Tout mur est une porte. Emerson

mercredi 19 septembre 2012

Le cinéma scrute l’histoire burkinabè

Ce documentaire de Dimanche Yaméogo est une production Semfilms. La caméra piste Boukary Kaboré dit le Lion, officier de l’armée burkinabé, frondeur après le putsch du 15 octobre 1987 qui, depuis son retour, mène une double vie de chef de parti et de cultivateur. Un film sur une période trouble de l’histoire récente. Les images film montrent que Boukary Kaboré n’a pas usurpé son surnom de lion. La barbe et la chevelure forment une blanche crinière qui cerne un visage léonin avec des yeux de braise. La taille est haute, les bras puissants, les mains immenses avec des doigts démesurées. Du roi de la brousse, il a aussi les colères rugissantes et la dent dure. Il découvre vite les dents pour mordre surtout lorsqu’il évoque l’arrêt de la Révolution d’août 83. La caméra suit le Lion et dessine le portrait d’un homme de soixante-deux ans qui a eu plusieurs vies. D’abord l’enfance dans un village de Koudougou, puis la venue à Ouaga au Prytanée militaire où il rencontre Thomas Sankara, la découverte du sport qui révèle ses qualités de champion dans beaucoup de sports de main comme le lancer de javelot, le saut en hauteur et enfin l’influence d’Adama Touré, syndicaliste et professeur d’histoire qui sèmera la graine marxiste dans la tête de ses jeunes élèves qui deviendront, quelques années plus tard, les leaders de la Révolution d’août 83. On suit le capitaine redevenu cultivateur labourant son champ avec des ouvriers pour trouver sa pitance et aussi en réunion politique avec ses militants mais son parti sankariste ne semble pas ratisser au-delà du cercle des anciens compagnons d’armes. Ce film revient surtout longuement sur la période révolutionnaire , en ces temps où Boukary le Lion était chef du BIA−le Bataillon d’intervention aéroporté de Koudogou−et sur les jours qui suivirent le putsch du 15 octobre 1987 avec son entrée en résistance où il annonçait, sur les ondes de Radio France internationale (RFI), que lui et son demi-millier de paras s’opposaient au nouveau régime du Front populaire dirigé par Blaise Compaoré. Une offesive de l’armée loyaliste sur la ville de Maurice Yaméogo laisserait des souvenirs amers. Le Lion réussit à s’éclipser au Ghana. Cette fuite qui a contribué à bâtir sa légende est reconstituée dans le film ; on voit le Lion, lunettes noires et un keffieh palestinien autour de la tête, roulant sur une mobylette CT à travers des pistes vicinales. Son retour sur la tombe commune où reposent ses compagnons d’armes est un moment de vérité du film car c’est seulement là que la cuirasse de marbre du Lion se fissure, on découvre dans la voix qui bafouille et dans le regard triste, l’extrême solitude et la culpabilité du survivant. Après la version officielle de la fin de la Révolution délivrée par les vainqueurs, ce film donne une autre version, celle du Lion. Pour autant, la vérité historique n’est pas rétablie, non que Boukary Kaboré ne soit pas sincère dans sa lecture des évènements mais parce que cela n’entrait pas dans la préoccupation du réalisateur. L’eut-il souhaité qu’il eut triangulé la version du personnage principal avec d’autres versions, ce qui aurait permis de mieux cerner les contours de l’époque et de capter les lignes de partage entre les différents protagonistes. Même la version du Lion aurait été mieux servie s’il avait donné la parole à d’autres témoins, recouru aux coupures de presse et aux documents audio-visuels de l’époque. Mais le réalisateur a choisi de servir la geste du Lion à travers l’œillère du Lion. Ce docu de 52 minutes a néanmoins le mérite de mettre le projecteur sur un pan méconnu de notre histoire malgré son caractère hagiographique qui limite sa portée en tant que document historique. Toutefois, on peut bien s’accommoder des petits arrangements avec la vérité, si cela peut servir à donner une dimension héroïque aux protagonistes de notre histoire nationale et à offrir à la jeune génération des modèles et des motifs de fierté. C’est à ce prix que se construit une nation selon Renan qui disait dans Qu’est-ce qu’une nation ? que « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien de choses». Ce film est-il le présage que notre cinéma va s’intéresser enfin à notre histoire ? Il faut l’espérer car le cinéma, la fiction bien plus que le documentaire, peut aider à bâtir la nation qui, comme le septième art, est une image projetée avant d’être une réalité. Et le cinéma a la capacité de construire de grands récits et des mythes autour desquels tous les Burkinabè peuvent se retrouver. « On peut violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », concédait Alexandre Dumas.