Le poète Jacques Guégané est l’invité
d’honneur de la Foire international du livre de Ouagadougou ( FILO 2015).
Immense poète, par la stature, le talent, et la culture, Jacques Guingané est
aussi éditeur. La FILO couronne une
œuvre majeure en la mettant sous les feux des projecteurs. Mais le poète est
déjà sur un nouveau chantier : sortir la poésie de la littérature.
Le poète est peu disert sur sa vie et même sur son œuvre, convaincu que celle-ci n’a pas besoin de la tutelle de l’auteur pour se frayer son chemin dans le monde. Mais cette fois-ci, il sera obligé dans l’autobiographie même sommaire car l’hommage de la Filo exige qu’il lève un pan de voile sur son œuvre en parlant de sa trajectoire d’homme et de créateur. Il ne faudrait pas attendre qu’il évoque sa vie à la troisième personne du singulier ni qu’il fasse des révélations fracassantes. L’homme sait comme Pascal que « le moi est haïssable » et qu’un homme n’est qu’un misérable petit tas de secrets, comme l’écrivait Malraux.
Donc
l’auteur abordera certainement sa vie de biais, à travers les hommes et les
objets qui l’ont fait. Jacques Guégané croit que l’homme est la somme de ses
rencontres. Il est fait de tous les hommes et les objets qui ont croisé sa
trajectoire, dont il s’est nourri. Ce sera donc un inventaire à la Prévert de
livres, d’auteurs, des mythes et des légendes qui servira de fil d’Ariane pour
mener à son œuvre. De George Guynemer à Saint-John Perse si présent dans son œuvre,
de Soundjata à Lao Tsé, de Moïse à Mohamet, ces figures d’artistes et d’hommes
d’actions ont nourri son imaginaire et son art poétique. La compréhension de
l’homme et l’intelligence de son oeuvre l’homme passent par ces fragments ; il serviront donc à
élaborer un discours poétique comme Roland Barthes élabora son discours
amoureux au travers des fragments.
Poète
paradoxal qui chérit la solitude et l’ombre mais dont l’oeuvre est si ouverte
au mode, Jacques Guégané est un poète rhizome, poreux à tous les souffles du
monde. Ce poète est un océan d’érudition dont les affluents charrient les
savoirs et les récits de tous les continents. Des grands récits du monde, il a
tapissés sa poésie. De la Chine au Moyen
Orient, d’Europe à l’Afrique, il a puisé les mythes fondateurs et les personnages
légendaires pour en faire des motifs sur sa fresque du monde.
Il
est vrai que l’éclairage d’un auteur, quoique très utile pour dire
l’intentionnalité à l’œuvre dans son texte ne peut en épuiser le sens. Mais des
éléments de biographie de Jacques Guégané sont très importants pour comprendre
cette œuvre réputée difficile, ce qui est une aberration car comme toute grande
œuvre, elle exige seulement du lecteur à qui elle s’offre de s’en montrer digne
en exhaussant à sa hauteur. Il est vrai que ce n’est pas avec un bagage
linguistique de plus sommaire que l’on peut avancer dans cette œuvre dense comme
une forêt tropicale.
L’auteur
a une culture encyclopédique et dans l’œuvre opère une agilité d’esprit qui
associe à travers les analogies et les parallélismes les notions de prime abord
si éloignés les unes des autres. Ici cybernétique et information, astrologie et
astronomie, physique quantique et pneumatique se répondent. Le trou noir stellaire
fraye avec le livre du fa du vodoun, le chacal de la cosmogonie dogon se tient
à côté de la femme buffle de la légende du Mandé, le yin et le yang s’enroulent
autour de l’hélice de l’ADN, etc. Jacques Guégané a compris que les Correspondances baudelairiennes sont
une approche totalisante pour saisir le monde dans une grappe de mots.
Si
l’hommage rendu ici au poète se veut un couronnement d’une œuvre parcimonieuse et
puissante, le poète de 74 ans, bon pied bon œil, se tourne vers un nouveau
chantier titanesque : sortir la poésie de la littérature. Si la poétique
de l’action de Paul Ricoeur peut en être le catalyseur, la conviction que la
poésie excède le domaine de la littérature date de fort longtemps chez Jacques
Guégané.
Explicitant sa poétique de l’action, Ricœur écrit : « La
conversion de l'imaginaire, voilà la visée centrale de la poétique. Par elle,
la poétique fait bouger l'univers sédimenté des idées admises, prémisses de
l'argumentation rhétorique. Cette même percée de l'imaginaire ébranle en même temps
l'ordre de la persuasion, dès lors qu'il s'agit moins de trancher une
controverse que d'engendrer une conviction nouvelle. »
Bien
que la poétique de l’action de Paul Ricoeur soit restée du domaine de
l’intention sans jamais trouver sa praxis, on peut la comprendre comme le
projet de trouver dans le langage poétique une fonction performative qui incite
à l’agir. De cette fonction du langage, Laurent Binet en a fait le titre de son
dernier roman sur la mort de Roland Barthes. Mais demeure la question: comment
rester dans la poésie et susciter l’agir sans tomber dans le texte de loi ou de
droit ?
Jacques
Guégané dépasse cette position en sortant du cadre étriqué de la littérature
pour penser la praxis même comme poésie.
Ainsi l’Insurrection des 30 et 31 octobre 2015 qui a renversé Blaise Compaoré est
pour lui aussi belle et poétique que Les Sonnets de Shakespeare. Mais cela dit,
il se confronte aussi à un écueil insurmontable : comment en rendre
compte sans retourner à la littérature? Par un récit qui se resserre autour
du noyau de l’action et qui réussit à rendre transparent le texte et à le faire
oublier. D’ailleurs, une bonne œuvre est celle qui fait oublier qu’elle est
ouvragée, qui cache ses coutures. Par l’essai ?
Faut-il
faire ses adieux à la littérature pour s’engager vers d’autres chemins plus
escarpés? Rimbaud l’a fait, en partant vendre des armes en Abyssinie. Qu’est-ce
qui attend Jacques Guégané au bout de ce défi ? Baudelaire a la réponse : « Nous
voulons, tant nous brûle le cerveau/Plonger au fond du gouffre, Enfer ou ciel,
qu’importe ?/Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. »
En attendant que le
futur nous édifie, cueillez le moment présent. Allez, toute affaire cessante,
le vendredi 27 novembre 2015, au Pavillon chinois du Siao écouter Jacques
Guégané. Assis, dans son immobilité de pierre, le regard lointain, le poète,
pareil au Sphinx de Giseh, va parler. Choiront les clés pour pénétrer les
énigmes de Le Pays perdu (1971), Nativité(1977), La Guerre des Sables(1979), l’An
des Criquets(2001), cette constellation poétique qui brille d’un éclat
étrange dans le ciel de la poésie mondiale.
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