservé à travers les siècles.

Et puis avec la colonisation, ce monde-là a commencé à se désagréger et a fini par s’évanouir comme un rêve. Dans la société nouvelle, le griot n’est plus rien. C’est un importun qui hante les mariages et les débits de boissons pour survivre. C’est pour cela le vieil griot, nostalgique de cet âge d’or noie son chagrin dans l’alcool avec les maigres pièces que les gens lui jettent.
Quand par un pur hasard, il rencontre dans ce bar un descendant de la famille princière dont sa famille était les griots, il l’interpelle de loin. Comment reconnait-il celui-ci ? Peut-être à une ressemblance, un trait de famille ou une intuition.   

Devant le jeune homme, sa mémoire se réveille, sa langue devient plus alerte, il se redresse, sa poitrine se gonfle d’orgueil. Il énumère la généalogie depuis des siècles, les patronymes se bousculent dans sa bouche, s’épanouissent et éclatent comme un feu d’artifice. Il dit les hauts faits de guerre des aïeuls, rappelle les batailles gagnées et les grands gestes fondateurs de la tribu.
Il s’anime, retrouve de la vigueur,  va et vient, gesticule, pointe le doigt sur le prince pour le signaler aux autres, prend le ciel à témoin. 

Le vieux griot est transfiguré, il est heureux que la providence ait mis ce descendant d'Idrissa Demba sur son chemin. Ce qui lui permet de donner la pleine mesure de son talent. Le Prince n’a qu’un billet froissé de mille francs à lui offrir mais le vieil griot n’en a que faire. Ce n’est pas l’argent qui lui importe. Il a eu une scène pour déployer son talent.

Son fils a été témoin de sa prestation. Devant lui, il lui a montré ce qu’il est capable de faire. Portant il est facile d’imaginer que  ce jeune ronge son frein à côté de son père en le conduisant. Il ne sera pas griot. Il connaît trop la misère  dans laquelle baigne son papa pour lui emboîter le pas. Il rêve certainement d’ un destin de comédien comme Sotigui Kouyaté ou de vedette de la musique comme Mory Kanté.

Le fils et le père  repartent sur leur moto tonitruante. Le vieux griot derrière la moto est devenu un petit point blanc qui a disparu dans le trafic, emporté dans le  tumulte d’une époque qui le condamne à être un pochard et un  clochard.

jeudi 3 septembre 2015

Arts et vandalisme: Pas touche nos monuments !

La Verseuse d'eau vêtue de cotonnade
De plus en plus, à Ouagadougou, on voit des monuments retouchés par des gens qui les déparent en croyant les parer avec des vêtements ou des accessoires de mode. Cette semaine, beaucoup de monuments ont été transformés en mannequins pour la promotion du Danfani. Ce phénomène de relooking n’est-il pas un vandalisme soft qui peut ouvrir la porte à tous les travers?

Que ce soit le fait d’inconnus ou des structures connues, le vandalisme des œuvres d’art et surtout des monuments est devenu courant et tend à être accepté comme allant de soi. Ainsi au nom de la promotion de la filière du Faso Danfani, plusieurs monuments ont été habillés en tenues de notre cotonnade nationale.

Le monument qui fait le plus les frais de ce vandalisme est la Verseuse d’eau située au rond-point des Nations Unies. On lui avait auparavant mis des verres  solaires et un chapeau. Depuis une semaine, on l’a habillée d’un ensemble Faso Danfani. D’autres monuments ont aussi été vêtus de la fameuse cotonnade. A-t-on le droit de changer ainsi la physionomie des œuvres d’art sans tomber dans le vandalisme.

Il est vrai que des œuvres célèbres ont été parfois habillées pour des causes nobles. Ainsi le Mannekin Pis, le célèbre garçon pisseur de Bruxelles, a été quelques fois habillé dans des circonstances bien particulières. D’abord il faut préciser que contrairement à nos sculptures, celle-ci représente un enfant totalement nu. Louis XV lui avait ainsi offert une tenue de chevalier. Le monarque voulait que les Bruxellois lui pardonnent  le vol de la statuette par ses sujets. Le Mannekin Pis a parfois porté des tenues dans le but de rendre hommage à  une profession ou un grand artiste.

 Avouons que nous sommes, dans le cas de notre Danfani, loin de cela. D’abord ce n’est pas un monument  mais plusieurs qui sont vandalisés et aucun des nôtres n’est nu.
La question qui  importe  donc est de savoir s’il est normal de défigurer une œuvre d’art au nom de la visibilité d’un produit, soit-il d’importance capitale pour l’émergence de la filière coton.

Y répondre par l’affirmative, au nom de la logique économique, c’est tomber dans un cynisme de mauvais aloi et ouvrir la porte à tous les excès. Car après avoir cédé aux vendeurs de Fani Danfani, pourra-t-on légitiment interdire aux marchands de perruques de coiffer les sculptures de la capitale de leur pompon capillaire ? 

Et quand l’envie viendra aux vendeurs de colorants qui peinturlureront les œuvres, pourra-on leur opposer un refus ?
Et si d’aventure, après les marchands de foire, venaient les marchands de foi ? Quand des prédicateurs prosélytes  se piqueraient de mettre le Saint Coran ou la Sainte Bible entre les mains de l’écolier du monument du savoir… Si durant le mois de ramadan prochain, des barbus prudes décidaient de faire porter le voile intégral à toutes les sculptures de femmes pour cacher leurs protubérances. Que leur opposer ?

Il n’est pas interdit pour des promoteurs d'un produit d’utiliser l’espace public pour sa visibilité ou même d’utiliser l’art pour sa promotion. Si les médias traditionnels comme les journaux papier, les télés, les écrans publics ne leur suffisent pas, les promoteurs du Faso Danfani ont le droit de faire appel à des artistes : ceux-ci pourraient créer des œuvres à partir de leur matériau : des poupées, des sculptures, des installations qu’ils pourraient  exposer le temps qu’il faut aux points stratégiques de la Capitale.

Mais un monument ne devrait en aucun cas être un support publicitaire ! Une sculpture n’étant ni pas un VRP ou un homme sandwich d’une entreprise, quelle qu’elle soit. Attifer d'une tenues un monument de bronze déjà vêtu , même pour une bonne cause, n’est rien d’autre que du vandalisme même si c’est  à dose homéopathique. Pour sûr, ce vandalisme-là n’opère ni à la dynamite ni au marteau pilon, mais cela  altère la fonction et le message de ce monument.

Ces actes de vandalisme soft commis avec la bénédiction des autorités communales, du ministère en charge de la culture et le mutisme des artistes nous interrogent sur l’importance que l’on donne aux œuvres d’art dans ce pays. Si ces commerçants de pagne avaient emballé le dôme de la mosquée centrale ou la croix de la cathédrale dans du pagne pour des motifs publicitaires, on aurait eu droit à tout un raffut du diable. Comparaison n’est bien sûr pas raison mais ces monuments doivent aussi avoir la même auréole de respect..

Aussi, messieurs les habilleurs, ôtez  de notre vue  ces pagnes que nous ne saurions voir sur nos monuments !