Tout mur est une porte. Emerson

samedi 19 février 2011

Un trio polygame en Noirs et Blanche.

Je suis assis à la gare KGB, attendant le bus en partance pour Ouaga. Un ami de longue date que j’ai retrouvé dans cette ville de l'intérieur est avec moi, et nous évoquons des amis communs, réveillant d'anciennes histoires cocasses que nous avons, ensemble, vécues.
Remue-ménage dans la gare. Klaxon. Tohu-bohu. Des gens courant en tous sens. Le bus entre en gare. Des passagers en descendent. Une femme forte, une européenne attire l’attention. Elle a un embonpoint exagéré, presque obèse. Le soleil a peint quelques rougeurs sur ses joues, sur son cou. elle a un visage de grosse tomate rouge. Une jeune africaine l’accueille. Elle est un peu forte aussi.Mais un visage fort joli. Elles s’embrassent. Descend, un jeune homme au visage doux, à la carrure forte. La femme noire lui donne l’accolade placidement tandis qu’il a le téléphone cellulaire collé à l’oreille. D’un geste de la tête, mon ami montre l’homme au centre du trio : « Mate le sacré veinard ! »
Je ne comprends pas ! Face à mon air dubitatif, il ajoute, l’index pointant l’homme : « Le mec-là, c’est le mari de ces dames : la Blanche et la jeune Noire ». Oh! Ce jeune homme est donc avec ses deux épouses ! Je regarde ce trio étonnant et je tente de comprendre comment une Européenne a accepté partager son homme avec une autre. « Avec son obésité, me dit mon ami, il lui aurait été difficile de trouver un homme avec un physique pareil ! Mettre ce jeune étalon, d’un beau noir d’ébène, musculeux comme une statue grecque dans son lit, c’est inespéré »
Partager avec une autre femme, ce diamant noir est une petite concession. « Pourquoi ce jeune homme accepte-il cette situation ? », demandais-je à mon ami. « Européenne est un coffre-fort ambulant ! Avec son épais chéquier, ses cartes de crédit et son passeport Schengen, elle est l’assurance d’une vie meilleure pour ce jeune couple ».
Assis dans le bus qui roule vers Ouaga, je repense à ce trio. Moi, je préfère croire que c’est l’amour qui est à la base de cet étonnant attelage en Noirs et Blanche. Un amour vrai entre ce jeune homme et ces deux dames. Un véritable triangle amoureux. Cela rend cette histoire plus belle…

jeudi 17 février 2011

Proscratination: un mot savant qui soigne l'ego!

« Ne remets pas à demain le travail que tu peux faire ce jour même ». Je ne sais qui l’a dit, mais je sais que c’est plus simple à dire qu’à faire…Je fais partie de ceux qui croulent devant les travaux en instance…J’ai résolu d’écrire un livre il y a dix ans, et depuis dix ans, je reporte le jour où je dois coucher la première phrase du bouquin. Par ailleurs, j’ai un essai sur le cinéma et l’adaptation qui attend depuis cinq ans que je m’y mette ! J’ai trouvé le titre il y a longtemps mais l’incipit tarde à venir…Enfin il y a le ventre (le mien) qui enfle comme un ballon de basket et que j’ai juré d’anéantir grâce à des abdos matinaux. Malheureusement, à chaque réveil, je remets à l’aube prochaine la séance d’abdos… Et je culpabilise d’être un sacré tire au flanc. Je pl(o)ie sous le poids du remord de n’être pas un Burkinabe comme les autres. (Nous avons la réputation d’être de sacrés bûcheurs ! et vous savez qu’être Burkinabe, ça se mérite sous la IV République). La dépression n’est pas loin… Et miracle ! Je tombe sur un dossier de BoOks (Les voleurs du Temps) et depuis j’ai grandi de quelques centimètres : eh oui ! j’ai redressé la tête et bombé le torse de fierté. Je ne suis pas un paresseux, non ! pas un mauvais citoyen ! Je procrastine ! Nuance… Depuis plus de nuage dans ma vie.
Procrastination. Le terme viendrait du latin crastinare signifiant « remettre à demain ». Non seulement le terme est beau, rare et avouons-le, musical, il sonne si bien à l’oreille. En plus, j’apprends dans ce BoOKs que même les prix Nobel souffrent de cette flemmardise comme l’économiste George Akerlof. Et que la procrastination frôle de son aile principalement ceux qui mènent des travaux en solitaires et sur de longue durée tels les chercheurs, les universitaires…ces zigs qui portent des grandes robes et des coiffes bizarres et parlent un jargon inintelligibles à ceux qui n’ont pas un QI au-dessus de la moyenne…Je partage avec ces éminences grises, la procrastination. Me demande si je suis un savant qui s’ignore. Un sorte de Monsieur Jourdain de la recherche. Le penser, je vous assure, soigne l’ego.
Si lire des trucs sur la procrastination m’a assurer, cela ne m’a pas guéri d’un doute… j’ai beau me triturer les méninges dans tous les sens, je ne conçois pas qu’un homme raisonnable ne soit un tantinet « procrastineur ». Car si on ne remet pas à demain l’ouvrage d’aujourd’hui, que fera-t-on demain ? Ne court-on pas le risque de se réveiller un beau matin sans travail ? Et bienvenu le chômage.
Alors je dis « hommes de tous les pays, pour lutter contre le chômage, ne faites jamais un travail que vous pouvez remettre au lendemain : procrastinez ! »

dimanche 13 février 2011

Lakbira : le procès de l’Africain phallocrate !

Avec Lakbira, Aristide Tarnagda met en scène le destin d’une femme marocaine brisée par les hommes. Et par la société. Mais au-delà de la société marocaine, Lakbira est une pièce qui instruit le procès des communautés qui brime la femme.
Lakbira atteint des sommets de vérité et de sincérité. C’est un théâtre documentaire. Lakbira déploie sur une scène de théâtre une parole vraie, une parole crue, n’ayant pas subi le lifting de l’écriture. Lakbira n’est pas parti d’un texte dramatique, c’est un témoignage brut d’une femme marocaine devenue fille mère à la suite d’un viol : un verbatim recueilli par Amal Ayouch dans un centre social du Maroc.
La mise en scène d’Aristide Tarnagda opte pour l’austérité. Sur une scène presque nue, une jeune femme se met à nu pendant une heure. Les mots se bousculent dans sa bouche et tissent le film d’une vie précocement brisée par le viol. Un viol commis « un jour de printemps, au moment où les amandiers sont en fleurs » répète Lakbira. Pendant que renaît la nature, la jeune fille en fleur voit son corps saccagé par un jeune mâle. A plusieurs reprises. Mais le témoignage de Lakbira ne coule pas comme un long fleuve tranquille. Si parfois les phrases fusent par bouquet, se déploient guillerettes et ravivent des instants de rare bonheur ; la plupart du temps, elles peinent à franchir les lèvres de la jeune fille car elles portent avec elles, le poids de la colère, de la révolte et le souvenir de l’injustice.
Grâce au jeu de Yaye M’bilé qui campe majestueusement Lakbira, le spectateur voit se succéder les périodes d’une vie difficile: l’enfance dans une famille adoptive, l’adolescence et le viol, la grossesse qui en résulte et l’opprobre qu’elle génère et l’accusation de prostitution, et la prison, et les difficultés de la fille mère dans une société qui la rejette…Déluge de mots lourds qui assommeraient le spectateur par leur noirceur si la mise en scène intelligente de Aristide Tarnagda n’avait convoqué la Kora de Tim Winsé et le trio de danseurs qui contrebalancent la violence du monologue. Les notes de la kora et les chants de Tim Winsé tissent une sorte de trampoline sur laquelle dansent les mots de Lakbira. Par ailleurs la Kora et les chants de Tim Winsé installent des âysages de tristesse, de nostalgie ou de légèreté qui colorent et ajourent le propos de Lakbira .
Quant au trio danseurs, ils apportent de la respiration à la pièce et prennent souvent le relais des mots et matérialisent avec plus de véracité le calvaire de Lakbira. Quand le Mâle( Koama Tiéréma) dans un subit accès de lubricité s’attaque aux deux jeunes filles, les roulent à terre comme des troncs d’arbre et les crucifie au sol, bras et jambes écartés, on ressent le malaise devant ces figures offerte à la sauvagerie masculine. Par ailleurs, quand le mâle traverse la scène, toujours dans une gestuelle mécanique tel un pantin, on se demande si c’est lui l’automate ou la communauté qui est coupable du mal fait à Lakbira ? N’est-il qu’un pantin ? Le vrai responsable n’est-il pas cette société qui tire les ficelles ?
La pièce se clôt sur Lakbira prise de bégaiement. Ses mots pris dans la gorge obturée par la douleur, incapables de franchir ses lèvres. « N’ai-je pas droit au…au…au.. ». Le spectateur devine qu’il s’agit du mot « Bonheur » qui n’arrive pas à sortir de la bouche. Est-ce parce que le bonheur lui est inaccessible ?
Il nous semble que le théâtre d’Aristide Tarnagda est un espace où se déploie la parole vraie, c’est-à-dire une parole lestée du poids de sang et de sueur de celui qui la profère : une parole vécue. Aussi le bonheur étant une aspiration de Lakbira, il est un rêve ; or le rêve n’a pas sa place sur cette scène de vérité. Par ailleurs, les paroles mensongères du Mâle, itératives, ne se déploient jamais à l’avant-scène ; elles sont paroles des marges, de l’arrière scène et des coulisses.
En somme, Aristide Tarnagda réussit avec Lakbira à nous plonger dans la vie ordinaire d’une femme martyrisée et à nous amener à questionner nos sociétés sur la place qu’elle accorde à la femme. Shakespeare se demandait dans Le conte d'hiver: « Avez-vous vu un sculpteur sculpter le souffle ? ». Avec Lakbira, Aristide Tarnagda réussit à sculpter le souffle d’une femme blessée par la vie. Avec maestria !