Tout mur est une porte. Emerson

lundi 21 février 2011

Ouaga est une fête pendant le Fespaco.

Ouaga n’a pas belle gueule en fin février. Il fait un temps de chien avec l’harmattan dont l’haleine brumeuse cingle les visages, gerce les lèvres et mord comme un sale cabot les parties dénudées du corps. Pourtant il suffit que s’ouvre le Fespaco pour que la ville soit transfigurée. La capitale burkinabe s’éveille doucement comme une belle du jour à la lumière du matin. Et l’espace d’une semaine, Ouaga n’est plus la capitale du Burkina Faso, elle devient la capitale des cinémas d’Afrique et de la diaspora ; ses rues deviennent des ruches bruissant de mille langues avec ses milliers de pèlerins venus du monde entier célébrer le septième art : réalisateurs, acteurs, producteurs, journalistes, musiciens et simples touristes.

Durant tout le Fespaco les Ouagalais sont saisis par la fièvre du cinéma. Le pouls de la ville s’emballe comme si le cœur de la cité synchronise son rythme sur celui d’une image filmique qui court à 24 images à la seconde. Ses habitants retrouvent le chemin des salles de ciné longtemps désertées. Aussi les petites salles de cinéma qui, entre deux festivals, s’étaient assoupies se réaniment. Celles de Wemtenga, de Tampouy et de Gounghin. Leurs propriétaires les font coquettes en passant quelques couches de peinture sur les murs et en exposant sur leur devanture des affiches géantes et neuves. Les badauds s’agglutinent autour de ces affiches et commentent les films avec force détails sans les avoir jamais vus. A partir des titres ou des noms des comédiens qui s’étalent sur l’affiche, les Ouagalais ont inventé la critique divinatoire de film! Et chaque soir, des fournées de spectateurs remplissent ces cinémas pour voir les films africains, appréciant à coups de cris d’indignation ou de rires chaque plan ou chaque séquence qui passe. De sorte que le spectacle est autant sur l’écran que dans le public. Ce public populaire et vivant retrouve dans ces petites salles non couvertes son « école du soir ».

Quant aux trois autres cinémas de Ouaga, qui sont des salles couvertes, le Nerwaya, le CCF et le ciné Burkina, ils refusent du monde. Et même si le public de ces salles, constitué d’étudiants et de travailleurs, est plus timoré que l’autre, il arrive qu’il fasse le coup de force pour accéder à la salle de projection. Surtout quand le « bouche à oreille » a bien parlé du film à l’affiche. On assiste alors à des bousculades et des empoignes monstres. Après des talons aiguilles et de boutons de chemise jonchent le sol et témoignent de la rudesse de la mêlée. Et les pickpockets en profitent parfois pour délester les cinéphiles inattentifs de leur porte-monnaie. A l’intérieur des salles bondées, on voit des spectateurs assis dans les allées, quelque fois des jeunes hommes au grand coeur offrent leurs jambes comme sièges aux cinéphiles debout pendant la séance. Particulièrement quand ces cinéphiles sont de belles esseulées.

Mais le Fespaco est aussi un espace de rencontres. Les cinéphiles voient en chair les comédiens qui les ont fait rêver et les réalisateurs des films qui les ont marqués. Dans l’espoir de rencontrer ces comédiens et ces réalisateurs, le public se rend dans les halls ou autour de la piscine des hôtels et dans les lieux où s’organisent les conférences sur les films projetés. Aussi peut-on croiser l’africain américain Danny Glover dans un couloir, le Mauritanien Abderrhamane Cissako au bar de l’hôtel, serrer la main du Burkinabe Idrissa Ouédraogo ou du Malien Cheick Modibo Diarra, le parrain du Fespaco 2009 et tailler une bavette avec une belle actrice autour de la piscine.

Il y a aussi la foire commerciale organisée par l’Office national du commerce extérieur qui est un lieu de rencontres très couru. Entre les stands d’artisanat et d’art, il y a les stands loués par des bars ou des restaurants de la ville, qui accueillent autour des bouteilles de bière et du fumet des brochettes les Ouagalais et les festivaliers venus de tous les continents.
Aux abords des hôtels et dans les rues, déambulent aussi les vendeurs à la sauvette qui promettent l’objet d’art ou le bijou rarissime à un prix imbattable et espèrent fourguer leur camelote à quelques riches gogos. Beaucoup de commerces profitent de la manne qu’apporte le Festival dans la ville. Vendeurs d’objets d’art, d’artisanat, de pagnes tissés, ou restaurateurs et hôteliers se frottent les mains pendant le Festival. Même les journaux augmentent leurs tirages ! Et quelques jours avant la proclamation du jury du Fespaco, il y a les conjectures et des débats enflammés dans la ville sur le film qui remportera l’Etalon de Yennenga. Dans les gargotes, les écoles et les bureaux de Ouaga, les paris courent…Et les résultats du jury font toujours des heureux et des mécontents comme si les Ouagalais passaient le Bac.
Et lorsque les lampions du Fespaco s’éteignent au bout d’une semaine, après une grandiose cérémonie de clôture et des feux d’artifices qui illuminent les ciels de la ville, Ouagadougou et ses habitants ont fait suffisamment provision de rêves et d’images pour affronter les soucis quotidiens de la vie chère et attendre la prochaine édition.
Le temps du Fespaco, Ouagadougou vaut bien un film ! Qu’attendent donc les réalisateurs africains pour en faire une héroïne sur pellicule.