Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 1 avril 2011

Haroun Mahamat Saleh au Fespaco 2011 : Beaucoup de bruit et de fureur…pour rien.

Mahamat Haroun Saleh n’est pas seulement venu au Fespaco 2011 avec un long métrage « Un homme qui crie », il fut lui-même un homme en colère, pestant et tonnant contre tout et contre tous. Sus au Fespaco ! Haro sur les cinéastes africains ! Le Réalisateur est-il sincère dans ses colères ou est-il juste un baladin qui fait son cinéma ? Tout ce raffut participe-t-il d’une opération de communication ?
Haroun Mahamat Saleh, c’est un réalisateur qui entretient son image, plus particulièrement la moustache qu’il a bien fournie. Comme Nietzsche. Comme Staline. Il y a effectivement en Haroun, le dur désir de durer, d’entrer dans l’histoire du cinéma africain par tous les moyens, fussent les moins cinématographiques… D’ailleurs, il ressemble aux deux célèbres moustachus par son autoritarisme, ses colères et la haute idée qu’il se fait de sa personne. Mais si Nietzsche a reformulé le propos philosophique, et si Staline a permis l’industrialisation de l’URSS, lui n’a pas changé grand-chose au cinéma africain. Toutefois, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que c’est un bon réalisateur qui essaie de théoriser sa pratique. Ce qui est rare dans le cinéma africain.Ses films sont bien construits. Surtout Darrat, saison sèche qui est un film magnifique et troublant. Quant à « Un homme qui crie », c’est très loin de la force du cri d’Edvard Munch, il n’ébranle ni le tympan ni la rétine encore moins le coeur du spectateur. C’est un film de facture modeste, très modeste. Nous y voyions un remake sans génie de « Tilaï » d’Idrissa Ouédraogo, l’objet du conflit entre le père et le fils n’étant plus la jeune fille comme dans « Tilaï » mais le boulot, et le village est remplacé par un hôtel ! N’est-ce pas cette dette à Idrissa Ouédraogo qui a amené notre réalisateur à assener de manière très péremptoire qu’ « il n’y a plus de cinéma au Burkina depuis que Idrissa ne tourne plus » ?
En vérité, le cinéma de Mahamat Haroun Saleh, ce n’est pas la révolution artistique comme il veut bien le croire. On lui reconnaîtra d’avoir instiller la lenteur, la langueur dans le cinéma africain mais il suit en cela un Abderhamane Sissako, dont il est l’élève. Ce qu’amène véritablement Haroun dans le cinéma africain, ce sont de longs plans-séquences d’hommes en larmes. En somme, c’est un cinéma dévirilisant qui promet une esthétique de la larme et de la morve.
Il n’est pas maître de cinéma mais indubitablement il l’est dans les poncifs qu’il débite en tranches bien carrées comme un charcutier équarrit avec assurance ses carcasses sur le billot. Parlant de son cinéma, Haroun Saleh dit : « En Afrique, la parole est mensongère. C’est une parole d’apaisement qui n’est pas crédible. En Occident, la parole est crédible. C’est pourquoi mon cinéma ne reprend pas cette parole ». Voilà la spécificité de son cinéma! Mais Abel Gance tient ce propos, un siècle avant notre génial réalisateur dans La musique de la lumière : « je ne cesse de le dire : les paroles dans notre société contemporaine ne renferment plus la vérité(…). Le cinéma est né dans cette nécessité ».
Ainsi malgré la solennité du ton et l’emphase du propos, Haroun Saleh ne fait que réinventer la roue ou enfoncer des portes grand ouvertes. D’ailleurs, pas besoin d’être une lumière pour savoir que le cinéma fut d’abord sans parole avant d’être parlant. Donc, ontologiquement, la parole est toujours subsidiaire au cinéma. Haroun Saleh, en théoricien du cinéma ressasse des évidences et des lieux communs.
Il nous semble que le prix du jury obtenu à Cannes par « un homme qui crie », le seul film africain en sélection à ce festival a gonflé l’égo du réalisateur comme une Montgolfière. Convaincu d’être le meilleur cinéaste du continent, l’homme n’a que mépris pour la filmographie du continent. Il conteste la sélection du Fespaco 2011 et en veut au festival qui a eu l’outrecuidance de ne pas lui présenter ses lettres de contrition pour ne lui avoir pas réservé une suite à l’Hôtel Indépendance-Azalaï avec Jacuzzi, champagne et cigarillos cubains offerts. Aussi, dans une interview accordée à Africultures, il dit amer: « Alors que l'organisation nous avait annoncé qu'on allait être logés à l'hôtel Indépendance, cela n'a pas été le cas. »
Toute cette déferlante de fureur contre le Fespaco pour une histoire de chambre ! Plus sérieusement, tout le monde sait que le Fespaco n’est pas parfait. Ce festival souffre de lourdeur administrative et a besoin d’un statut particulier pour échapper à l’immobilisme des structures étatiques. Mais faut-il pour autant appeler à un boycott des réalisateurs pour le couler comme le souhaite Haroun ? Ce festival existe par la volonté des artistes africains et de la diaspora d’avoir un festival à eux. Et le sieur Haroun Saleh, s’il ne souffre pas d’amnésie, devrait se rappeler qu’il doit sa notoriété de cinéaste au Fespaco, ce qui lui permet aujourd’hui de gravir les marches de Cannes, la moustache au vent. Mais comme dit le proverbe turc : « Quand la hache s’attaque à la forêt, les arbres disent que le manche est un des leurs"
Finalement le Fespaco 2011 a eu le mérite de nous faire découvrir le réalisateur Tchadien. On le croyait fait d’une pièce, conséquent et profond, on est déçu de constater qu’il est comme une image de cinéma : de loin, il y a l’illusion du relief mais à trop s’en approcher, on découvre qu’elle est plate, sans épaisseur.Décevant!

Saïdou Alcény Barry