Tout mur est une porte. Emerson

dimanche 3 avril 2011

Création littéraire : Inspiration ou transpiration ?

L’artiste inspiré, dont les œuvres naissent sans effort semble un mythe qui a vécu. Aujourd’hui, nombre d’écrivains, et pas des moindres ne cachent pas que les livres naissent d’un grand labeur. Alors l’écriture, inspiration ou transpiration ?
Longtemps les écrivains ont contribué à bâtir cette image d’Epinal du poète inspiré, dont les vers sont soufflés par des Muses ou par une transcendance. Il y avait de la coquetterie à parler de l’art comme chu du ciel comme les révélations de prophètes. L’écrivain étant l’égal du prophète, son langage est sacré et recèlerait de profondes vérités sur le monde. Hugo se prend pour un mage, Rimbaud se fait voyant, Paul Valery pensait que le premier vers était « enthousiaste » c’est-à-dire un don divin. Mêmes les romanciers se glissent dans ce mythe et parlent de fulgurance, d’œuvres qui s’écriraient d’elles-mêmes, des personnages qui mèneraient l’histoire. Comme si le roman aussi était donné par des instances supérieures. Ainsi Julien Gracq, Paul Auster, et maints autres prosateurs perpétuent ce mythe.
Par conséquent, l’arrière-boutique où l’écrivain fabrique ses vers ou ses phrases doit être caché au public. Il y a de la gêne à évoquer le travail souterrain de l’écrivain, car le génie ne sue pas à la tâche. Le quidam doit ignorer que l’écrivain est un forçat de la plume. Aussi ceux qui ne cachent pas qu’ils travaillent quotidiennement et ardemment sont suspectés de manquer de talent. Honoré de Balzac et Alexandre Dumas, ses grands scribouillards qui inondent la presse de feuilletons, qui ont un rythme de parution infernale ne sont pas considérés comme des créateurs, ce sont des…producteurs de prose.
Mais à partir du 20ème siècle il y a un changement de perspective. L’image de l’écrivain bohème, illuminé, vagabond céleste se lézarde. Le travail est une valeur. Un homme doit produire. Ne plus se croiser les doigts en attendant que la Muse ou le ciel veuille bien souffler à l’écrivain son œuvre. Aussi l’écrivain se veut un travailleur comme tout autre. « L’inspiration, c’est une invention des gens qui n’ont jamais rien créé. Nous entretenons la légende pour nous faire valoir, mais entre nous, c’est un bluff. Le poète ne connaît que la commande. », déclare Jean Anouilh.
Maintenant les écrivains affirment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir du talent, la volonté et la persévérance suffisent. Aussi le dernier Nobel de littérature, Mario Verga Llosa, a rendu un vibrant hommage à Flaubert pour son… manque de talent :
« Il m’a appris que lorsqu’on n’a pas reçu le talent de manière innée, qu’on n’est pas spécialement doué, il faut se construire soi-même son propre talent par la discipline, la persévérance, la patience, l’autocritique. Lorsqu’il a commencé, il en était dépourvu. Il a été un fanatique du travail. Ce fut déterminant dans ma vocation d’écrivain. J’ai persisté et, si je suis là, c’est grâce à son exemple. »
Patratra ! L’écrivain dégringole de son piédestal. Il redescend sur terre. Devient un ouvrier du langage, un artisan qui cherche, tâtonne, bricole et qui, petit à petit arrive à se faire la main et à fabriquer des livres qui plaisent. D’ailleurs, cette conception de l’art d’écrire n’est que le juste retour aux choses parce que poète vient de poeïen qui signifie en grec, " faire ", " fabriquer ». Donc, dès l’origine, le poète et le romancier ne sont que des fabricants de langage.
En vérité, un écrivain, c’est un séant vissé sur un tabouret pendant des heures, un stylo qui noircit sans arrêt les pages blanches d’un carnet pour la vieille garde ou des doigts qui courent et s’ankylosent sur le clavier d’un PC pour les jeunots, chaque jour, chaque nuit. Ce sont aussi des ratures, des biffures, des réécritures, encore et encore jusqu’à ce que émerge un texte publiable. Et cela, tous les hommes de bonne volonté peuvent le faire.
N’est-ce pas pour ça que dans les universités américaines, il y a des cours et des ateliers d’écriture pour apprendre à écrire et à en vivre. On devient écrivain comme on devient pilote, médecin ou danseur…par l’apprentissage !
De nos jours, il y a une nouvelle race d’écrivains qui refusent de transpirer pour faire des livres. Ils utilisent… des nègres ou pillent les œuvres des confrères. Le journaliste- animateur-écrivain PPDA est accusé d’avoir plagié une centaine de pages à la biographie consacrée par Peter Griffin à l’auteur du vieil homme et la mer. Une célèbre écrivaine Franco-camerounaise dont j'ai oublié le nom traîne une sulfureuse réputation de plagiaire.
La République des lettres est désormais ouverte à tous les scribouillards de la terre.