Ciné Burkina |
Comment
évoquer les rapports entre les cinémas de l’Afrique occidentale
francophone et celui de l’Afrique du Sud sans utiliser le passé ? Et
même en parler au passé (dé)composé tant les premiers contacts ne
débouchèrent sur rien. Retour sur ces rendez-vous manqués à travers deux
cinéastes : Souleymane Cissé et Idrissa Ouédraogo.
L’Afrique du Sud ne fut jamais une terra incognita pour l’Afrique de
l’Ouest francophone, car si aucun ressortissant de l’Afrique de l’Ouest
ne souhaitait y poser les pieds pendant l’Apartheid, ce territoire à la
pointe australe du continent ne fut cependant jamais absent des
préoccupations politiques et artistiques de cette région.
En effet, l’Afrique de l’Ouest a été solidaire de ces frères noirs
qui vivaient sous le régime ségrégationniste de l’Apartheid. Une
solidarité qui se manifestait à travers la musique, la littérature et un
peu moins dans le cinéma. On se rappelle Thomas Sankara, le chef de
l’Etat du Burkina Faso, offrant quelques kalanichkov au représentant de
l’ANC à l’OUA (actuelle UA) pour soutenir leur combat pour l’égalité
raciale!
Avec la fin de l’Apartheid, le retour de ce grand pays dans les
nations du continent apparaissait comme celui de l’enfant prodigue.
Puissance économique, militaire et culturelle, l’Afrique du Sud était
perçue comme la locomotive qui allait tirer le continent vers le
développement. Et les cinémas de l’Afrique de l’Ouest francophone
attendaient beaucoup de la première industrie cinématographique du
continent.
Le cinéma sud-africain est un miracle, vu d’Afrique de l’Ouest
francophone. Boycotté par le reste du monde pour son régime de
ségrégation, ce pays a développé en serre une véritable industrie
cinématographique comprenant la production, la distribution,
l’exploitation et les studios sur le modèle hollywoodien avec
l’accompagnement de l’Etat.
Claude Forest dans Le cinéma en Afrique :
l’impossible industrie notait que Ster Kinekor disposait en 2010 de 418
écrans (58 complexes, 60 000 fauteuils) avec une part de marché de 65 %
pour 17 millions de tickets vendus. A côté de Ster Kinekor, il y a deux
autres géants de la distribution que sont Nu-Metro Distribution (NMD) et
United International Pictures (UIP) qui se partagent le reste
du marché.
du marché.
D’Afrique francophone, on découvrait des films sud-africains en V.O.
si proches des films hollywoodiens. Nerveux, rythmés, servis par
d’excellents comédiens et bâtis sur des scénarios haletants. Mon nom
est Totsi de Gavin Hood a emballé le public ouagalais lors du Fespaco
2007. Par la suite, ces films en poussant loin les excès et en perdant
de leur nouveauté vont moins séduire. Ainsi, Four Corner de Ian Gabriel
qui s’inscrit dans la veine de Mon Nom est Totsi n’a pas retenu
l’attention des cinéphiles du Fespaco 2015. Au début, c’était
l’émerveillement devant ces films venus du Sud et la fascination devant
la puissante machinerie cinématographique qui les fabrique.
L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud se tiennent aux deux
extrêmes de l’industrie cinématographique. D’un côté, il y a un cinéma
dans toute sa splendeur et de l’autre, un cinéma anémique, sous
perfusion, qui n’existe pas en tant qu’industrie mais seulement par ses
réalisateurs.
Et pour compliquer les choses, la concurrence de nouvelles
images comme celles de la télévision, des DVD, des VCD et du téléphone
portable vont réduire le public des cinémas de l’Afrique francophone
comme peau de chagrin et entraîner la fermeture des salles. Par
conséquent, c’est la loi physique de l’appel d’air qui devrait être à
l’œuvre entre ces deux mondes-là. Le cinéma francophone n’attendant
qu’une occasion de s’engouffrer dans la brèche.
Deux éclaireurs, les meilleurs de leur génération
Le premier contact entre les deux cinémas se fera par le truchement de la création cinématographique et non par des contrats de producteurs. Cette approche se fera donc à travers des films sur l’Afrique du Sud. Souleymane Cissé tourne Waati, une histoire sud-africaine, en 1995 et Idrissa Ouédraogo réalise Kini et Adams en 1997. Ces films visent à jeter un pont entre les deux publics en donnant à voir ici et là-bas les réalités des communautés sud-africaines. Ainsi, l’écran donnerait à voir aux deux communautés ce qu’un autre écran, politique celui-là, a caché pendant longtemps.
Waati fut un des films africains francophones
les plus chers de l’époque. Daniel de Toscan Plantier, le producteur
délégué, ne mégota pas sur le budget. Ce film suit la trajectoire d’une
adolescente sud-africaine qui quitte son pays à la suite du meurtre de
son père par un policier et que les tribulations mèneront à travers
l’Afrique occidentale. Dans la distribution, il y a des acteurs
sud-africains et des acteurs maliens et ivoiriens.
Malheureusement, ce film n’ouvrira pas les portes de salles
sud-africaines ni ne débouchera sur des collaborations futures avec le
cinéma sud-africain. Il ne sera pas non plus bien reçu par le public
francophone et surtout hexagonal. Dans les Inrocks, le critique Vincent
Ostria finira son article sur Waati par ce conseil cruel au réalisateur :
« Cissé a donc présumé de ses forces. On espère qu’il redeviendra vite
le chantre de l’Afrique mythique. » Comme pour dire que le réalisateur
africain est condamné à filmer des histoires mythiques et jamais le
contemporain ou le quotidien. Ce film sera d’ailleurs le dernier grand
film de Souleymane Cissé.
Idrissa Ouédraogo n’aura pas plus de baraka avec Kini et Adams. Cette histoire d’une longue amitié d’hommes, mise à l’épreuve par l’ouverture d’une mine dans le village, tourné au Zimbabwe, n’ouvrira pas de collaboration entre le réalisateur burkinabè et les cinéastes sud-africains. Ce film, le plus abouti de sa filmographie, avec des comédiens anglophones superbement dirigés, bien qu’il soit sélectionné à Cannes 1997 pour la Palme d’or, aura un accueil mitigé.
Comme si le
monde du cinéma français reprochait à son cinéaste chouchou de cette
époque de lui faire une infidélité. Les producteurs et distributeurs
français ne regardent pas cette ouverture vers le sud du continent sans
inquiétude. L’espace francophone est un marché de plusieurs millions de
cinéphiles et il est évident qu’ils ne souhaitent pas le partager avec
un autre.
Après ces deux cinéastes, nous ne connaissons pas d’autres tentatives
ou tentations australes. L’échec des deux grands cinéastes a
certainement échaudé les cinéastes francophones. Le double risque de ne
pas être adopté par le public sud-africain et d’être mis au ban par les
amateurs et les professionnels français des cinémas d’Afrique fait que
le pont levis est en train d’être levé entre ces deux régions si proches
et si lointaines…
Les premières tentatives ont-elles été maladroites ou trop précoces,venues avant que les conditions d’une vraie rencontre ne soient là ? Il
est évident que nombre de cinéastes de l’Afrique de l’Ouest francophone
auraient aimé que leur cinéma tirât force et réussite en se tournant
vers l’industrie de l’Afrique du Sud. Pour tous, ç’aurait été une fierté
que la boussole du cinéma en Afrique indiquât le Sud, l’Afrique du Sud
suscitant une aimantation assez forte pour rompre le tropisme vers le
Nord.
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