Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 3 septembre 2015

Arts et vandalisme: Pas touche nos monuments !

La Verseuse d'eau vêtue de cotonnade
De plus en plus, à Ouagadougou, on voit des monuments retouchés par des gens qui les déparent en croyant les parer avec des vêtements ou des accessoires de mode. Cette semaine, beaucoup de monuments ont été transformés en mannequins pour la promotion du Danfani. Ce phénomène de relooking n’est-il pas un vandalisme soft qui peut ouvrir la porte à tous les travers?

Que ce soit le fait d’inconnus ou des structures connues, le vandalisme des œuvres d’art et surtout des monuments est devenu courant et tend à être accepté comme allant de soi. Ainsi au nom de la promotion de la filière du Faso Danfani, plusieurs monuments ont été habillés en tenues de notre cotonnade nationale.

Le monument qui fait le plus les frais de ce vandalisme est la Verseuse d’eau située au rond-point des Nations Unies. On lui avait auparavant mis des verres  solaires et un chapeau. Depuis une semaine, on l’a habillée d’un ensemble Faso Danfani. D’autres monuments ont aussi été vêtus de la fameuse cotonnade. A-t-on le droit de changer ainsi la physionomie des œuvres d’art sans tomber dans le vandalisme.

Il est vrai que des œuvres célèbres ont été parfois habillées pour des causes nobles. Ainsi le Mannekin Pis, le célèbre garçon pisseur de Bruxelles, a été quelques fois habillé dans des circonstances bien particulières. D’abord il faut préciser que contrairement à nos sculptures, celle-ci représente un enfant totalement nu. Louis XV lui avait ainsi offert une tenue de chevalier. Le monarque voulait que les Bruxellois lui pardonnent  le vol de la statuette par ses sujets. Le Mannekin Pis a parfois porté des tenues dans le but de rendre hommage à  une profession ou un grand artiste.

 Avouons que nous sommes, dans le cas de notre Danfani, loin de cela. D’abord ce n’est pas un monument  mais plusieurs qui sont vandalisés et aucun des nôtres n’est nu.
La question qui  importe  donc est de savoir s’il est normal de défigurer une œuvre d’art au nom de la visibilité d’un produit, soit-il d’importance capitale pour l’émergence de la filière coton.

Y répondre par l’affirmative, au nom de la logique économique, c’est tomber dans un cynisme de mauvais aloi et ouvrir la porte à tous les excès. Car après avoir cédé aux vendeurs de Fani Danfani, pourra-t-on légitiment interdire aux marchands de perruques de coiffer les sculptures de la capitale de leur pompon capillaire ? 

Et quand l’envie viendra aux vendeurs de colorants qui peinturlureront les œuvres, pourra-on leur opposer un refus ?
Et si d’aventure, après les marchands de foire, venaient les marchands de foi ? Quand des prédicateurs prosélytes  se piqueraient de mettre le Saint Coran ou la Sainte Bible entre les mains de l’écolier du monument du savoir… Si durant le mois de ramadan prochain, des barbus prudes décidaient de faire porter le voile intégral à toutes les sculptures de femmes pour cacher leurs protubérances. Que leur opposer ?

Il n’est pas interdit pour des promoteurs d'un produit d’utiliser l’espace public pour sa visibilité ou même d’utiliser l’art pour sa promotion. Si les médias traditionnels comme les journaux papier, les télés, les écrans publics ne leur suffisent pas, les promoteurs du Faso Danfani ont le droit de faire appel à des artistes : ceux-ci pourraient créer des œuvres à partir de leur matériau : des poupées, des sculptures, des installations qu’ils pourraient  exposer le temps qu’il faut aux points stratégiques de la Capitale.

Mais un monument ne devrait en aucun cas être un support publicitaire ! Une sculpture n’étant ni pas un VRP ou un homme sandwich d’une entreprise, quelle qu’elle soit. Attifer d'une tenues un monument de bronze déjà vêtu , même pour une bonne cause, n’est rien d’autre que du vandalisme même si c’est  à dose homéopathique. Pour sûr, ce vandalisme-là n’opère ni à la dynamite ni au marteau pilon, mais cela  altère la fonction et le message de ce monument.

Ces actes de vandalisme soft commis avec la bénédiction des autorités communales, du ministère en charge de la culture et le mutisme des artistes nous interrogent sur l’importance que l’on donne aux œuvres d’art dans ce pays. Si ces commerçants de pagne avaient emballé le dôme de la mosquée centrale ou la croix de la cathédrale dans du pagne pour des motifs publicitaires, on aurait eu droit à tout un raffut du diable. Comparaison n’est bien sûr pas raison mais ces monuments doivent aussi avoir la même auréole de respect..

Aussi, messieurs les habilleurs, ôtez  de notre vue  ces pagnes que nous ne saurions voir sur nos monuments !