Dans le cadre du
Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou, l’Institut français et l’Institut
Goethe ont organisé le vernissage d’œuvres d’artistes burkinabè, français et
allemand à Bissighin, le 6 novembre 2015. Le vernissage a viré au sac des œuvres, les spectateurs ont
tout détruit, démontant et emportant tout. Cela pose la question de la place de
l’art dans un milieu où la nécessité prime sur la jouissance esthétique. Cet
acte relève-t-il de la méprise ou du mépris de l’art?
« Que diable, sont-ils allés chercher dans ce
trou ? » peut-on se demander. En réalité, le site était approprié pour le thème choisi par les
artistes : Réinventer la ville.
Quoi de plus normal alors que de repenser la ville à proximité de ceux qui ont
été exclus de la capitale et qui ont investi un espace à la périphérie pour
créer une cité sans plan, sans voirie, sans assainissement, sans aucune
commodité. Une cité sauvage qui a poussé comme un abcès sur la face nord de la
capitale : le quartier non loti de Bissighin. Et le trou est une carrière
d’extraction des briques. De là sont
sorties toutes les maisons de Bissighin, la rebelle.
La dizaine d’artistes
prenant part à l’aventure ont reçu carte blanche pour rêver la ville future à
partir du matériau local, le banco de la carrière. En trois
semaines, sous les regards parfois amusés, curieux ou indifférents des riverains,
les artistes ont construit des maisonnettes, posé des arceaux, des passerelles,
faits des installations à partir de bric et de broc, accroché des chaises et
des seaux à des poteaux, dressé des mannequins, et accrochés des toiles
peintes.
Et puis le vendredi, jour du vernissage, voyant qu’il y avait
un public plus nombreux que d’habitude, les habitants sont venus en badauds. Et petit à
petit, le trou s’est rempli de monde comme il se remplit d’eau
pendant les grandes pluies de l’hivernage. Ils ont regardé avec envie les
briques, les fenêtres, les poutres, les chaises et les seaux sur des installations d’Abou Sidibé et les
bidons entassés par Sahab Koanda.
La performance qui met
le feu aux poudres
Tout aurait dérapé au moment de la performance de Koanda
Sahab. L’artiste qui voulait faire revivre l’insurrection populaire des 30 et 31
octobre 2015 a mis le feu à une carcasse de voiture qu’il a auparavant arrosée
d’essence, faisant monter dans le ciel un brasier de flammes, et puis il a invité
le public à prendre des bidons pour participer à l’autodafé. Les ploucs se sont
rués sur les bidons, se sont battus pour les arracher et ensuite, dans une
furie destructrice, ils ont attaqué les réalisations des artistes, arrachant fenêtres, portes et même briques et
pour finir ils se sont rués sur les boissons et les amuse-gueule prévus pour les
invités. Ils ont tout emporté. Comme des fourmis magnan, rien n’est resté après
leur passage. Rien.
Comment interpréter cet acte de vandalisme ? On peut conjecturer
plusieurs pistes. D’abord, la méprise. Peut-être que ce pillage s’origine dans la
méconnaissance de la performance, de cet acte artistique du ici et maintenant qui,
en mettant le feu à une automobile, a été interprété par ces gens comme une
invite à la destruction. Ou c’est un acte de conservation : ils se sont
dit que les artistes se mettent à détruire par le feu ce qu’ils ont mis des
semaines à construire et eux ayant besoin de ces choses-là, ils ne resteront pas
des spectateurs passifs face à cet autodafé. Leur acte désespéré vise donc à
sauver des flammes ces objets qui leur sont utiles.
Dans ce cas de figure, les artistes sont perçus par ces gens
comme des nantis qui s’amusent avec des objets qui sont utiles à l’amélioration
de leur quotidien. Donc il y a une sorte de mépris de ces adultes qui jouent aux enfants gâtés devant leur misère.
En effet un bidon de 25 litres est une garantie contre la pénurie d’eau, une assurance
de survie durant la canicule d’avril. Les fenêtres, les portes, les solives,
les soutènements, et mêmes les briques
récupérés sont des objets inaccessibles à leur budget et qu’ils vont utiliser
pour fermer les ouvertures béantes de leurs maisons. Les chaises en plastique
apporterot du prestige dans ces taudis. Même la toile qui a servi à peindre le
tableau sera rideau de fenêtre pour soustraire l’intimité au regard du voisin.
Ici l’art de la récupération que pratique l’artiste contemporain est récupéré par le pauvre qui réinsère ces œuvres d’art dans l’utilitaire. Ce que l’artiste prend à la
consommation pour créer, le pauvre l’arrache à l’art pour le rendre à la vie
Ceux qui ont une vision plus poétique des choses diront que
la performance a réussi à réinstaller dans ces spectateurs devenus acteurs la
furie de l’insurrection et qu’ils ont rejoué et revécu cette geste libératrice
en pillant cette exposition ! Ainsi Sahab aurait réussi ce qu’Antonin
Artaud appelait de tous ses vœux dans le spectacle. C’est-à-dire un projet de représentation faisant subir au spectateur un
traitement émotif choc de façon à le
libérer de l’emprise de la pensée discursive et logique pour retrouver un vécu
immédiat dans une nouvelle catharsis et une expérience esthétique et éthique originales.
Dans l’une ou l’autre des hypothèses, il se pose la
question de l’art contemporain dans un
environnement pauvre. Faut-il voir dans ces œuvres parfois ambiguës, ready
made, récup art, un délassement d’hommes
rassasiés, un art bourgeois qui ne dit rien aux affamés. Sartre posait la
question de l’utilité de la littérature devant un enfant qui meurt. On peut
sans entrer dans une situation aussi tragique poser la question de l’utilité de
l’art devant un ventre vide. Que vaut une nature morte, soit-elle de Cézanne ou
de Van Gogh,devant un plateau de fruits pour un homme qui a faim ?
Il faut savoir raison garder et ne pas donner à cet acte
l’ampleur qu’il n’a pas. Cet acte destructeur n’est pas si grave, il a anticipé de
quelques jours la destruction programmée d’œuvres qui se veulent éphémères. Toutefois
il a l’intérêt de poser entre autres questions, celle de la médiation dans les expos d’arts au
Burkina.
Il y a nécessité d’associer des commissaires d’art à la fête des arts
plastiques de Ouagadougou. Car un commissaire, en plus de penser la
scénographie d’une exposition, fait un travail de médiation qui tient compte de
la spécificité du public. Il nous semble
qu’un commissaire aurait préparé le public de Bissighin à mieux comprendre l’intrusion
de cette exposition dans leur monde ou du moins, il n’aurait peut-être pas
autorisé une performance pyro-artistique qui, d’ailleurs n’entre pas dans le
thème de l’expo qui est, il faut le rappeler, « Réinventer la ville ».
2 commentaires:
Quel délice dans la forme et dans le fond!!
J'adore cet article que je partage. Il y a lieu en effet de s’interroger sur la réaction des populations, et surtout sur la place de l'artiste dans une société qui souffre. Cela relance le débat art pour une élite. Car en effet, pour qui était destiné cette installation? Est-ce que ces populations ont vraiment été prises en compte au moment de penser le projet?
Stéphanie Dongmo
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