Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 22 octobre 2015

Cinéma d’Afrique du Sud/cinémas d’Afrique de l’Ouest : Si proches, si loin

 
Ciné Burkina

Comment évoquer les rapports entre les cinémas de l’Afrique occidentale francophone et celui de l’Afrique du Sud  sans utiliser le passé ? Et même en parler au passé (dé)composé tant les premiers contacts ne débouchèrent sur rien. Retour sur ces rendez-vous manqués à travers deux cinéastes : Souleymane Cissé et Idrissa Ouédraogo.

L’Afrique du Sud ne fut jamais une terra incognita pour l’Afrique de l’Ouest francophone, car si aucun ressortissant de l’Afrique de l’Ouest ne souhaitait y poser les pieds pendant l’Apartheid, ce territoire à la pointe australe du continent  ne fut cependant jamais absent des préoccupations politiques et artistiques de cette région.

En effet, l’Afrique de l’Ouest a été solidaire de ces frères noirs qui vivaient sous le régime ségrégationniste de l’Apartheid. Une solidarité qui se manifestait à travers la musique, la littérature et un peu moins dans le cinéma. On se rappelle Thomas Sankara, le chef de l’Etat du Burkina Faso, offrant quelques kalanichkov au représentant de l’ANC à l’OUA (actuelle UA) pour soutenir leur combat pour l’égalité raciale! 

Avec la fin de l’Apartheid, le retour de ce grand pays dans les nations du continent apparaissait comme celui de l’enfant prodigue. Puissance économique, militaire et culturelle, l’Afrique du Sud était perçue comme la locomotive qui allait tirer le continent vers le développement. Et les cinémas de l’Afrique de l’Ouest francophone attendaient beaucoup de la première industrie cinématographique du continent.

Le cinéma sud-africain est un miracle, vu d’Afrique de l’Ouest francophone. Boycotté par le reste du monde pour son régime de ségrégation, ce pays a développé en serre une véritable industrie cinématographique comprenant la production, la distribution, l’exploitation et les studios sur le modèle hollywoodien avec l’accompagnement de l’Etat.  

Claude Forest dans Le cinéma en Afrique : l’impossible industrie notait que Ster Kinekor disposait en 2010 de 418 écrans (58 complexes, 60 000 fauteuils) avec une part de marché de 65 % pour 17 millions de tickets vendus. A côté de Ster Kinekor, il y a deux autres géants de la distribution que sont Nu-Metro Distribution (NMD) et United International Pictures (UIP) qui se partagent le reste
du marché.

D’Afrique francophone, on découvrait des films sud-africains en V.O. si proches des films hollywoodiens. Nerveux, rythmés, servis par d’excellents comédiens  et bâtis sur des scénarios haletants. Mon nom est Totsi de Gavin Hood a emballé le public ouagalais lors du Fespaco 2007. Par la suite, ces films en poussant loin les excès et en perdant de leur nouveauté vont moins séduire. Ainsi, Four Corner de Ian Gabriel qui s’inscrit dans la veine de Mon Nom est Totsi n’a pas retenu l’attention des cinéphiles du Fespaco 2015. Au début, c’était l’émerveillement devant ces films venus du Sud et la fascination devant la puissante machinerie cinématographique qui les fabrique.

L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud se tiennent aux deux extrêmes de l’industrie cinématographique. D’un côté, il y a un cinéma dans toute sa splendeur et de l’autre, un cinéma anémique, sous perfusion, qui n’existe pas en tant qu’industrie mais seulement par ses réalisateurs. 

Et pour compliquer les choses, la concurrence de nouvelles images comme celles de la télévision, des DVD, des VCD et du téléphone portable vont réduire  le public des cinémas de l’Afrique francophone  comme peau de chagrin et entraîner la fermeture des salles. Par conséquent, c’est la loi physique  de l’appel d’air qui devrait être  à l’œuvre entre ces deux mondes-là. Le cinéma francophone n’attendant qu’une occasion de s’engouffrer dans la brèche.

Deux éclaireurs, les meilleurs de leur génération

Le premier contact entre les deux cinémas se fera par le truchement de la création cinématographique et non par des contrats de producteurs. Cette approche se fera donc à travers des films sur l’Afrique du Sud. Souleymane Cissé tourne Waati, une histoire sud-africaine, en 1995 et Idrissa Ouédraogo réalise Kini et Adams en 1997. Ces films visent à jeter un pont entre les deux publics en donnant à voir ici et là-bas les réalités des communautés sud-africaines. Ainsi, l’écran donnerait à voir aux deux communautés ce qu’un autre écran, politique celui-là, a caché pendant longtemps. 

Waati fut un des films africains francophones les plus chers de l’époque. Daniel de Toscan Plantier, le producteur délégué, ne mégota pas sur le budget. Ce film suit la trajectoire d’une adolescente sud-africaine qui quitte son pays à la suite du meurtre de son père par un policier et que les tribulations mèneront à travers l’Afrique occidentale. Dans la distribution, il y a des acteurs sud-africains et des acteurs maliens et ivoiriens.

Malheureusement, ce film n’ouvrira pas les portes de salles sud-africaines ni ne débouchera sur des collaborations futures avec le cinéma sud-africain. Il ne sera pas non plus bien reçu par le public francophone et surtout hexagonal. Dans les Inrocks, le critique Vincent Ostria finira son article sur Waati par ce conseil cruel au réalisateur : «  Cissé a donc présumé de ses forces. On espère qu’il redeviendra vite le chantre de l’Afrique mythique. » Comme pour dire que le réalisateur africain est condamné à filmer des histoires mythiques et jamais le contemporain ou le quotidien. Ce film sera d’ailleurs le dernier grand film de Souleymane Cissé.

Idrissa Ouédraogo n’aura pas plus de baraka avec Kini et Adams. Cette histoire d’une longue amitié d’hommes, mise à l’épreuve par l’ouverture d’une mine dans le village, tourné au Zimbabwe, n’ouvrira pas de collaboration entre le réalisateur burkinabè et les cinéastes sud-africains.  Ce film, le plus abouti de sa filmographie, avec des comédiens anglophones superbement dirigés, bien qu’il soit sélectionné à Cannes 1997 pour la Palme d’or, aura un accueil mitigé. 

Comme si le monde du cinéma français reprochait à son cinéaste chouchou de cette époque de lui faire une infidélité. Les producteurs et distributeurs français ne regardent pas cette ouverture vers le sud du continent sans inquiétude. L’espace francophone est un marché de plusieurs millions de cinéphiles et il est évident qu’ils ne souhaitent pas le partager avec un autre.

Après ces deux cinéastes, nous ne connaissons pas d’autres tentatives ou tentations australes. L’échec des deux grands cinéastes a certainement échaudé les cinéastes francophones. Le double risque de ne pas être adopté par le public sud-africain et d’être mis au ban par les amateurs et les professionnels français des cinémas d’Afrique fait que le pont levis est en train d’être levé entre ces deux régions si proches et si lointaines…

Les premières tentatives ont-elles été maladroites ou trop précoces,venues avant que les conditions d’une vraie rencontre ne soient là ? Il est évident que nombre de cinéastes de l’Afrique de l’Ouest francophone auraient aimé que leur cinéma tirât force et réussite en se tournant vers l’industrie de l’Afrique du Sud. Pour tous, ç’aurait été une fierté que la boussole  du cinéma en Afrique indiquât le Sud, l’Afrique du Sud suscitant une aimantation assez forte pour rompre le tropisme vers le Nord.



lundi 19 octobre 2015

Le griot dans la cité moderne : un vestige du passé





Le griot a-t-il sa place dans la cité africaine. ? On peut en douter au regard de ce qu’il est devenu dans Ouagadougou, c’est-à-dire un quasi-mendiant qui hante les cabarets et les cérémonies de mariages.

Cette scène se passe à Ouagadougou, en ce mois de novembre, dans un jardin public transformé en bar, où les buveurs sont répartis autour des tables sous les paillottes et à l’ombre des arbres. Dans ce bar passent les vendeurs de vêtements, de portables et de maints autres bibelots qui slaloment entre les clients pour présenter leurs marchandises.

C’est là que s’amènent  deux griots, un jeune homme en jean et un vieil homme, sur une vieille moto chinoise pétaradante. Ils descendent et garent la moto à l’ombre d’un aacacia. Celle-ci est penchée sur une béquille branlante. Ses rétroviseurs cassés, ses capots éclatés et son phare éborgné lui donnent l’air d’une sauterelle qui serait passée entre les doigts d’un gosse cruel qui lui aurait méthodiquement brisé les antennes, cassé les brisées et fracassé la mandibule.

Le vieil homme porte un boubou trop grand pour lui, qui fut blanc mais qui tire maintenant vers le roux  avec les éclaboussures  de cola, les taches de  poussière et les souillures diverses. On devine que c’est un père et un fils. Le vieil homme a les yeux rouges d’alcool et la démarche mal assurée des grands buveurs. Après un regard qui a balayé le bar comme un périscope, le vieux ramasse son boubou pour le serrer près de son corps, prend une allure digne et raide comme un pieu, et s’avance vers les buveurs.

Le jeune garçon le suit. Mais dès qu’il ouvre la bouche pour louanger un homme assis avec trois femmes, celui-ci lui  tend rapidement une pièce et lui fait signe de poursuivre son chemin. Il esquisse un sourire forcé qui ouvre ses lèvres sur une grimace. La pièce disparait dans une fente du boubou. On sent qu’il est vexé par l’attitude de l’homme qui lui a tendu la pièce comme on jette un os à un chien pour qu’il arrête d’aboyer.

Il s’en va vers une autre table. Suivi par le jeune griot. Il recommence sa louange et s’époumone dans l’indifférence des buveurs qui continuent à converser sans un regard pour le griot. Voyant qu’il ne tirera rien de ces hommes, le vieil homme se tait brusquement, réajuste son bonnet, remercie et poursuit sa ronde. A chaque table, la même indifférence comme s’il est transparent, invisible. Il trouvera néanmoins un ou deux hommes qui, touchés par sa misère lui glisseront quelques pièces.

Et pourtant, il fut un temps pas très lointain où le griot avait une fonction capitale dans la société africaine. Chaque griot était attaché à une famille nobiliaire dont il avait à charge de conserver les traces à travers le temps. Les griots étaient les dépositaires de l’histoire de leur société. Enfant, dès qu’il savait parler, son père lui apprenait à exercer sa mémoire, à retenir les grands récits, les mythes fondateurs, les généalogies des familles, à chanter et à jouer d’un instrument de musique.

Dans les cours royales, le griot était à la droite du monarque dont il était l’oreille et la bouche. C’est à travers lui que le roi parlait. Il était le confident des puissants et le gardien de la table des lois. En retour, il était pris en charge par la société. L’Histoire a retenu les plus célèbres comme Balla Fasséké qui fut le griot de Soundjata Kéita et ce que l’on sait du fondateur de l’empire manding est la geste que ses descendants ont conservé à travers les siècles.

Et puis avec la colonisation, ce monde-là a commencé à se désagréger et a fini par s’évanouir comme un rêve. Dans la société nouvelle, le griot n’est plus rien. C’est un importun qui hante les mariages et les débits de boissons pour survivre. C’est pour cela le vieil griot, nostalgique de cet âge d’or noie son chagrin dans l’alcool avec les maigres pièces que les gens lui jettent.
Quand par un pur hasard, il rencontre dans ce bar un descendant de la famille princière dont sa famille était les griots, il l’interpelle de loin. Comment reconnait-il celui-ci ? Peut-être à une ressemblance, un trait de famille ou une intuition.   

Devant le jeune homme, sa mémoire se réveille, sa langue devient plus alerte, il se redresse, sa poitrine se gonfle d’orgueil. Il énumère la généalogie depuis des siècles, les patronymes se bousculent dans sa bouche, s’épanouissent et éclatent comme un feu d’artifice. Il dit les hauts faits de guerre des aïeuls, rappelle les batailles gagnées et les grands gestes fondateurs de la tribu.
Il s’anime, retrouve de la vigueur,  va et vient, gesticule, pointe le doigt sur le prince pour le signaler aux autres, prend le ciel à témoin. 

Le vieux griot est transfiguré, il est heureux que la providence ait mis ce descendant d'Idrissa Demba sur son chemin. Ce qui lui permet de donner la pleine mesure de son talent. Le Prince n’a qu’un billet froissé de mille francs à lui offrir mais le vieil griot n’en a que faire. Ce n’est pas l’argent qui lui importe. Il a eu une scène pour déployer son talent.

Son fils a été témoin de sa prestation. Devant lui, il lui a montré ce qu’il est capable de faire. Portant il est facile d’imaginer que  ce jeune ronge son frein à côté de son père en le conduisant. Il ne sera pas griot. Il connaît trop la misère  dans laquelle baigne son papa pour lui emboîter le pas. Il rêve certainement d’ un destin de comédien comme Sotigui Kouyaté ou de vedette de la musique comme Mory Kanté.

Le fils et le père  repartent sur leur moto tonitruante. Le vieux griot derrière la moto est devenu un petit point blanc qui a disparu dans le trafic, emporté dans le  tumulte d’une époque qui le condamne à être un pochard et un  clochard.

jeudi 3 septembre 2015

Arts et vandalisme: Pas touche nos monuments !

La Verseuse d'eau vêtue de cotonnade
De plus en plus, à Ouagadougou, on voit des monuments retouchés par des gens qui les déparent en croyant les parer avec des vêtements ou des accessoires de mode. Cette semaine, beaucoup de monuments ont été transformés en mannequins pour la promotion du Danfani. Ce phénomène de relooking n’est-il pas un vandalisme soft qui peut ouvrir la porte à tous les travers?

Que ce soit le fait d’inconnus ou des structures connues, le vandalisme des œuvres d’art et surtout des monuments est devenu courant et tend à être accepté comme allant de soi. Ainsi au nom de la promotion de la filière du Faso Danfani, plusieurs monuments ont été habillés en tenues de notre cotonnade nationale.

Le monument qui fait le plus les frais de ce vandalisme est la Verseuse d’eau située au rond-point des Nations Unies. On lui avait auparavant mis des verres  solaires et un chapeau. Depuis une semaine, on l’a habillée d’un ensemble Faso Danfani. D’autres monuments ont aussi été vêtus de la fameuse cotonnade. A-t-on le droit de changer ainsi la physionomie des œuvres d’art sans tomber dans le vandalisme.

Il est vrai que des œuvres célèbres ont été parfois habillées pour des causes nobles. Ainsi le Mannekin Pis, le célèbre garçon pisseur de Bruxelles, a été quelques fois habillé dans des circonstances bien particulières. D’abord il faut préciser que contrairement à nos sculptures, celle-ci représente un enfant totalement nu. Louis XV lui avait ainsi offert une tenue de chevalier. Le monarque voulait que les Bruxellois lui pardonnent  le vol de la statuette par ses sujets. Le Mannekin Pis a parfois porté des tenues dans le but de rendre hommage à  une profession ou un grand artiste.

 Avouons que nous sommes, dans le cas de notre Danfani, loin de cela. D’abord ce n’est pas un monument  mais plusieurs qui sont vandalisés et aucun des nôtres n’est nu.
La question qui  importe  donc est de savoir s’il est normal de défigurer une œuvre d’art au nom de la visibilité d’un produit, soit-il d’importance capitale pour l’émergence de la filière coton.

Y répondre par l’affirmative, au nom de la logique économique, c’est tomber dans un cynisme de mauvais aloi et ouvrir la porte à tous les excès. Car après avoir cédé aux vendeurs de Fani Danfani, pourra-t-on légitiment interdire aux marchands de perruques de coiffer les sculptures de la capitale de leur pompon capillaire ? 

Et quand l’envie viendra aux vendeurs de colorants qui peinturlureront les œuvres, pourra-on leur opposer un refus ?
Et si d’aventure, après les marchands de foire, venaient les marchands de foi ? Quand des prédicateurs prosélytes  se piqueraient de mettre le Saint Coran ou la Sainte Bible entre les mains de l’écolier du monument du savoir… Si durant le mois de ramadan prochain, des barbus prudes décidaient de faire porter le voile intégral à toutes les sculptures de femmes pour cacher leurs protubérances. Que leur opposer ?

Il n’est pas interdit pour des promoteurs d'un produit d’utiliser l’espace public pour sa visibilité ou même d’utiliser l’art pour sa promotion. Si les médias traditionnels comme les journaux papier, les télés, les écrans publics ne leur suffisent pas, les promoteurs du Faso Danfani ont le droit de faire appel à des artistes : ceux-ci pourraient créer des œuvres à partir de leur matériau : des poupées, des sculptures, des installations qu’ils pourraient  exposer le temps qu’il faut aux points stratégiques de la Capitale.

Mais un monument ne devrait en aucun cas être un support publicitaire ! Une sculpture n’étant ni pas un VRP ou un homme sandwich d’une entreprise, quelle qu’elle soit. Attifer d'une tenues un monument de bronze déjà vêtu , même pour une bonne cause, n’est rien d’autre que du vandalisme même si c’est  à dose homéopathique. Pour sûr, ce vandalisme-là n’opère ni à la dynamite ni au marteau pilon, mais cela  altère la fonction et le message de ce monument.

Ces actes de vandalisme soft commis avec la bénédiction des autorités communales, du ministère en charge de la culture et le mutisme des artistes nous interrogent sur l’importance que l’on donne aux œuvres d’art dans ce pays. Si ces commerçants de pagne avaient emballé le dôme de la mosquée centrale ou la croix de la cathédrale dans du pagne pour des motifs publicitaires, on aurait eu droit à tout un raffut du diable. Comparaison n’est bien sûr pas raison mais ces monuments doivent aussi avoir la même auréole de respect..

Aussi, messieurs les habilleurs, ôtez  de notre vue  ces pagnes que nous ne saurions voir sur nos monuments !

jeudi 13 août 2015

Expo Chine Ardente : Sculptures de taille triple XL !



Naissance de lin tianmiao

Mons est la capitale  européenne de la culture 2015. Dans ce cadre, il est organisé plusieurs expositions dont  l’expo Chine Ardente aux Anciens abattoirs de la ville belge. Cette expo regroupe les sculptures d’une  vingtaine d’artistes contemporains de l’Empire du Milieu. Ce sont des œuvres monumentales. Projecteur s’est  intéressé aux artistes femmes de cette expo. Leurs œuvres sont fortes et leur discours  intéressant.

De l’art en Chine, on connaît la peinture à l’encre et au pinceau et très peu la sculpture. Pourtant les Chinois pratiquent la sculpture depuis longtemps. En témoigne les Armées de terre cuite, ces sculptures de soldats en argile trouvées dans le Mausolée de l’Empereur Qin.

Dans l’expo Chine Ardente, non seulement les œuvres sont gigantesques mais en plus, ces artistes contemporains explorent  une diversité de matériaux allant des plus durs comme l’acier aux plus fragiles comme le verre. Et tous questionnent la Chine moderne, prise entre la frénésie du développement industriel uniformisant et destructeur et la nécessité de préserver  l’homme et la nature. 

Parmi ces artistes, il y a  bien heureusement des femmes. Ce qui contredit la vision machiste qui veut que cette discipline de «  casseurs de pierres » exige de la force et soit donc du domaine des hommes. Bien évidemment les hommes restent majoritaires dans cette expo mais la présence de ces femmes détonne.


Il y a Lin Tianmiao dont l’œuvre Naissance est une femme  nue  accroupie dans la position de celui qui  se soulage en rase campagne, elle pond des œufs de différentes volumes, une centaine œufs  disposés sur la pelouse. La tête de la femme est remplacée par un écran d’ordinateur, lui donnant un air de cyborg. L’artiste s’est  servi du moulage de son propre corps pour réaliser cette sculpture.

 Cette œuvre est inspirée d’une légende entendue dans son enfance et qui avait traumatisée l’artiste. Naissance  tente d’exorciser la peur qu’elle éprouva de devenir un animal non mammifère. On sait par ailleurs que la Chine est confrontée à un problème de démographie et  les naissances y sont  contrôlées et limitées. Alors, on imagine que Lin, par cette femme mi-humaine mi-robot qui pond autant d’œufs, questionne la maternité et le traumatisme lié à celle-ci dans un pays où il est à la limite interdit de procréer.

Il est intéressant de noter que pour un spectateur d’une autre culture, la lecture pourrait être tout autre. Ainsi pour nous, cette sculpture de femme pondeuse évoque la sorcière mangeuse d’âme dont on dit  qu’elle vole la nuit comme un oiseau pour aller prendre les âmes et qu’elle pond des œufs mous et incassables. 
 
L'Aabre de vie de Al Jin
A côté de Lin, il y a Al Jin, une artiste chinoise, écrivain et chanteuse qui vit à New York. Son œuvre, l’Arbre de vie, est constituée de milliers de baguettes ; un corbeau est posé sur une des branches. Le titre est ironique parce que c’est un arbre sans feuilles et le corbeau est un signe de malheur dans beaucoup de sociétés. Al Jin veut attirer l’attention sur la destruction des forêts par ces compatriotes. Chaque année des millions d’arbres sont abattus pour offrir des baguettes de bois aux Chinois.

Enfin, la troisième artiste est  Xian Jing et son œuvre  s’intitule Ton Corps. C’est une femme dans toute sa nudité. Mais une femme si gigantesque qu’elle écrase tout.  L’artiste se joue du prétendu érotisme du nu féminin en créant un nu qui ne l’est pas du tout. Effectivement le gigantisme de l’œuvre impose au spectateur un regard de respect  sur ce corps. Xian Jing n’utilisant pas de modèle, aucune femme n’a posé  pour créer ce nu monumental. 
 
Ton Corps de Xian Jin
On peut se demander, au vu de ces œuvres, s’il y a une sculpture féminine comme il y a une littérature féminine comme le veulent  les études de genre. Ce qui est certain, ce que la place de la Femme, de la maternité, du corps, du rapport à la nature sont des préoccupations de ces trois artistes. On ne parle bien que de ce que l’on connaît, en premier de soi-même.

Au sortir de cette monumentale exposition, on a le sentiment que la Chine s’est éveillée comme le prophétisait Alain Peyrefitte non seulement comme puissance économique mais aussi comme un potentiel premier centre de création artistique. Et Pékin pourrait être la future capitale mondiale de l’art.

mardi 12 mai 2015

La sirène de Faso Fani de Michel Zongo: Inventaire après liquidation



En 2001 à Koudougou, l’usine de textile Faso Fani ferme ses portes sous les oukases de la Banque mondiale et du FMI. Ce documentaire revisite cette époque à travers les récits des ex-travailleurs de cette manufacture qui retissent la toile de leur drame. Après avoir fait plusieurs festivals dans le monde, il a été finalement projeté à Koudougou lors des Rencontres documentaires de Koudougou  tenues  du 20 au 25 avril 2015.

Il y a des cinéastes qui hument l’air du temps pour capter leur sujet, et d’autres qui  trouvent le leur dans la circonférence de leur petite vie. Michel Zongo est de ceux-là. Après Espoir Voyage qui partait à la recherche de son frère, il s’intéresse cette fois-ci à une manufacture qui a marqué  son enfance et dont la fermeture a jeté à la rue des milliers de travailleurs dont son oncle.

Une voix off conte Koudougou avec Faso Fani qui en était le poumon économique. Epoque faste. Et puis elle est le fil d’Ariane qui mène vers les grilles closes de cette usine. On imagine le réalisateur parmi le groupe d’enfants filmés de dos devant la grille et qui regardent l’ usine. Vide. Un gardien flotte dans cette immensité comme un fantôme. Un silence sépulcral y règne. Les machines se sont tues, les camions ont disparus. La sirène dont la stridulation tirait de leur sommeil les habitants de la cité est devenue muette. Décor campé. Splendeurs et misères de Faso Fani. 

Place donc au récit de ceux qui y travaillèrent pour démêler l’écheveau, dérouler  le fil de cette catastrophe et tisser la trame d’une vie après Faso Fani. Une galerie de personnages qui va de l’ouvrier au technicien supérieur. Ils parlent et revivent ce passé-là. La caméra restitue parfois un regard qui chavire, un œil qui se mouille, une voix qui monte ou meurt sous l’émotion, un doigt qui court sur un pagne comme une caresse. Mais aussi des éclats de rire pantagruéliques, des sourires nostalgiques. En somme des douleurs et des joies, des hauts et des bas, le clair-obscur de sentiments.

Comme des motifs insérés dans un pagne, des images  d’archives tournées par des vidéo-amateurs et des extraits de journaux radio se glissent entre les témoignages de ses déflatés et dessinent le contexte de l’époque. A écouter les journalistes  présenter la liquidation comme une panacée, une nécessité pour le mieux-être des Burkinabè, on voit comment les médias sous l’ère Compaoré est plus proche de l’intox que de l’info. Comme des réclames de l’Enfer qui promettent les douceurs du Paradis.

Mais la mort de Faso Fani ne signifie pas la mort du pagne traditionnel. Car si on a tué la poule aux œufs d’or, on n’a pas ôté l’envie d’omelette aux populations. En effet, dans la plupart des cours de Koudougou, des Pénélope assises sur le métier confectionnent de belles toiles qui trouvent preneurs. Des commandes affluent de l’intérieur du pays et de la diaspora. Thomas Sankara, le président assassiné en 1987, aura réussi à semer l’amour du Dan Fani dans le cœur des Burkinabè. Elle est devenue une fibre patriotique.

Michel K. Zongo se prend donc à rêver d’une coopérative rassemblant tous les tisserands de Koudougou dans un même lieu sous l’encadrement des déflatés de Faso Fani ; ceci pour améliorer l’offre et prospecter de nouveaux  marchés à travers Internet. Il réussira juste à mettre ensemble une dizaine de tisseuses sous l’œil de quelques déflatés dans le finale du film.

Le film se clôt sur les ex-travailleurs debout ! Eux qui tout au long du film sont souvent assis, vautrés dans leur fauteuil et dans la nostalgie d’une époque révolue se mettent debout, se retroussent les manches pour travailler. Débuté par le récit d’une catastrophe, le film finit donc sur une note d’espoir. C’est à l’art qu’il revient d’instiller l’espoir lorsque que les horizons semblent bouchés.

Toutefois, on pourrait reprocher à ce docu d’édulcorer la tragédie par un traitement soft de cette histoire en donnant la parole à ceux qui ont gardé leur dignité  dans cette épreuve. En effet, il y a un versant plus sombre avec des vies brisées, des familles disloquées, des scolarités interrompues, des avenirs pulvérisés, de adolescentes contraintes au tapin, des descentes dans l’enfer de la drogue,  de la démence et du suicide. 

L’artiste est libre de vêtir de dignité ceux qu’il montre ou de les dénuder pour en montrer les laideurs. Entre le vaincus de ce ring du libéralisme économique qui tiennent encore sur leur jambes et les autres qui sont groggy, ce docu-là  a pris le parti de filmer les premiers…
La Sirène de Faso Fani est une charge contre les institutions financières internationales dont les solutions sont souvent des poisons. Et aussi contre l’autisme des hommes politiques du continent face aux aspirations de leurs peuples.