Tout mur est une porte. Emerson

samedi 16 février 2013

Gasse Galo de Yacouba Traoré: Une traversée de l’histoire nationale


Yacouba Traoré à travers ce livre évoque ses souvenirs d’enfance et de journaliste et expose ses méditations sur le métier de journaliste de télévision. Entre anecdotes croustillantes et évocation lyrique du passé, ce livre nous promène dans l’histoire récente du Burkina et les couloirs du pouvoir.

Contrairement à la plupart des mémoires de nos compatriotes dont la plupart vous tombent des mains dès l’entame tant ils sont ennuyeux à force d’autoglorification ou d’entorse à la vérité, ce livre-là, il est impossible de le refermer sans en être venu à bout. Nous l’avons lu d’une traite comme un thriller.
Yacouba Traoré remonte le fil de la mémoire et arpente à rebours l’histoire de notre pays. La petite histoire côtoie ici la grande, les personnalités historiques frôlent les personnages sans épaisseur pour construire un récit vivant où le quotidien donne le bras à l’histoire. Des reportages sont l’occasion d’évoquer les différentes techniques journalistiques et les grands évènements historiques ou d’importance pour le Burkina Faso. Ainsi la mort de ki-Zerbo ouvre le livre et nous introduit dans la maison TNB (Télévision nationale du Burkina) tiraillée entre le désir de liberté dans le traitement de l’info et sa peur de déplaire au gouvernement. « Et ton ministre, Yacou, tu l’as informé de ce que nous préparons ? » demande Pascal, son rédacteur en chef. Mine de rien, voilà peut-être ce qui explique l’inertie de la TéNéBreuse.

Passent la mort du Commandant Moumouni, les deux guerres du Mali, l’assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre et le livre se clôt sur le difficile parcours de Blaise Compaoré pour se tailler une stature d’homme d’Etat. A côté de ces grands événements, l’auteur raconte sa vie de journaliste, entre misère et grandeur, au cœur de l’actualité, avec ses doutes de jeune militant CDR, son révolte devant la mort d’un enfant, sa jubilation devant l’incendie de l’Observateur en 1987. C’est un examen sans concession de son passé, un bilan d’une grande honnêteté, il avoue ses errements et ses erreurs de jeunesse, son intransigeance de jeune révolutionnaire, lui qui vire sa cuti marxiste au lendemain du 15 octobre 1987 et retrouve la foi musulmane. Un chemin de Damas à rebours qui montre que la plupart des révolutionnaires n’en avaient que le vernis et explique la facilité avec laquelle les révolutionnaires d’hier se sont coulés dans le costume de démocrates libéraux après le 15 octobre.
Le récit n’est pas linéaire, c’est un puzzle qui fonctionne comme la mémoire, de manière aléatoire, par sauts de puces et retours en arrière, associations et ellipses. Ce qui donne à ce récit sa saveur de causerie au coin du thé, sa force d’aimantation et sa truculence. Quand il joue les grandes orgues patriotiques, il n’est pas très original tandis que lorsqu’il se laisse aller à gratter la douce corde du souvenir d’enfance, la mélodie est entraînante, on découvre un grand conteur qui a en lui quelque chose de l’humour d’un Kourouma ou d’un Lopès. De l’ironie à fleur de mot. Yacouba Traoré déploie une écriture fluide, économe mais très imagée, presque cinématographique. Ainsi on croit voir et entendre son père et son ami Solomani en train de se raconter l’histoire invraisemblable de la rencontre entre les généraux Sangoulé Laminana et Moussa Traoré et comment le Capitaine Ounsouho Charles Bambara évita que notre président fût capturé par l’ennemi. Il restitue avec saveur les dialogues, les postures, les pauses des deux amis dans la fabrication d’une légende.

Ce livre est un précis de journalisme, un roman de formation et un livre de mémoires. Il a le charme des albums de famille dont les photos en sépia réveillent la nostalgie et ramène au jour les figures et les histoires que le temps a estompées.
Yacouba Traoré est un journaliste de télévision qui a perdu la voix mais avec ce livre, on constate qu’il a compensé cette perte par une plume puissante, belle et exigeante. Il faut espérer qu’il ne la range pas après Gassé Galo et que d’autres œuvres vont suivre.

jeudi 14 février 2013

Enfin, une anthologie de la poésie burkinabè

Il était temps ! Longtemps snobée par les anthologies de poésie africaine malgré sa vitalité et son luxuriance, la poésie francophone du Burkina Faso a enfin son anthologie grâce au poète Pacéré Titinga et à l’universitaire Yves Dakouo. Intitulée « Poésie du Burkina, anthologie francophone », cette anthologie est un outil de travail incontournable et un mémento de la poésie nationale.

On doit l’idée de cette anthologie au poète Pacéré Titinga. Celui-ci i a constaté que la poésie burkinabé était quasi absente des anthologies de poésie africaine. Ainsi dans Anthologie de la littérature négro-africaine de 1918 à nos jours de Lylian Kesteloot qui reste un bréviaire pour les élèves et étudiants africains, il n’y a nulle trace d’un auteur burkinabé. Lorsque quelques rares anthologies prennent en compte la poésie burkinabé, elles ne mentionnent que l’incontournable Pacéré Titinga ou de temps à autre elles associent à celui-ci, le poète Jacques Guégané. Pourtant la poésie Burkinabè, même si elle repose en grande partie sur ces deux noms, se saurait s’y réduire. Car elle est riche de plus d’une centaine d’auteurs et de recueils poétiques. Malheureusement beaucoup de ses poètes sont méconnus et la plupart des recueils deviennent introuvables, quelques années après leurs publications. Aussi cette anthologie qui compte plus d’une soixantaine d’auteurs vient-elle réparer une injustice et offrir un outil de travail aux étudiants, chercheurs et aux amoureux de la poésie.
« Poésie du Burkina, anthologie francophone », est un outil incontournable désormais pour tous ceux qui veulent connaître le peuple des poètes du Faso. On y trouve en préambule « Une petite histoire de la poésie burkinabè » d’Yves Dakouo, fin connaisseur du fait littéraire national auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage de référence intitulé Emergence des pratiques littéraires modernes en Afrique noire. La construction d’un espace littéraire au Burkina Faso paru aux Editions Harmattan. Dans cette histoire de la poésie, Il présente l’évolution de ce genre, les influences des écoles poétiques et l’originalité de cette poésie.

Les auteurs de l’anthologie ayant préféré l’entrée par ordre alphabétique, les poètes ne sont donc pas classés par l’ordre chronologique des publications. Cependant chaque auteur a droit à une biographie expresse et à une rapide analyse de son art poétique, ce qui offre un éclairage et des clés de lecture des extraits retenus. Pour les auteurs les plus connus, l’analyse est plus élaborée et les extraits plus fournis. A tout seigneur, tout honneur ! Pacéré se taille la part du lion, suivi par J. Guégané, Bernadette Dao, Sophie Heidi Kam, Angèle Bassolet…
On y découvre aussi de poètes, parfait inconnus de la scène littéraire mais dont les textes sont de grande qualité. Tel le poème Blues de Balima Samba Alain qui est un haïku adamantin. En outre, on croise avec surprise des auteurs qui ont gagné leur notoriété dans le roman. Mais si leur plume est si sûre dans la prose, elle parait claudiquer sur le sentier neuf de la poésie. Comme l’albatros de Baudelaire, ces princes de la pose, on les découvre veules et gauches dans la poésie. Par contre, il est certains de ces romanciers qui fignolent les vers avec un égal bonheur. Aucun nom ne sera donné ici. A vous le plaisir de cette découverte !

Par ailleurs, cette anthologie est un grimoire, un livre magique qui ressuscite des voix éteintes et des poètes disparus. Ainsi l’anthologie débute avec Bationo Clément Odou, un enseignant de français, disparu prématurément, dont se souviennent certainement les anciens élèves du Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo des années 90. Ce petit homme, doux et paisible qui s’animait, s’enflammait lorsqu’il parlait de poésie. Ils se rappelleront certainement le manuscrit dont il les entretenait si souvent et auquel il cherchait un titre paronomase, oscillant entre leurres et lueurs (qui était déjà pris par BiraogoDiop), pleurs et fleurs et ils découvriront qu’il a opté pour Soupirs et sourires. Et beaucoup découvriront que Coulibaly Dieudonné, professeur d’EPS et metteur en scène de théâtre avait aussi la fibre poétique à travers son poème Silex. Comme ils découvriront que le poète militant Bamouni Paulin n’était pas seulement le chantre de l’engagement révolutionnaire. Si son cœur battait pour Lénine, il tambourinait aussi pour La fille noire des rivières à la lourde poitrine.Grâce à cette anthologie, toutes ces voix disparues nous parviennent comme les lumières des étoiles qui continuent à scintiller longtemps après que celles-ci sont mortes.
Enfin, en annexe, on a droit au Testament poétique de PacéréTitinga intitulé « Pacéré vu par Pacéré » où pour la première fois, le poète parle de lui-même en expliquant son cheminement de poète. A la troisième personne ! Un choix qui s’explique, selon Yves Dakouo par le fait que « cet homme qu’on dit souvent très mystérieux ne veut jamais parler de lui-même ; il est connu comme très fuyant ; homme du public, il n’aime pas le public ». On ne pensait pas le maître de la parole timide mais si l’autre le dit, c’est que c’est exact !

Ce testament poétique signe-t-il l’adieu du père de bendrologie à la poésie ? Après avoir gagné tous les grands prix de poésie de l’Afrique, fait membre de maintes sociétés savantes du monde, célébré dans le monde entier et unanimement salué par les poètes du continent tel leur Prince comme Mallarmé en fut le dernier en France, n’aurait-il plus de défi à relever ? Espérons que c’est juste un art poétique dévoilé mais que le poète ne met pas les voiles vers d’autres rivages autres que poétiques. Un tel destin rimbaldien est si loin de Pacéré.
Cette anthologie de poésie publiée par l’Harmattan est un ouvrage que tout amoureux des belles lettres doit avoir dans sa bibliothèque. Pour musarder dans les jardins des mots sonores, colorés et coruscants des poètes du Burkina.

dimanche 10 février 2013

Librairies par terre, de hauts lieux de culture


Ces échoppes à livres d’occasion souvent tenues par des illettrés sont paradoxalement les principaux lieux de culture pour les lecteurs burkinabè. Plus que les bibliothèques ou les librairies classiques, elles recèlent de livres rares et de documents riches. Et leur fréquentation instaure un type particulier de rapport au livre.

Les libraires par terre, ce ne sont pas les petits vendeurs ambulants qui transportent des romans piratés, des classiques africains inscrits au programme de français dans nos lycées qu’ils ont démultipliés illégalement sur des photocopieuses couleur ? Ce ne sont pas non plus les revendeurs de fournitures scolaires qui prospèrent pendant la rentrée scolaire. Eux sont une race à part, ces libraires de l’informel qui vendent toutes sortes de livres dans une échoppes au bord des ruelles ou sur des étals et parfois sur des nattes à même le sol. D’où leur nom.
Il fut un temps où on les soupçonnait d’être des receler des livres volés et de racheter à vil prix les livres des mauvais écoliers pour les revendre plus chers aux parents. De nos jours, ils peuvent montrer patte blanche car ils ne se fournissent plus sur le marché intérieur, dorénavant leur marchandise viennent de France ou de Belgique. Ce secteur bénéficie actuellement de la reconversion des bibliothèques en France en biblio-tech, de leur abandon du livre en papier par le livre numérique. Aussi ces bibliothèques se débarrassent-elles de leurs vieux livres et c’est naturellement l’Afrique qui devient la poubelle du livre papier. Des containers de livres sont offerts à des associations qui opèrent sur le Continent. Celles-ci associations les revendent aux brocanteurs.
Dans ces montagnes de livres qui surgissent sur nos trottoirs, il y a le meilleur et le pire. Il faut donc savoir trier le bon livre de l’ivraie. On peut tomber sur des livres de luxe avec de la reliure en cuir et en velours, sur des ouvrages de collection, des livres rares, etc. La fouille de ces amas s’apparente parfois à une pêche miraculeuse. Comme ce lecteur qui est tombé par hasard sur les trois tomes des Mémoires de De Gaulle en édition de luxe, broché et incrusté d’un écusson en bronze avec des copie de documents historique authentiques et coupures de presse originales insérées pour la modique somme de…cinq mille francs CFA. Le plaisir du lecteur réside aussi dans le fait qu’il trouve dans sa recherche ce que l’on ne cherchait pas et n’espérait même pas au départ ! Espérer un alevin dans son plat et se retrouver avec une dorade est très jouissif !
Celui qui chercherait un livre sur la critique d’art, le scénario ou tout simplement un roman de Gogol, ne les trouverait dans aucune des trois grandes librairies de Ouaga. Elles n’ont pas de rayons Art, Cinéma ou littérature russe. Pourtant un tour sur les étals de livres d’occasion qui bordent les ruelles de Ouaga et celui-ci pourrait trouver ce qu’il cherche. Il est vrai que le libraire n’est ici d’aucun secours car il ne sait ni lire ni écrire. Et si, à force d’entendre les titres des classiques, il a fini par les mémoriser, ce n’est toutefois pas sans altération. Ainsi Le Mort s’effondre peut bien être Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Le Trajet d’Albert Camus être l’Etranger. Et La Peste de Camus devenir La Veste, Le Mythe de Sisyphe devenir un Mythe décisif, et L’Iliade devenir Liliane d’Homère, l’Odyssée se transformer dans sa bouche en « Au Lycée ». Et Les Femmes Savantes de Molière se muer en L’Infame s’en vante de Molaire. Les Frères Karamoko sont peut-être Les Frères Karamazov de Dostoïevski !
Et pourtant il faut seméfier de ces dealers de livres dont la plupart illettrés car pour ce qui est du prix des livres, ils en connaissent un rayon. D’instinct, ils savent ce que vaut un livre. En effet, fins psychologues, ils détectent dans le regard du client la petite étincelle d’envie qui s’allume devant un livre convoité. Plus ils sentent que votre intérêt est fort pour un livre, plus le prix de celui-ci monte. Le jeu consiste à ne laisser rien paraître de ses sentiments lorsqu’on tombe sur un livre que l’on recherchait depuis longtemps. Le lecteur doit donc dominer le trouble de sa voix, le petit tremblement de la main qui tient le livre, se composer un visage indifférent en demandant le prix du livre pour espérer l’avoir à un petit prix. C’est une partie de poker ou le bluff a une grande importance.
Au-delà de ce combat de nerfs pour un livre, il y a aussi le plaisir de la recherche et le pari de de reconstituer des unités à partir de livres trouvés au fil du temps. Ainsi le lecteur tombe sur un livre d’une trilogie ou sur un ouvrage d’une somme comme A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il l’achète et s’engage dans un jeu qui consiste à retrouver les autres livres. De manière générale, à plus ou long terme, le chineur de livres finit par retrouver tous les autres livres. Des lecteurs se sont ainsi constitués des œuvres complètes de San Antonio, du Commissaire Maigret de Simenon, d’Agatha Christie ou d’œuvres plus littéraires comme la comédie humaine de Balzac ou toutes les œuvres de Victor Hugo.
Les libraires par terre sont devenus des acteurs incontournables de la diffusion des connaissances à travers les livres au Burkina Faso. Les ministères de la Culture et des Enseignements seraient bien inspirés de décorer ses grands diffuseurs de savoir qui ont le mérite de mettre le livre à la portée de la plus petite bourse. Plus que les structures officielles, les librairies par terre contribuent à la démocratisation de la culture!

Ces échoppes à livres d’occasion souvent tenues par des illettrés sont paradoxalement les principaux lieux de culture pour les lecteurs burkinabè. Plus que les bibliothèques ou les librairies classiques, elles recèlent de livres rares et de documents riches. Et leur fréquentation instaure un type de rapport au livre.
Les libraires par terre, ce ne sont pas les petits vendeurs ambulants qui transportent des romans piratés, des classiques africains inscrits au programme de français dans nos lycées qu’ils ont démultipliés illégalement sur des photocopieuses couleur ? Ce ne sont pas non plus les revendeurs de fournitures scolaires qui prospèrent pendant la rentrée scolaire. Eux sont une race à part, ces libraires de l’informel qui vendent toutes sortes de livres dans une échappes au bord des ruelles ou sur des étals et parfois sur des nattes à même le sol. D’où leur nom.
Il fut un temps où on les soupçonnait d’être des receler des livres volés et de racheter à vil prix les livres des mauvais écoliers pour les revendre plus chers aux parents. De nos jours, ils peuvent montrer patte blanche car ils ne se fournissent plus sur le marché intérieur, dorénavant leur marchandise viennent de France ou de Belgique. Ce secteur bénéficie actuellement de la reconversion des bibliothèques en France en biblio-tech, de leur abandon du livre en papier par le livre numérique. Aussi ces bibliothèques se débarrassent-elles de leurs vieux livres et c’est naturellement l’Afrique qui devient la poubelle du livre papier. Des containers de livres sont offerts à des associations qui opèrent sur le Continent. Celles-ci associations les revendent aux brocanteurs.
Dans ces montagnes de livres qui surgissent sur nos trottoirs, il y a le meilleur et le pire. Il faut donc savoir trier le bon livre de l’ivraie. On peut tomber sur des livres de luxe avec de la reliure en cuir et en velours, sur des ouvrages de collection, des livres rares, etc. La fouille de ces amas s’apparente parfois à une pêche miraculeuse. Comme ce lecteur qui est tombé par hasard sur les trois tomes des Mémoires de De Gaulle en édition de luxe, broché et incrusté d’un écusson en bronze avec des copie de documents historique authentiques et coupures de presse originales insérées pour la modique somme de…cinq mille francs CFA. Le plaisir du lecteur réside aussi dans le fait qu’il trouve dans sa recherche ce que l’on ne cherchait pas et n’espérait même pas au départ ! Espérer un alevin dans son plat et se retrouver avec une dorade est très jouissif !
Celui qui chercherait un livre sur la critique d’art, le scénario ou tout simplement un roman de Gogol, ne les trouverait dans aucune des trois grandes librairies de Ouaga. Elles n’ont pas de rayons Art, Cinéma ou littérature russe. Pourtant un tour sur les étals de livres d’occasion qui bordent les ruelles de Ouaga et celui-ci pourrait trouver ce qu’il cherche. Il est vrai que le libraire n’est ici d’aucun secours car il ne sait ni lire ni écrire. Et si, à force d’entendre les titres des classiques, il a fini par les mémoriser, ce n’est toutefois pas sans altération. Ainsi Le Mort s’effondre peut bien être Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Le Trajet d’Albert Camus être l’Etranger. Et La Peste de Camus devenir La Veste, Le Mythe de Sisyphe devenir un Mythe décisif, et L’Iliade devenir Liliane d’Homère, l’Odyssée se transformer dans sa bouche en « Au Lycée ». Et Les Femmes Savantes de Molière se muer en L’Infame s’en vante de Molaire. Les Frères Karamoko sont peut-être Les Frères Karamazov de Dostoïevski !
Et pourtant il faut seméfier de ces dealers de livres dont la plupart illettrés car pour ce qui est du prix des livres, ils en connaissent un rayon. D’instinct, ils savent ce que vaut un livre. En effet, fins psychologues, ils détectent dans le regard du client la petite étincelle d’envie qui s’allume devant un livre convoité. Plus ils sentent que votre intérêt est fort pour un livre, plus le prix de celui-ci monte. Le jeu consiste à ne laisser rien paraître de ses sentiments lorsqu’on tombe sur un livre que l’on recherchait depuis longtemps. Le lecteur doit donc dominer le trouble de sa voix, le petit tremblement de la main qui tient le livre, se composer un visage indifférent en demandant le prix du livre pour espérer l’avoir à un petit prix. C’est une partie de poker ou le bluff a une grande importance.
Au-delà de ce combat de nerfs pour un livre, il y a aussi le plaisir de la recherche et le pari de de reconstituer des unités à partir de livres trouvés au fil du temps. Ainsi le lecteur tombe sur un livre d’une trilogie ou sur un ouvrage d’une somme comme A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il l’achète et s’engage dans un jeu qui consiste à retrouver les autres livres. De manière générale, à plus ou long terme, le chineur de livres finit par retrouver tous les autres livres. Des lecteurs se sont ainsi constitués des œuvres complètes de San Antonio, du Commissaire Maigret de Simenon, d’Agatha Christie ou d’œuvres plus littéraires comme la comédie humaine de Balzac ou toutes les œuvres de Victor Hugo.
Les libraires par terre sont devenus des acteurs incontournables de la diffusion des connaissances à travers les livres au Burkina Faso. Les ministères de la Culture et des Enseignements seraient bien inspirés de décorer ses grands diffuseurs de savoir qui ont le mérite de mettre le livre à la portée de la plus petite bourse. Plus que les structures officielles, les librairies par terre contribuent à la démocratisation de la culture!