Ce texte de Bernard-Marie koltès a été mis en scène par Nabil el Azan avec Aristide Tarnagdaga et Christophe Brault sur la scène de l’Espace culturel Gambidi. Dans une mise en scène sobre et épurée, les deux comédiens jonglent avec ce beau texte et lui donne une résonnance fort actuelle : la montée du racisme et son corolaire, le rejet de l’Etranger.
Si la première mise en scène de ce texte par Patrice Chéreau et celles de maints metteurs en scène ont fait du Noir le dealer et du Client un Blanc, conformément à l’intention de Koltès, Nabil el Azan a opté d’invertir les rôles et d’inscrire sa mise en espace de ce texte dans la confrontation entre un dealer Blanc et un client Noir. Un renversement de paradigme qui incline à la lecture de cette représentation comme un affrontement entre un autochtone Blanc et un immigré Africain. Inversion aussi de la géographie théâtrale : le public est installé sur la scène et les comédiens jouent dans l’espace réservé au public, entre les rangées de chaises vides.
Pendant que le public prend place, sur le célèbre tube des années 80 des Bee Gees, Saturday night fever, le Dealer (Christophe Brault) se déhanche à la John Travolta. Le public non averti s’attend à une comédie musicale ou à une pièce gaie. Mais il comprend vite sa méprise. Dans la solitude des champs de coton s’ouvre aussi sur une méprise. Le Dealer est sûr que son vis-à-vis est en ce lieu, à cette heure du soir parce qu’il désire lui acheter quelque chose. Le client, lui justifie sa présence par le droit du trajet, la liberté d’aller d’un point à un autre. Et de là naît le dialogue fleuve entre deux êtres qui tentent de se subjuguer, de se comprendre et de se dominer. Le Dealer développant sa rhétorique de la rencontre, du désir, et devant les esquives du Client, sa prose mielleuse vire au close combat. On assiste à un pugilat verbal ou les mots comme des balles de ping-pong fusent, virevoltent, ricochent et implosent. Aux longues tirades du début succèdent de petites répliques pleines d’agressivité, de sous-entendus et de menace. Des circonvolutions du discours de la diplomatie, on passe à la sècheresse du verbe martial. Et de l’impossible entente, on en vient à l’inévitable affrontement.
Cette mise en scène servie par l’excellent jeu des comédiens amplifie et pousse à l’extrême la tension vers un point de non-retour. Face à Christophe Brault qui déploie un jeu très physique, une énergie carnassière, qui court, gesticule, hurle, il y a Aristide Tarnagda, un bloc d’immobilité, aucune gestuelle n’accompagne la voix monocorde, et pas un mot plus haut que l’autre, ni éclat ni murmure, il déroule un discours de sérénité qui détache les mots staccato. Et la tempête verbale du Dealer s’emmêle au propos rare du Client et cela donne une partition à deux voix, à deux notes. La distance entre les deux acteurs, qui oscille constamment entre la proximité et l’éloignement dessine une géographie des relations sociales faite de dérobades et d’adhésion, d’accord et de répulsion, de compassion et de rejet. Ce deal autour de l’indicible est aussi une métaphore du deal permanent dans lequel se trouve l’individu en société. Au final, la scène prend l’allure d’arène de corrida. Le dealer est un toréro qui tourne autour du Client, et le blouson jeté entre les deux comédiens fait figure de muleta. On saura gré à cette mise en scène d’avoir réussi à captiver le public et même à le faire rire avec un texte très littéraire et considéré comme du théâtre à lire.
Dans la profusion de sens que génère ce texte plurisémique, le public aussi fait son marché de significations, et il choisit celles qui lui conviennent, aidé en cela par la mise en scène de Nabil el Azan. Et si dans celle-ci, le désir conserve toujours une forte connotation sexuelle, elle a le mérite d’enrichir le texte d’un supplément de sens en faisant affleurer une interprétation qui met au jour le racisme et la xénophobie. Et le spectateur Burkinabè ou Malien ne peut s’empêcher de voir en Christophe Brault avec sa chevelure rousse, un avatar de Brice Hortefeux et en Aristide Tarnagda, avec son manteau, son écharpe et ses nu-pieds, un travailleur Sarakolé ! Bien sûr que le propos de cette mise en scène est moins circonstanciée mais chaque spectateur voit midi à sa porte. Cette mise en scène de Nabil el Azan questionne plus largement un monde schizophrène qui, avec la mondialisation des échanges se veut un village planétaire mais continue à activer les mécanismes de repli sur soi face à l’Autre.
Si la première mise en scène de ce texte par Patrice Chéreau et celles de maints metteurs en scène ont fait du Noir le dealer et du Client un Blanc, conformément à l’intention de Koltès, Nabil el Azan a opté d’invertir les rôles et d’inscrire sa mise en espace de ce texte dans la confrontation entre un dealer Blanc et un client Noir. Un renversement de paradigme qui incline à la lecture de cette représentation comme un affrontement entre un autochtone Blanc et un immigré Africain. Inversion aussi de la géographie théâtrale : le public est installé sur la scène et les comédiens jouent dans l’espace réservé au public, entre les rangées de chaises vides.
Pendant que le public prend place, sur le célèbre tube des années 80 des Bee Gees, Saturday night fever, le Dealer (Christophe Brault) se déhanche à la John Travolta. Le public non averti s’attend à une comédie musicale ou à une pièce gaie. Mais il comprend vite sa méprise. Dans la solitude des champs de coton s’ouvre aussi sur une méprise. Le Dealer est sûr que son vis-à-vis est en ce lieu, à cette heure du soir parce qu’il désire lui acheter quelque chose. Le client, lui justifie sa présence par le droit du trajet, la liberté d’aller d’un point à un autre. Et de là naît le dialogue fleuve entre deux êtres qui tentent de se subjuguer, de se comprendre et de se dominer. Le Dealer développant sa rhétorique de la rencontre, du désir, et devant les esquives du Client, sa prose mielleuse vire au close combat. On assiste à un pugilat verbal ou les mots comme des balles de ping-pong fusent, virevoltent, ricochent et implosent. Aux longues tirades du début succèdent de petites répliques pleines d’agressivité, de sous-entendus et de menace. Des circonvolutions du discours de la diplomatie, on passe à la sècheresse du verbe martial. Et de l’impossible entente, on en vient à l’inévitable affrontement.
Cette mise en scène servie par l’excellent jeu des comédiens amplifie et pousse à l’extrême la tension vers un point de non-retour. Face à Christophe Brault qui déploie un jeu très physique, une énergie carnassière, qui court, gesticule, hurle, il y a Aristide Tarnagda, un bloc d’immobilité, aucune gestuelle n’accompagne la voix monocorde, et pas un mot plus haut que l’autre, ni éclat ni murmure, il déroule un discours de sérénité qui détache les mots staccato. Et la tempête verbale du Dealer s’emmêle au propos rare du Client et cela donne une partition à deux voix, à deux notes. La distance entre les deux acteurs, qui oscille constamment entre la proximité et l’éloignement dessine une géographie des relations sociales faite de dérobades et d’adhésion, d’accord et de répulsion, de compassion et de rejet. Ce deal autour de l’indicible est aussi une métaphore du deal permanent dans lequel se trouve l’individu en société. Au final, la scène prend l’allure d’arène de corrida. Le dealer est un toréro qui tourne autour du Client, et le blouson jeté entre les deux comédiens fait figure de muleta. On saura gré à cette mise en scène d’avoir réussi à captiver le public et même à le faire rire avec un texte très littéraire et considéré comme du théâtre à lire.
Dans la profusion de sens que génère ce texte plurisémique, le public aussi fait son marché de significations, et il choisit celles qui lui conviennent, aidé en cela par la mise en scène de Nabil el Azan. Et si dans celle-ci, le désir conserve toujours une forte connotation sexuelle, elle a le mérite d’enrichir le texte d’un supplément de sens en faisant affleurer une interprétation qui met au jour le racisme et la xénophobie. Et le spectateur Burkinabè ou Malien ne peut s’empêcher de voir en Christophe Brault avec sa chevelure rousse, un avatar de Brice Hortefeux et en Aristide Tarnagda, avec son manteau, son écharpe et ses nu-pieds, un travailleur Sarakolé ! Bien sûr que le propos de cette mise en scène est moins circonstanciée mais chaque spectateur voit midi à sa porte. Cette mise en scène de Nabil el Azan questionne plus largement un monde schizophrène qui, avec la mondialisation des échanges se veut un village planétaire mais continue à activer les mécanismes de repli sur soi face à l’Autre.
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