En 2001 à Koudougou,
l’usine de textile Faso Fani ferme ses portes sous les oukases de la Banque
mondiale et du FMI. Ce documentaire revisite cette époque à travers les récits
des ex-travailleurs de cette manufacture qui retissent la toile de leur drame.
Après avoir fait plusieurs festivals dans le monde, il a été finalement projeté
à Koudougou lors des Rencontres documentaires de Koudougou tenues
du 20 au 25 avril 2015.
Il y a des cinéastes qui hument l’air du temps pour capter
leur sujet, et d’autres qui trouvent le
leur dans la circonférence de leur petite vie. Michel Zongo est de ceux-là.
Après Espoir Voyage qui partait à la
recherche de son frère, il s’intéresse cette fois-ci à une manufacture qui a
marqué son enfance et dont la fermeture
a jeté à la rue des milliers de travailleurs dont son oncle.
Une voix off conte Koudougou avec Faso Fani qui en était le
poumon économique. Epoque faste. Et puis elle est le fil d’Ariane qui mène vers
les grilles closes de cette usine. On imagine le réalisateur parmi le groupe
d’enfants filmés de dos devant la grille et qui regardent l’ usine. Vide. Un gardien
flotte dans cette immensité comme un fantôme. Un silence sépulcral y règne. Les
machines se sont tues, les camions ont disparus. La sirène dont la stridulation
tirait de leur sommeil les habitants de la cité est devenue muette. Décor
campé. Splendeurs et misères de Faso Fani.
Place donc au récit de ceux qui y
travaillèrent pour démêler l’écheveau, dérouler
le fil de cette catastrophe et tisser la trame d’une vie après Faso
Fani. Une galerie de personnages qui va de l’ouvrier au technicien supérieur.
Ils parlent et revivent ce passé-là. La caméra restitue parfois un regard qui
chavire, un œil qui se mouille, une voix qui monte ou meurt sous l’émotion, un
doigt qui court sur un pagne comme une caresse. Mais aussi des éclats de rire
pantagruéliques, des sourires nostalgiques. En somme des douleurs et des joies,
des hauts et des bas, le clair-obscur de sentiments.
Comme des motifs insérés dans un pagne, des images d’archives tournées par des vidéo-amateurs et
des extraits de journaux radio se glissent entre les témoignages de ses
déflatés et dessinent le contexte de l’époque. A écouter les journalistes présenter la liquidation comme une panacée,
une nécessité pour le mieux-être des Burkinabè, on voit comment les médias sous
l’ère Compaoré est plus proche de l’intox que de l’info. Comme des réclames de l’Enfer
qui promettent les douceurs du Paradis.
Mais la mort de Faso Fani ne signifie pas la mort du pagne
traditionnel. Car si on a tué la poule aux œufs d’or, on n’a pas ôté l’envie d’omelette
aux populations. En effet, dans la plupart des cours de Koudougou, des Pénélope
assises sur le métier confectionnent de belles toiles qui trouvent preneurs. Des
commandes affluent de l’intérieur du pays et de la diaspora. Thomas Sankara, le
président assassiné en 1987, aura réussi à semer l’amour du Dan Fani dans le
cœur des Burkinabè. Elle est devenue une fibre patriotique.
Michel K. Zongo se prend donc à rêver d’une coopérative
rassemblant tous les tisserands de Koudougou dans un même lieu sous l’encadrement
des déflatés de Faso Fani ;
ceci pour
améliorer l’offre et prospecter de nouveaux marchés à travers Internet. Il réussira juste
à mettre ensemble une dizaine de tisseuses sous l’œil de quelques déflatés dans
le finale du film.
Le film se clôt sur les ex-travailleurs debout ! Eux qui
tout au long du film sont souvent assis, vautrés dans leur fauteuil et dans la
nostalgie d’une époque révolue se mettent debout, se retroussent les manches
pour travailler. Débuté par le récit d’une catastrophe, le film finit donc sur
une note d’espoir. C’est à l’art qu’il revient d’instiller l’espoir lorsque que
les horizons semblent bouchés.
Toutefois, on pourrait reprocher à ce docu d’édulcorer la
tragédie par un traitement soft de cette histoire en donnant la parole à ceux
qui ont gardé leur dignité dans cette
épreuve. En effet, il y a un versant plus sombre avec des vies brisées, des
familles disloquées, des scolarités interrompues, des avenirs pulvérisés, de adolescentes
contraintes au tapin, des descentes dans l’enfer de la drogue, de la démence et du suicide.
L’artiste est libre de vêtir de dignité ceux qu’il montre ou
de les dénuder pour en montrer les laideurs. Entre le vaincus de ce ring du
libéralisme économique qui tiennent encore sur leur jambes et les autres qui
sont groggy, ce docu-là a pris le parti
de filmer les premiers…
La Sirène de Faso Fani est une charge contre les
institutions financières internationales dont les solutions sont souvent des
poisons. Et aussi contre l’autisme des hommes politiques du continent face aux
aspirations de leurs peuples.
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