Projecteur
a rendu visite à Sophie Heidi Kam, la première femme dramaturge du Burkina
Faso. Ecrivaine prolifique, elle est poétesse, nouvelliste, romancière et
dramaturge. Elle a été distingué huit fois, excusez du peu, au GPNAL (Grand
prix national des arts et des lettres) de la Semaine nationale de la culture.
C’est une grande dame des lettres qui nous a reçu pour parler de sa passion.
L’Observateur Paalga
: Y a-t-il un endroit et un moment propice pour écrire ?
Sophie
Heidi Kam :
En général, j’écris beaucoup plus dans la concession familiale, dans l’espace
du salon de mon célibatorium. Parfois je squatte une salle du bureau de mon
oncle entrepreneur à Gounghin, quartier de Ouagadougou, à la descente des
employés, aux environs de 16H et cela jusqu’à 22 ou 23H. Cela me permet de
profiter du calme nécessaire pour une bonne concentration. Mes moments
privilégiés sont la nuit pour laquelle je voue une fascination extraordinaire.
Il m’arrive cependant de prendre des notes dans la journée à la maison ou dans
des lieux publics.
L’Obs :
Sur quel support écrivez-vous ?
Sophie
Heidi Kam :
La plupart de mes textes naissent d’abord et surtout sur les pages d’un cahier
d’écolier, sur des feuilles volantes quand le besoin de prendre des notes me
surprend loin de chez moi ou sur mon carnet d’adresses. Parfois, c’est sur mon
téléphone portable. Une fois dans mon univers de travail, je retravaille ces
notes, j’évalue le style à travers lequel je pourrais donner forme à la
décharge émotionnelle qui m’a submergée et qui a été à la base de ces prises de
notes. C’est alors que je commence à pianoter sur le clavier, en essayant de
trouver les mots justes pour exprimer ce que je ressens. Par moment, il m’est
encore nécessaire de revenir à mes notes, d’essayer des passages du texte avant
de poursuivre sur l’ordi. Donc un aller-retour permanent entre les deux. J’ai
l’impression que je ne pourrai jamais me passer du contact physique avec la
plume et le papier. Un corpsàcorps, un passage charnel dont j’ai besoin avant
de gravir l’étape du clavier, qui n’en est pas moins, avec son lot de bonheur
et de plaisir d’une autre dimension certes, mais tout aussi intense.
L’Obs :
De quels ouvrages avez-vous besoin pour écrire ?
Sophie
Heidi Kam :
J’utilise le dictionnaire Larousse,
les 38 Dictionnaires et Recueils de
Correspondance ; je fais aussi des recherches sur Internet et
j’échange beaucoup avec des personnes ressources en fonction de ce que j’ai
envie d’écrire. Par exemple en poésie et dans d’autres genres littéraires en
général, le poète Boureima Jacques GUÉGANÉ
est une mine d’or que je n’hésite pas à consulter. Pour des domaines plus
techniques qui concernent la guerre, l’univers de l’armée, le langage qui y est
utilisé, je me réfère à des hommes de tenues, à la presse écrite et à des films
documentaires ; il en est de même pour les migrations clandestines ou la
condition des albinos dans nos sociétés. Récemment, j’ai dû échanger avec un
garde pénitentiaire pour m’imprégner de l’univers carcéral des femmes détenues
à la MACO ; j’ai pu ainsi bénéficier de 02 films documentaires sur la
question ; mais pour plus de vraisemblance, car il s’agit d’une pièce de
théâtre à écrire, je dois lire le Code pénal en cours au Burkina Faso et sans
doute, des échanges avec d’anciennes détenues ; ensuite, l’imaginaire et
les fantasmes de femmes en général feront le reste.
L’Obs :
Comment naît un livre? Quelle est l’étincelle qui déclenche le besoin
d’écrire ?
Sophie
Heidi Kam :
De nombreux faits peuvent déclencher en moi le besoin d’écrire : l’actualité
nationale, africaine ou hors du continent ; des faits divers, la lecture
d’un livre qui me touche profondément et qui me parle peuvent éveiller des voix
en moi qui ont besoin de s’exprimer ; des senteurs de parfums ou d’épices
qui me rappellent des moments vécus et dont les souvenirs rappliquent
soudainement ; le décès de mon père ; la nostalgie des temps passés
avec des gens qui ontcomptés pour moi ; la solitude liée à l’absence de
l’être aimé ; la douleur et la conscience de savoir que l’on a perdu cette
personne pour toujours… sont entre autres la toile de fond qui enveloppe mon
âme, constituant mon univers interne. Latents, présents, parfois oppressants ou
sommeillant. Ce sont des aspects qui s’invitent quand arrive le besoin d’écrire,
quel que soit le sujet.
Mais je dirai que l’hivernage (quand
tombe la pluie), le tonnerre, les éclairs, la foudre et le silence d’une église
sont des faits qui me mettent face à moi-même ; des pans de ma vie, mes
rapports aux autres et à la société s’éveillent ; un background qui alimente ma poésie et quelques personnages de mes pièces,
etc.
Mes
échanges avec un ami qu’à présent je vois malheureusement très peu ont
déclenché l’écriture de beaucoup de mes poèmes, d’une de mes pièces de théâtre
et de certains textes inédits ou non achevés.
Ma petite sœur Laetitia, notre
benjamine, est aussi une grande allumeuse de l’étincelle déclencheuse d’un
texte ou du profil d’un personnage que j’utiliserai dans une pièce ou un roman ;
nos causeries nocturnes dans la concession familiale, nos fous rires autour d’idées
parfois farfelues ou fantasques l’amène souvent à m’encourager à écrire sur tel
ou tel sujet, allant même à me proposer des titres comme Qu’il en soit ainsi(1er
prix du GPNAL, SNC 2012) ou encore Du caviar pour un lapin(3ème
prix GPNAL, SNC 2014)
L’Obs :
Racontez-nous la naissance de votre dernier livre.
Sophie
Heidi Kam :
Du
caviar pour un lapin, même s’il n’est pas publié peut être considéré
comme mon dernier livre. Il est encore en réécriture. L’homosexualité étant une
réalité dans notre société, j’ai voulu explorer la question en campant un
personnage féminin et son histoire d’amour avec un homme, lui aussi amoureux
d’un homme. Le personnage féminin, Gloria, est une comédienne et danseuse qui a
abandonné la scène pour cet homme dont elle ignorait le penchant sexuel.
Pendant qu’elle
attend la venue de cet homme, Tobi, Gloria se retrouve face à elle-même (ou à son
surmoi) qui s’érige en personnage ; l’affrontement, parfois conflictuel
entre elles, permet d’entrer dans l’univers des filles-mères célibataires au
Faso, victimes de tous genres de préjugés sociaux. Le regard du voisinage, de
la famille et sans oublier le fait qu’elles ressentent le besoin d’aimer, de se
sentir aimer, bref, de se caser avec mari enfants, la sécurité d’un foyer avec
un homme à soi… le drame d’un rêve brisé, pour diverses raisons. La déception
aussi.
Voilà, il n’en
faut pas plus pour dévoiler que cette pièce s’inspire de l’univers d’aujourd’hui
où de plus en plus, les individus manifestent leur besoin de laisser libre
cours à leurs envies intimes et à leurs fantasmes, afin d’expérimenter la vie
avec l’être aiméLE BONHEUR au quotidien. Ce vœu est difficilement réalisable et
l’on s’en tire avec des bleus à l’âme et deux issues possibles : soit on
s’ouvre les veines ou on s’accroche à ce qui peut être un motif de se relever
et de poursuivre sa vie, malgré tout, comme Gloria, qui se tourne vers sa
passion première, la scène.
Pour écrire ce
texte, j’ai échangé avec des comédiennes, des mères de famille qui se lamentent
de voir leurs filles vieillir sans mari, etc. Mon regard sur la question m’a
aussi aidée à camper mes personnages. A présent, le challenge est d’arriver à
donner de l’épaisseur au MOI, le personnage de Gloria qui sommeille en elle et
avec qui elle a des comptes à régler, en attentant d’être cocu par un homme,
l’amant de l’amour de sa vie. Une femme peut-elle rivaliser avec un homme qui
sort avec son copain ? Triste réalité que nos sociétés connaissent en ce
moment.
L’Obs :
Combien de temps avez-vous besoin pour finir pour achever un livre ?
Sophie
Heidi Kam :
Écrire un livre peut prendre des mois voire, des années. Tout dépend :
quand c’est une commande, on est soumis à un délai et là, cela est lié au temps
du commanditaire. Pour les œuvres d’inspiration personnelle, lorsqu’il n’y a
pas de contrainte liée au temps, ça peut prendre des semaines, des mois ou même
des années. Et ce, en fonction des enjeux. Lorsque l’on écrit par nécessité ou
juste parce que l’on a envie de s’exprimer, on se donne le temps qu’il faut.
Parfois aussi, l’on a besoin de s’exprimer quand il s’agit d’une question de
survie, avant de passer à autre chose. Dans ces conditions, il me presse de
m’exprimer à travers l’œuvre à naître, pour passer à autre chose. Que celle-ci
soit publiée ou non, cela n’a aucune importance. Pondre, pour se sentir bien dans
la tête et en phase avec ses convictions, son besoin de dire ou de sombrer. Le
temps d’écrire une œuvre et la fréquence m’importe peu, du moment où je ressens
le besoin de le faire quand cela se fait sentir. C’est une étape à mon avis qui
dépend de mon état d’âme et de la nécessité d’accéder à une harmonie avec
moi-même.Cependant, je pense que la littérature « alimentaire » est
le moyen le plus réaliste pour ne pas mourir de faim. A condition bien-sûr que
l’on n’écrive pas des navets. J’y pense et si un éditeur a la folie de me (suivre
dans ce délire, je pourrais écrire un roman par mois ! (Rires)
L’Obs : Quel est le dernier
livre que vous avez lu ou êtes en train de lire ?
Sophie Heidi Kam :
Tristesse
ma maîtresse,un recueil de poèmes deDaté Atavito BARNABÉ-AKAYI, poète béninois et enseignant de
français est le livre que je lis et relis depuis près de 06 mois. Ce livre a
été mon coup de foudre ces derniers temps. La force, l’ambivalence des images
et des symboles me renvoient à ma nudité, et trouvent un écho en moi. Pour moi,
ce recueil est un bijou de par la force du propos qui s’y déploie. La poésie,
celle de DATÉ me rassure que je ne suis
pas seule, et que ce que je ressens et écris en poésie n’est pas que
l’épanchement d’une âme isolée en proie au délire. C’est là tout le charme, la
beauté et le côté tragique de sa poésie : En poésie, il n’y a pas de place
pour la tricherie, quand on permet au cœur d’ouvrir son ventre et de parler.
L’Obs :
Sur une île, si vous devriez emporter trois livres…
Sophie
Heidi Kam :
L’œuvre
(roman) d’Emile Zola, L’An des criquets(Poésie) de
Boureima Jacques Guegané et Les Fleurs du mal (poésie) de
Charles Baudelaire. Si vous me
permettez, j’emporterai aussi la poésie de Saint-John Perse et de Senghor, peu
importe le titre du recueil.
Encadré : Œuvres publiées
Nos
jours d’hier (théâtre), Éditions Céprodif, Ouagadougou,
septembre 2013.
Pas
d’ici, pas d’ailleurs, Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines, Éditions Voix d’encre, Région Rhône-Alpes, 2012.
Le
suspect(roman pour enfants, adaptation du
troisième épisode de L’As du lycée,
série télévisée de Missa Hébié), Éditions
JETHRO SA, Ouagadougou, 2012.
L’anniversaire(roman pour enfants, adaptation du quatrième
épisode de L’As du lycée,
série télévisée de Missa Hébié), Éditions
JETHRO SA, Ouagadougou, 2012.
Podium
Doppelheft, Afrika(collectif consacré à la littérature
d’Afrique francophone), Vienne (Autriche), novembre 2011, n°161/162.
Le devoir de classe
(roman pour enfants, adaptation du deuxième épisode de L’As du lycée, série télévisée de Missa Hébié), Éditions Découvertes du Burkina, Ouagadougou, 2011.
La rentrée des classes
(roman pour enfants, adaptation du premier épisode de L’As du lycée, série télévisée de Missa Hébié), Éditions Découvertes du Burkina, Ouagadougou, 2010.
Pour un asile (poésie), Éditions Découvertes du Burkina, Ouagadougou, octobre 2009.
Quêtes (poésie, réédition) Éditions Céprodif, Ouagadougou, octobre 2009.
Sanglots et symphonies (poésie, réédition) Éditions Céprodif, Ouagadougou, octobre 2009.
Offrande (poésie), Éditions Découvertes du Burkina, Ouagadougou,
mars 2009. (Stock épuisé.)
Et le soleil sourira à la mer(théâtre), Éditions Découvertes du Burkina, Ouagadougou, 2008. (Stock
épuisé.)
Senghor Cent ans, la BD burkinabè rend hommage au Poète-président. (Album, collectif), Centre culturel français Georges Méliès,
Ouagadougou/Ateliers de Sya, Bobo-Dioulasso, 2006.
Paroles partagées, Poésie des
1000 continents, Anthologie composée et
présentée par la Maison africaine de la poésie internationale (MAPI), Dakar
(Sénégal), Les Éditions
Feu de brousse, Dakar, 2005.
« Quêtes… » (poésie), inPoésie du Burkina Faso, Vol. I, Presses
universitaires de Ouagadougou, 2005.
« Sanglots et
Symphonies » (poésie), in Poésie du Burkina Faso,
Vol. I, Presses universitaires de Ouagadougou, 2005.
« Poésie du Burkina
Faso », Grands traits caractéristiques, (article
présentant la poésie de 13 poètes burkinabè), in la revue Estuaire,
Ottawa, Canada, avril 2003, n°114.
Saison d’amour et de Colère, poèmes et nouvelles du Sahel (collectif),
Nouvelles Éditions africaines du Sénégal, Dakar, 1998.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire