Tout mur est une porte. Emerson

mercredi 17 octobre 2012

Les chasseurs DOZO de Philippe Bordas

Après avoir côtoyé les boxeurs à mains nues d’un bidonville de Nairobi et les lutteurs sénégalais, le photographe français Philippe Bordas s’est, cette fois, plongé dans la confrérie des chasseurs Dozos et en a tiré de superbes photos qui nous entrouvrent les portes du monde fermé de cette communauté multiséculaire.
Cette expo photos est à l’Institut français de Ouaga jusqu’au 20 octobre 2012. Do-zo, deux syllabes dont l’écho renvoie dans l’imagerie populaire à une société secrète, suscitant du même coup crainte et admiration. En effet, les Dozos ont constitué l’armée d’élite de l’empereur Soundjata Kéita au 13 siècle. Dispersés aux quatre vents après le délitement de l’empire Manding qui s’étendait de la Gambie au Sénégal, du Libéria à la Sierre Leone, de la Côte d’Ivoire à la Guinée, du Burkina Faso au Mali. Depuis l’époque médiéval, ces hommes ont préservé leur mode de vie et perpétuent une aristocratie des armes et du savoir à travers l’art de la guerre, la science des plantes et de l’astrologie et l’art musical et sont les dépositaires de l’histoire du Manding. C’est muni d’un Leica argentique que le photographe a suivi ces guerriers lors des parties de chasse dans la nuit d’encre, s’enfonçant au cœur de la forêt dont ils connaissent le moindre arpent et qu’ils lisent comme un livre ouvert, pendant les veillées autour d’un brasero où ils content le mythe fondateur du Mandé, et dans les soirées où en musiciens virtuoses, ils jouent et chantent le répertoire oral du Mandé. Tous ces aspect de la vie du Dozo se retrouvent dans les photos géantes de plus de trois mètres sur trois, qui comme une ceinture d’amulettes, font le pourtour de la Rotonde, le salle d’exposition de l’Institut français. On y voit les chasseurs dans leurs tenues ocres, rouge latéritique comme s’ils sortaient de terre, tenant leur vieux fusils dans des poses variées. D’emblée, on distingue trois classes de Dozos et trois caractères: les vieux chasseurs, les jeunes adultes et les pousses. Sur les photos, de vieux chasseurs, debout pieds nus ou assis en tailleur dans une case nue dont le dépouillement dénote de la vie ascétique du propriétaire du lieu. Par ailleurs la sérénité de leur regard dans le visage hiératique est le signe que ces vieux hommes ont trempé le métal de leur âme dans une existence spartiate faite de sacrifice et de don de soi à la communauté. D’autres, plus jeunes posent fièrement avec des hyènes, des biches ou des tortues tenus en laisse et des boas qui s’enroulent autour de leur cou. Quant aux plus jeunes, ils arborent avec joie des fusils plus grands qu’eux. Emouvant, l’image d’un pré-adolescent dont le regard hésite entre l’effroi et la fierté de sentir le froid d’un corps de serpent s’entortillant autour de son cou si fragile. Face à la vieille génération, sorte de samouraïs au service d’une cause, il y a les jeunes qui semblent devenus des combattants sans cause. Dans le vrai Dozo, il y a la quête de la dureté et la pureté du diamant du surhomme dont parlait Nietzsche ; malheureusement il y a le risque que les flammes de la modernité lèchent ce diamant et le transforme en un morceau de charbon, friable et sans valeur. Aussi peut-on déceler chez quelques jeunes, dans leur regard crâneur et ayant des Rangers aux pieds et le pantalon treillis affleurant sous la tenue traditionnelle, des signes du dévoiement des valeurs Dozo. Les guerres au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire ont, en effet, montré que ces protecteurs de la veuve et de l’orphelin pouvaient déchoir en devenant des tueurs en série au service de chefs de guerre. A travers ces photos Philippe Bordas a réussi à dresser de cette armée un portrait mythique et humain. Mais au-delà de la beauté des images, cette expo interroge sur le devenir de cette confrérie qui a réussi à survivre pendant des siècles mais qui n’est néanmoins pas à l’abri d’une disparition prochaine dans une Afrique convertie à des valeurs diamétralement opposées aux siennes. Et la photo d’Idrissa Traoré, le vieux chasseur qui a introduit le photographe dans la confrérie, où on voit la silhouette du vieux chasseur de dos, le bicorne sur la tête lui donnant l’air d’une étrange bête à cornes telle un minotaure qui s’enfonce dans la brousse a quelque chose de crépusculaire. En somme, qu’est-ce que l’Afrique moderne, prise dans les turbulences, peut tirer des valeurs de cette confrérie qui a édicté la charte du Manden en 1222, soit cinq siècles avant la déclaration universelle des droits de l’homme, et qui pratique un fédéralisme qui nie les frontières nationales tout en montrant que l’homme doit apparier le savoir scientifique et le pouvoir à une droiture morale? C’est, sans doute, une source de savoir et d’éthique à laquelle l’Afrique contemporaine doit s’abreuver.

mercredi 19 septembre 2012

Le cinéma scrute l’histoire burkinabè

Ce documentaire de Dimanche Yaméogo est une production Semfilms. La caméra piste Boukary Kaboré dit le Lion, officier de l’armée burkinabé, frondeur après le putsch du 15 octobre 1987 qui, depuis son retour, mène une double vie de chef de parti et de cultivateur. Un film sur une période trouble de l’histoire récente. Les images film montrent que Boukary Kaboré n’a pas usurpé son surnom de lion. La barbe et la chevelure forment une blanche crinière qui cerne un visage léonin avec des yeux de braise. La taille est haute, les bras puissants, les mains immenses avec des doigts démesurées. Du roi de la brousse, il a aussi les colères rugissantes et la dent dure. Il découvre vite les dents pour mordre surtout lorsqu’il évoque l’arrêt de la Révolution d’août 83. La caméra suit le Lion et dessine le portrait d’un homme de soixante-deux ans qui a eu plusieurs vies. D’abord l’enfance dans un village de Koudougou, puis la venue à Ouaga au Prytanée militaire où il rencontre Thomas Sankara, la découverte du sport qui révèle ses qualités de champion dans beaucoup de sports de main comme le lancer de javelot, le saut en hauteur et enfin l’influence d’Adama Touré, syndicaliste et professeur d’histoire qui sèmera la graine marxiste dans la tête de ses jeunes élèves qui deviendront, quelques années plus tard, les leaders de la Révolution d’août 83. On suit le capitaine redevenu cultivateur labourant son champ avec des ouvriers pour trouver sa pitance et aussi en réunion politique avec ses militants mais son parti sankariste ne semble pas ratisser au-delà du cercle des anciens compagnons d’armes. Ce film revient surtout longuement sur la période révolutionnaire , en ces temps où Boukary le Lion était chef du BIA−le Bataillon d’intervention aéroporté de Koudogou−et sur les jours qui suivirent le putsch du 15 octobre 1987 avec son entrée en résistance où il annonçait, sur les ondes de Radio France internationale (RFI), que lui et son demi-millier de paras s’opposaient au nouveau régime du Front populaire dirigé par Blaise Compaoré. Une offesive de l’armée loyaliste sur la ville de Maurice Yaméogo laisserait des souvenirs amers. Le Lion réussit à s’éclipser au Ghana. Cette fuite qui a contribué à bâtir sa légende est reconstituée dans le film ; on voit le Lion, lunettes noires et un keffieh palestinien autour de la tête, roulant sur une mobylette CT à travers des pistes vicinales. Son retour sur la tombe commune où reposent ses compagnons d’armes est un moment de vérité du film car c’est seulement là que la cuirasse de marbre du Lion se fissure, on découvre dans la voix qui bafouille et dans le regard triste, l’extrême solitude et la culpabilité du survivant. Après la version officielle de la fin de la Révolution délivrée par les vainqueurs, ce film donne une autre version, celle du Lion. Pour autant, la vérité historique n’est pas rétablie, non que Boukary Kaboré ne soit pas sincère dans sa lecture des évènements mais parce que cela n’entrait pas dans la préoccupation du réalisateur. L’eut-il souhaité qu’il eut triangulé la version du personnage principal avec d’autres versions, ce qui aurait permis de mieux cerner les contours de l’époque et de capter les lignes de partage entre les différents protagonistes. Même la version du Lion aurait été mieux servie s’il avait donné la parole à d’autres témoins, recouru aux coupures de presse et aux documents audio-visuels de l’époque. Mais le réalisateur a choisi de servir la geste du Lion à travers l’œillère du Lion. Ce docu de 52 minutes a néanmoins le mérite de mettre le projecteur sur un pan méconnu de notre histoire malgré son caractère hagiographique qui limite sa portée en tant que document historique. Toutefois, on peut bien s’accommoder des petits arrangements avec la vérité, si cela peut servir à donner une dimension héroïque aux protagonistes de notre histoire nationale et à offrir à la jeune génération des modèles et des motifs de fierté. C’est à ce prix que se construit une nation selon Renan qui disait dans Qu’est-ce qu’une nation ? que « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien de choses». Ce film est-il le présage que notre cinéma va s’intéresser enfin à notre histoire ? Il faut l’espérer car le cinéma, la fiction bien plus que le documentaire, peut aider à bâtir la nation qui, comme le septième art, est une image projetée avant d’être une réalité. Et le cinéma a la capacité de construire de grands récits et des mythes autour desquels tous les Burkinabè peuvent se retrouver. « On peut violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », concédait Alexandre Dumas.

jeudi 30 août 2012

A la poursuite de l’Empreinte du Renard

C’est un lecteur qui poursuit un livre insaisissable qui se dérobe à chaque fois qu’il croit le tenir. Chassé-croisé entre un livre et un lecteur.


A la gare TCV de Ouagadougou, l’homme, la quarantaine, ne tenait pas en place et trépignait comme un cheval fougueux. Dès qu’il vit que nous nous intéressons à son manège, les yeux brillants, il tendit la main vers une jeune dame et murmura, extatique : l’Empreinte du Renard. Un livre dépassait de la grosse poche de sa saharienne. A travers ces propos qui se bousculaient, sous l’émotion, jaillissant dans un flot impétueux, nous avons compris que ce livre l’obsédait depuis cinq ans. Il nous expliqua qu’il est des livres que l’on croise un jour, le regard posé sur la couverture et qui vous file sous les yeux. Livre vu, entraperçu, couru mais jamais lu. Pour lui, ce livre impossible est L’Empreinte du Renard de Moussa Konaté paru aux Editions Points en 2006.
Tout a commencé il y a cinq années dans un hôtel de Mopti. Le livre était posé sur le comptoir devant la dame de la réception. Il était là, luisant dans sa noire couverture, le titre en lettre d’or brillant d’un sombre éclat. La photo du renard, les yeux étincelants. D’emblée, il avait senti l’envie de posséder ce livre, de l’ouvrir et d’y poser fiévreusement les yeux. Mais la réceptionniste lui expliqua que le roman avait été laissé en consigne par une Française qui était partie dans les falaises de Bandiagara. Il aurait pu attendre le retour de celle-ci mais il devait aussi partir au pays Dogon. Aussi se jura-t-il de se procurer le livre dès son retour à Ouaga. Aucune librairie de la Capitale des « Hommes intègres » n’avait L’Empreinte du Renard en rayon…

Deux ans plus tard, il croisa de nouveau le fameux polar malien. Au Sénégal. A Saint –Louis, la belle île indolente qui a ses pieds dans l’eau et la tête dans le passé, vivant dans la nostalgie d’une époque révolue : celle des belles signares qui doraient au balcon de leurs vastes demeures, le regard soyeux, le maintien altier, un éventail à la main, les bijoux étincelants comme des lucioles. De ce passé, il ne restait que des demeures vieillottes que l’Unesco tente de sauver de la ruine. C’est dans l’une d’elles, transformée en galerie que Le liseur revit avec une émotion inentamée L’Empreinte du renard. Le roman était parmi d’autres livres sur une étagère d’un petit meuble métallique à même la pelouse du jardin.
Et une année après, à Casablanca. En transit avec Royal Air Maroc pour le Burkina, il vit un voyageur, jeune freluquet, look hippie, piercing et tatouage abondants, qui était couché à même le froid carrelage de l’aéroport, la tête sur son sac marin qui tenait lieu d’oreiller, un livre sur le visage. Le livre était… L’Empreinte du Renard… Dès qu’il s’approcha, il entendit le ronflement régulier du jeune. Hésitant entre le réveiller et lui piquer son bouquin, il décida qu’il était plus sage de renoncer au vol qui pouvait le précipiter dans les geôles marocaines réputées aussi terrifiantes que la descente dans les cercles de l’Enfer de Dante.

Et voilà que dans la gare TCV, la Providence le met en ce jour-là devant l’insaisissable roman. Cette fois-ci, il espère que c’est la fin de la traque. Il a rapidement élaboré un scénario pour récupérer le Graal auprès de la jeune femme en saharienne. Comme le voyage jusqu’au Benin dure une journée, il pourra attendre que la jeune femme achève le livre avant de lui proposer de l’acheter.
Pourtant quelque chose nous dit que Le Liseur ne fera rien pour enfin avoir ce livre tant quêté mais jamais obtenu. L’Empreinte du Renard lu, il ne lui restera aucune soif, aucune faim d’un autre livre. Et cela, inconsciemment, il ne doit pas le vouloir.
Saïdou Alcény Barry

mardi 19 juin 2012

Dans les coulisses de la création de Johan Muyle

Histoire d’artistes est une collection de documentaires réalisée par Virginie Cordier. Un court métrage de la collection est consacré à l’artiste sculpteur belge Johan Muyle. Ce film introduit le spectacle dans les coulisses de la création, dans l’atelier du créateur et de suivre pas à pas le processus de création de ses œuvres.

Les artistes partagent avec les cuisiniers la coquetterie de cacher le lieu où ils travaillent. L’atelier comme la cuisine est soustrait au regard du public. Calme bloc ici-bas chu d’un obscur désastre disait Mallarmé de l’œuvre d’art. En effet, l’œuvre est présentée comme surgie d’on ne sait où, telle un aérolithe. Et ce parti pris de cacher l’atelier a eu pour effet d’aiguiser la curiosité du public pour cet univers secret de la création et de provoquer la certaine frustration de n’y être convié.
Histoire d’artistes rompt avec cette tradition du secret en poussant la porte de l’atelier de Johan Muyle. Celui du sculpteur belge est d’ailleurs farouchement défendu par son chiwawa dont les aboiements montrent qu’il n’est pas habitué de voir des intrus dans le laboratoire de son maître. Un atelier rempli d’objets, une véritable caverne d’Ali Baba. Des milliers de poupées et de figurines de famille et des bibelots ramenés des voyage à travers le monde entier : poupées russes, bonhommes indiens, pantins, boîtes à musiques et tutu quanti. C’est, explique Muyle, de la rencontre improbable de ces objets que naît le déclic, l’intuition d’une sculpture. Effectivement des assemblages de Muyle surgit une certaine poésie comme l’est « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! » qu’évoquait Lautréamont. Mais les sculptures de Muyle vont au-delà de la recherche du Beau, elles questionnent aussi notre humanité.


Ainsi la série de squelettes qui, dans des poses variées, évoquent les carnavals de la mort des Fleurs du Mal est une métaphore de notre finitude. Leurs costumes roses sont un clin d’œil aux tenues de détention des génocidaires Hutu, le crâne de l’un pris dans un sac plastique est inspiré de la technique d’étouffement utilisée les Khmers rouges pour économiser les balles. On reconnaît sur une sculpture la cagoule et la pipe du Commandant Marcos. Ailleurs, un écriteau sur un costume parle de la surveillance dont nous sommes l’objet dans une société qui ressemble de plus en plus à celle de Big Brother dans 1984 de George Orwell. En somme l’art de Johan Muyle porte l’empreinte des utopies et des atrocités de notre époque. Toutefois, il est plus un questionnement qu’une prise de position militante. Entre l’engagement artistique de Bataille et celui de Sartre, il choisit une position médiane.
Le film de Virginie Cordier, en plus de nous entrainer dans les cuisines de l’œuvre de Muyle, dessine en creux le portrait d’un homme de 56 ans. Le visage émacié en lame de couteau et les grandes oreilles font penser au personnage de Spock de la série américaine Star Trek. Le recours systématique à l’autoportrait, que ce soit sur ces sculptures ou sur les affiches géantes inspirées des affiches de Bollywood, questionne l’identité et la valeur de la pipolisation.
Par ailleurs, Johan Muyle brise les petites mythologies de l’artiste emmuré dans sa tour de Babel, sa solitude constituant le ferment de sa créativité. On le suit entouré de sa jeune équipe d’assistants composés de deux Geeks qui maîtrisent la robotique et l’informatique. C’est avec eux que s’élaborent les projets d’œuvres ; eux amènent leur fraîcheur, leur enthousiasme juvénile et leurs compétences pour donner forme aux idées et intuitions du maître. On le voit aussi, entouré d’amis et de proches. Un homme à l’aise dans sa communauté comme un poisson dans l’eau. En somme, « Humain, trop humain », dirait Nietzsche.
Histoire d’artistes est une collection pédagogique. En poussant la porte de l’atelier pour y introduire le spectateur, ce film lui donne les clefs de compréhension de l’artiste et de son œuvre tout en l’ouvrant à la compréhension du monde très complexe de l’art. Saidou Alceny Barry

samedi 19 mai 2012

Séguéda Léopold : Un peintre naïf à Dak’art

Séguéda Leopold est le seul artiste plasticien burkinabè présent à la biennale de l’art contemporain african, Dak’art. Il est aussi le seul artiste naïf parmi une centaine d’artistes. L’œuvre sélectionnée Ambiance nocturne intrigue au milieu des autres œuvres par sa singularité et sa forte d’expressivité.

Ce peintre naïf à Dakar n’a rien à voir avec une naïveté de caractère. Naïf est l’étiquette que l’on colle à sa peinture mais Léopold Séguéda pose un regard perspicace et amusé sur le monde. Son œuvre témoigne d’un rendu quasi-radiologique des pulsations de la capitale burkinabè. Né en 1979 à Ouagadougou, il passe son enfance à Zabré, une ville proche de la frontière du Ghana. Bien que doué pour le dessin dès l’enfance, il ne rencontrera la peinture qu’à son retour à Ouagadougou à l’adolescence. Là, il s’initie à la peinture dans l’atelier de Zaré Fayssal, un élève de Bab’s qui est considéré comme le père du mouvement naïf au Burkina Faso.

C’est une peinture qui ne se préoccupe pas des règles d’école. Au contact des peintres formés dans les écoles d’art, Séguéda l’autodidacte a essayé d’intégrer la perspective et la proportion dans sa technique. Très tôt, il comprend que sa démarche perdra de sa spontanéité et de sa créativité en s’encombrant d’académisme. Et bien lui en a pris car sa peinture est, contrairement à beaucoup de ses confrères, authentique et originale. Sa présence à la Biennale de Dakar est la confirmation de son originalité. Le tableau Ambiance nocturne est le fruit de longues nuits blanches passées dans les bars et gargotes de la capitale pour capter les frémissements de la nuit. Ce travail dénonce l’ambiguïté des Ouagalais qui se plaignent de la cherté de la vie et, qui la nuit tombée, dépensent des fortunes dans les plaisirs de la chair et de la bonne chère. Mais cette dénonciation ne se départit jamais de l’ironie, d’où la caricature des personnages. Ségueda ajoute une touche personnelle en utilisant des collages et des graffitis avec de courts textes pleines de fautes d’orthographe, des perles qui font sourire comme Maqui sans S dans Ambiance nocturne.

Séguéda est peu connu dans son pays. Pourtant les connaisseurs de l’art le tiennent en haute estime. Le grand sculpteur de renommée internationale, Ki Siriki fait partie de ceux qui croient en lui et qui l’encourage à travailler dans cette direction. Et Séguéda est bien décidé à s’imposer sur la scène internationale. Assis au bar de l’hôtel Le Lagon, il a le regard qui suit le sillage des pirogues glissant sur la mer. Il pense déjà à l’après Dak’art, à sa participation prochaine à deux expositions en France et à Londres. De son passage à Dakar, il repartira, imprégné du quotidien des Dakarois et son œuvre en portera certainement la trace. Car en parfait entomologiste, il épinglera ses bizarres insectes sur ces toiles futures !

Saïdou Alcény BARRY (BURKINA FASO)

jeudi 22 mars 2012

Romanciers et mythomanes. Frères dans la fabulation

Le roman, c’est le Mentir-vrai disait Louis Aragon pour signifier que l'écriture romanesque, est un dévoilement du réel par la fabulation. Est-ce pour cela que certains romanciers au lieu de créer des personnages de fiction deviennent eux-mêmes des personnages dont la vie est largement romancée ? Parmi ces écrivains mythomanes, il y eut Blaise Cendrars et André Malraux. Pour Ernest Dupré, fondateur du concept de mythomanie, cette pathologie est une tendance constitutionnelle à l'altération de la vérité, à la fabulation, au mensonge et à la création de fables imaginaires. Et ces deux écrivains ont compris que les plus belles vies sont celles que l’on invente. Blaise Cendrars, roi des fabulateurs…
Blaise Cendrars (1887-1961), véritable aventurier qui quitta sa famille à quinze ans pour courir le vaste monde, Moscou, Londres, Rome, New York, Mexico, Venezuela exerça tous les métiers, d’apiculteur, d’apprenti- joaillier, d’éditeur, de journaliste, de cinéaste et d’aventurier. Une vie riche qui a fourni la matière à son œuvre romanesque et poétique. Mais à travers ses œuvres, que d’arrangements avec la vérité, que de mensonges présentés comme des faits avérés de sorte qu’il est impossible de séparer le vrai de l’ivraie dans cette vie fabulée, le flagrant délit de mensonge est un flagrant délire mythomane. Ne raconte-t-il pas qu’il se trouvait dans un hôtel de Pékin pendant le terrible hiver 1904 et qu’il échappa à la mort par hypothermie en brûlant des milliers de livres édités par le Mercure de France ? Pourtant, à cette époque il se trouvait à Saint-Pétersbourg. En outre, il affirmera avoir, sous une inspiration mystique, rédigé le fameux poème Les Pâques à New-York (1912) qui inaugura le vers libre et le très long poème dans les lettres françaises, en une nuit. La vérité est que le poème a été travaillé pendant des mois à son retour à Paris. Mais le plus gros mensonge du poète manchot (il a perdu la main droite pendant la Grande guerre), ce qu’il appellera « ma plus belle nuit d’écriture » : il dira sans ciller avoir écrit des milliers de pages de Moravagine en une nuit !
Par ailleurs, de son reportage en Amérique intitulé « Hollywood, la Mecque du cinéma » (1936) où il raconte ses rencontres avec les grands hommes du cinéma américain, on sait qu’il n’a rencontré ni Charlie Chaplin (avec lequel il disait avait travaillé dans un cirque à Londres), ni Charles Boyer encore moins Ernest Lubitsh. Ce fut un bidonnage de plus.
Il disait avoir écrit un livre à Moscou La légende de Novgorode traduit en russe mais nul n’a jamais vu un seul exemplaire. Pareil pour ses prétendus manuscrits enfermés dans des coffres forts de banques en Amérique latine et dont il aurait oublié les codes. On range tout cela dans les fabulations de l’homme Cendrars.
D’ailleurs, quand on démontait les mensonges devant lui, Cendrars ne se démontait jamais. Ainsi quand on lui dit qu’il avait écrit « Le Poème du Transsibérien » sans avoir traversé la steppe de Sibérie comme il le prétend, il répondait : « Peu importe que je n'aie jamais pris les trains dont je vous parle, l'important est que je vous les ai faits prendre ». Mais face à Cendrars, il y a Malraux qui fut autant ou plus mythomane que lui.

André Malraux, le génial faussaire (1901-1976)

Né d’un père qui s’est carapaté très tôt et d’une mère épicière, Malraux passera sa vie à se rêver autre et à s’inventer une vie cousue de mensonges. Il se dira le fils d’une richissime qui réside à de manière permanente à l'hôtel Claridge, sur les Champs-Elysées. Sans le Bac, mais nanti d’une mémoire prodigieuse ayant la capacité d’un ordinateur, il enregistre tout ce qu’il lit et séduit par sa grande culture et fabrique une identité. Devenu bouquiniste à Paris, il s’improvise spécialiste de livres anciens, séduit la riche Clara Goldschmidt, sa première femme dont il dilapide la fortune dans des investissements farfelus, part en Cambodge pour voler de statuettes khmères au Cambodge, devient directeur de journal anticolonialiste en Indochine et écrivain-vedette avant d’avoir commis un livre. Et réussit à s’illustrer comme un Résistant, à rencontrer De Gaulle, et devenir ministre de la Culture et rata d’un cheveu le Nobel de Littérature. Tout ça, à coup de bluffs, de mensonges et de falsification de l’histoire.
Olivier Todd qui a écrit une biographie sur Malraux affirme avoir eu le dossier militaire du romancier entre les mains et conclut : " Il l'a rédigé lui-même : il s'est attribué des blessures qu'il n'a jamais eues, et il prétend avoir fait de la Résistance dès 1940". En fait, il est venu à la Résistance tardivement, en mars 1944. Et même son prétendu rôle de Commandant de la Brigade Alsace-Lorraine n’est que de façade. Malraux n'avait aucune compétence militaire et avait été réformé de façon définitive en 1922. Il était par conséquent dans l'incapacité de commander et le véritable commandant de cette brigade était le lieutenant-colonel Pierre Jacquot selon les historiens.
Même son engagement dans la guerre espagnole est un simulacre pour se forger une étoffe de héros. En effet l'action de l’escadrille España commandée par Malraux été très surévaluée. La guerre d’Espagne dura quatre ans et l’escadrille de Malraux n’a duré que sept mois. L'appréciation du général en chef de l’aviation républicaine, donc le responsable supérieur de la « glorieuse » escadrille de Malraux, Ignacio Hidalgo de Cisneros, remet les choses au point : « Loin d’être une aide, ils furent une charge... sa contribution en tant que chef d’escadrille s’avéra tout à fait négative »
D’ ailleurs, sa rencontre avec Staline fut un canular comme l’a été celle de Châteaubriand avec George Washington. Et avec La condition humaine, son roman le plus célèbre qui rend compte de la Révolution chinoise, Malraux prétendait avoir vécu le déclenchement de celle-ci de l’intérieur. Pourtant sa compagne de l’époque, Clara Malraux dira qu’ils n’ont passé que quatre jours dans l’empire du milieu et loin des bruits et des fureurs de la société chinoise.
Enfin, Comme Cendrars, Malraux aussi a des histoires rocambolesques de manuscrits soi-disant perdus ou saisis par la Gestapo.
«Etre homme c'est réduire au maximum sa part de comédie », disait Malraux. Ceci de la part d’un homme qui était perpétuellement en représentation et dont toute la vie fut une immense comédie relève d’un certain toupet !
Si ces deux romanciers sont ceux dont la mythomanie est manifeste, à scruter de près la plupart des textes qui se veulent des témoignages, on découvre que nombre d’hommes ont tendance à embellir leur vie, à grandir leur rôle dans l’histoire et à gommer tout ce qui est à leur désavantage. Aussi la plupart des mémoires d’hommes politiques sont-ils des fabulations de mythomanes. Faut-il conclure que la plupart des hommes, dès qu’ils ont le pouvoir d’écrire leur vie, tombent dans la mythification et la mystification ?
Saidou Alceny Barry

vendredi 16 mars 2012

Tiens bon, Bonkano ! un mendigot nous fait la leçon

Seul sur scène, Boukary Tarnagda joue Tiens bon, Bonkano ! d’Alferd Dogbé dans une mise en scène depouillée de Tindano Mahamoudou. Le mendiant Bonkano déroule sa vie, évoque ses rencontres, les portraiture jusqu’à la caricature et dessine en creux le portrait peu reluisant du continent. C’était le 2 mars 2012 à l’Espace culturel Gambidi. Spectacle d’un grand comique, rafraîchissant et corrosif.

Tiens bon, Bonkano ! met en scène un mendiant qui tend la sébile dans les rues de Niamey mais ce pourrait être n’importe quelle ville africaine. Lui, sa famille et tout son village ont été contraints par la famine à émigrer en ville, attirés par les discours pleins de compassion et de promesses d’aide des hommes politiques. L’entrée dans la capitale leur est refusée. La soldatesque les accueille sans ménagement et les parque tel un bétail dans un camp de réfugiés. Rapidement les vivres sont épuisés à cause des détournements. Ayant perdu femme, enfants et biens, il est réduit à faire la manche pour vivre.
Malgré son déhanchement de vieux coq, sa veste élimée et son sac fourre-tout, Bonkano reste un homme qui exige le respect et qui n’hésite pas à le faire savoir. C’est devant le portail d’une dame esseulée que Bonkano, bouquet de fleurs en main, entre deux sonneries, évoque sa vie de mendiants. C’est en attendant l’amour que notre Casanova en guenilles, livre ses pensées sur la vie. Ulcéré qu’un quidam lui dise d’aller travailler, il boue littéralement. Et telle une coquette-minute qui laisse de chaudes vapeurs s’en échapper pour ne pas imploser, Bonkano, entre deux étranglements de colère, est un geyser de paroles. Des tranches de vie qui restituent au-delà du mendiant la photographie d’une Afrique peu reluisante et écorne au passage la lisse image de l’humanitaire et de la solidarité internationale.
Et défile une galerie de personnages loufoques que Tarnagda Boukary habite avec beaucoup de réussite. On en rit aux larmes. Bonkano a dressé sa typologie du citadin face à la charité : le sans-cœur qui ne tend jamais la main, l’impertinent qui demande au mendiant d’aller travailler, la dame solitaire qui offre le repas et attend un peu de chaleur en retour et enfin celle qui se débarrasse des aliments détériorés par l’aumône, confondant la sébile et la poubelle. Et un mendiant peut en cacher un autre ! De l’élégante dame au monsieur en veste, cravate et mallette qui abordent les hommes pour les délester de quelques billets jusqu’aux ministres qui, à la télé, exhibent la misère de leur pays pour attendrir les donateurs et l’aide internationale : tous sont des mendigots comme Bonkano à la différence près que lui, il assume sans hypocrisie son état !
A travers cette pièce d’Alfred Dogbé, sous la couche du comique, il y a une critique sans merci du continent et de l’assistanat dans lequel se vautrent les Etats. Bonkano n’est pas dupe mais il se moque de tout et se paie la tête de tous. Par-là, il est un Diogène contemporain. Comme le philosophe grec qui vécut misérable dans un tonneau, Bonkano à force de vivre dans une solitude publique a acquis une telle connaissance de ses semblables qu’il s’exerce à les dévêtir de leurs masques et à nous les
montrer dans leur nudité. Et ce qu’il révèle de l’homme est bas et mesquin !
Pendant plus d’une heure, Boukary Tarnagda nous transporte avec beaucoup de bonheur dans le quotidien de Bonkano. Ce spectacle, servi par une mise en scène minimaliste, un éclairage aussi dépouillé que la vie du personnage, est comme de la glu. Plus il se poursuit et plus le spectateur est scotché si bien qu’à la fin, il a du mal à se détacher du personnage. On rit beaucoup mais à la fin, quand meurt le rire, on éprouve un brin de remords. Boncano est un clown et l’on rit toujours aux dépens du clown. Mais c’est un clown triste car sous le masque de la comédie, il y a le malheur d’un homme réduit à tendre la main dans le mépris des hommes et l’indifférence de l’Etat.
P.s: Pendant que l'on jouait Tiens Bon, Bonkano! à Ouagadougou ce soir 2 mars, on pleurait la mort d'Alfred Dogbé à Lomé au Togo. Signe qu'un créateur se survit toujours à travers son oeuvre.

Saïdou Alcény Barry