Le roman, c’est le Mentir-vrai disait Louis Aragon pour signifier que l'écriture romanesque, est un dévoilement du réel par la fabulation. Est-ce pour cela que certains romanciers au lieu de créer des personnages de fiction deviennent eux-mêmes des personnages dont la vie est largement romancée ? Parmi ces écrivains mythomanes, il y eut Blaise Cendrars et André Malraux. Pour Ernest Dupré, fondateur du concept de mythomanie, cette pathologie est une tendance constitutionnelle à l'altération de la vérité, à la fabulation, au mensonge et à la création de fables imaginaires. Et ces deux écrivains ont compris que les plus belles vies sont celles que l’on invente.
Blaise Cendrars, roi des fabulateurs…
Blaise Cendrars (1887-1961), véritable aventurier qui quitta sa famille à quinze ans pour courir le vaste monde, Moscou, Londres, Rome, New York, Mexico, Venezuela exerça tous les métiers, d’apiculteur, d’apprenti- joaillier, d’éditeur, de journaliste, de cinéaste et d’aventurier. Une vie riche qui a fourni la matière à son œuvre romanesque et poétique. Mais à travers ses œuvres, que d’arrangements avec la vérité, que de mensonges présentés comme des faits avérés de sorte qu’il est impossible de séparer le vrai de l’ivraie dans cette vie fabulée, le flagrant délit de mensonge est un flagrant délire mythomane. Ne raconte-t-il pas qu’il se trouvait dans un hôtel de Pékin pendant le terrible hiver 1904 et qu’il échappa à la mort par hypothermie en brûlant des milliers de livres édités par le Mercure de France ? Pourtant, à cette époque il se trouvait à Saint-Pétersbourg. En outre, il affirmera avoir, sous une inspiration mystique, rédigé le fameux poème Les Pâques à New-York (1912) qui inaugura le vers libre et le très long poème dans les lettres françaises, en une nuit. La vérité est que le poème a été travaillé pendant des mois à son retour à Paris. Mais le plus gros mensonge du poète manchot (il a perdu la main droite pendant la Grande guerre), ce qu’il appellera « ma plus belle nuit d’écriture » : il dira sans ciller avoir écrit des milliers de pages de Moravagine en une nuit !
Par ailleurs, de son reportage en Amérique intitulé « Hollywood, la Mecque du cinéma » (1936) où il raconte ses rencontres avec les grands hommes du cinéma américain, on sait qu’il n’a rencontré ni Charlie Chaplin (avec lequel il disait avait travaillé dans un cirque à Londres), ni Charles Boyer encore moins Ernest Lubitsh. Ce fut un bidonnage de plus.
Il disait avoir écrit un livre à Moscou La légende de Novgorode traduit en russe mais nul n’a jamais vu un seul exemplaire. Pareil pour ses prétendus manuscrits enfermés dans des coffres forts de banques en Amérique latine et dont il aurait oublié les codes. On range tout cela dans les fabulations de l’homme Cendrars.
D’ailleurs, quand on démontait les mensonges devant lui, Cendrars ne se démontait jamais. Ainsi quand on lui dit qu’il avait écrit « Le Poème du Transsibérien » sans avoir traversé la steppe de Sibérie comme il le prétend, il répondait : « Peu importe que je n'aie jamais pris les trains dont je vous parle, l'important est que je vous les ai faits prendre ». Mais face à Cendrars, il y a Malraux qui fut autant ou plus mythomane que lui.
André Malraux, le génial faussaire (1901-1976)
Né d’un père qui s’est carapaté très tôt et d’une mère épicière, Malraux passera sa vie à se rêver autre et à s’inventer une vie cousue de mensonges. Il se dira le fils d’une richissime qui réside à de manière permanente à l'hôtel Claridge, sur les Champs-Elysées. Sans le Bac, mais nanti d’une mémoire prodigieuse ayant la capacité d’un ordinateur, il enregistre tout ce qu’il lit et séduit par sa grande culture et fabrique une identité. Devenu bouquiniste à Paris, il s’improvise spécialiste de livres anciens, séduit la riche Clara Goldschmidt, sa première femme dont il dilapide la fortune dans des investissements farfelus, part en Cambodge pour voler de statuettes khmères au Cambodge, devient directeur de journal anticolonialiste en Indochine et écrivain-vedette avant d’avoir commis un livre. Et réussit à s’illustrer comme un Résistant, à rencontrer De Gaulle, et devenir ministre de la Culture et rata d’un cheveu le Nobel de Littérature. Tout ça, à coup de bluffs, de mensonges et de falsification de l’histoire.
Olivier Todd qui a écrit une biographie sur Malraux affirme avoir eu le dossier militaire du romancier entre les mains et conclut : " Il l'a rédigé lui-même : il s'est attribué des blessures qu'il n'a jamais eues, et il prétend avoir fait de la Résistance dès 1940". En fait, il est venu à la Résistance tardivement, en mars 1944. Et même son prétendu rôle de Commandant de la Brigade Alsace-Lorraine n’est que de façade. Malraux n'avait aucune compétence militaire et avait été réformé de façon définitive en 1922. Il était par conséquent dans l'incapacité de commander et le véritable commandant de cette brigade était le lieutenant-colonel Pierre Jacquot selon les historiens.
Même son engagement dans la guerre espagnole est un simulacre pour se forger une étoffe de héros. En effet l'action de l’escadrille España commandée par Malraux été très surévaluée. La guerre d’Espagne dura quatre ans et l’escadrille de Malraux n’a duré que sept mois. L'appréciation du général en chef de l’aviation républicaine, donc le responsable supérieur de la « glorieuse » escadrille de Malraux, Ignacio Hidalgo de Cisneros, remet les choses au point : « Loin d’être une aide, ils furent une charge... sa contribution en tant que chef d’escadrille s’avéra tout à fait négative »
D’ ailleurs, sa rencontre avec Staline fut un canular comme l’a été celle de Châteaubriand avec George Washington. Et avec La condition humaine, son roman le plus célèbre qui rend compte de la Révolution chinoise, Malraux prétendait avoir vécu le déclenchement de celle-ci de l’intérieur. Pourtant sa compagne de l’époque, Clara Malraux dira qu’ils n’ont passé que quatre jours dans l’empire du milieu et loin des bruits et des fureurs de la société chinoise.
Enfin, Comme Cendrars, Malraux aussi a des histoires rocambolesques de manuscrits soi-disant perdus ou saisis par la Gestapo.
«Etre homme c'est réduire au maximum sa part de comédie », disait Malraux. Ceci de la part d’un homme qui était perpétuellement en représentation et dont toute la vie fut une immense comédie relève d’un certain toupet !
Si ces deux romanciers sont ceux dont la mythomanie est manifeste, à scruter de près la plupart des textes qui se veulent des témoignages, on découvre que nombre d’hommes ont tendance à embellir leur vie, à grandir leur rôle dans l’histoire et à gommer tout ce qui est à leur désavantage. Aussi la plupart des mémoires d’hommes politiques sont-ils des fabulations de mythomanes. Faut-il conclure que la plupart des hommes, dès qu’ils ont le pouvoir d’écrire leur vie, tombent dans la mythification et la mystification ?
Saidou Alceny Barry
Blaise Cendrars (1887-1961), véritable aventurier qui quitta sa famille à quinze ans pour courir le vaste monde, Moscou, Londres, Rome, New York, Mexico, Venezuela exerça tous les métiers, d’apiculteur, d’apprenti- joaillier, d’éditeur, de journaliste, de cinéaste et d’aventurier. Une vie riche qui a fourni la matière à son œuvre romanesque et poétique. Mais à travers ses œuvres, que d’arrangements avec la vérité, que de mensonges présentés comme des faits avérés de sorte qu’il est impossible de séparer le vrai de l’ivraie dans cette vie fabulée, le flagrant délit de mensonge est un flagrant délire mythomane. Ne raconte-t-il pas qu’il se trouvait dans un hôtel de Pékin pendant le terrible hiver 1904 et qu’il échappa à la mort par hypothermie en brûlant des milliers de livres édités par le Mercure de France ? Pourtant, à cette époque il se trouvait à Saint-Pétersbourg. En outre, il affirmera avoir, sous une inspiration mystique, rédigé le fameux poème Les Pâques à New-York (1912) qui inaugura le vers libre et le très long poème dans les lettres françaises, en une nuit. La vérité est que le poème a été travaillé pendant des mois à son retour à Paris. Mais le plus gros mensonge du poète manchot (il a perdu la main droite pendant la Grande guerre), ce qu’il appellera « ma plus belle nuit d’écriture » : il dira sans ciller avoir écrit des milliers de pages de Moravagine en une nuit !
Par ailleurs, de son reportage en Amérique intitulé « Hollywood, la Mecque du cinéma » (1936) où il raconte ses rencontres avec les grands hommes du cinéma américain, on sait qu’il n’a rencontré ni Charlie Chaplin (avec lequel il disait avait travaillé dans un cirque à Londres), ni Charles Boyer encore moins Ernest Lubitsh. Ce fut un bidonnage de plus.
Il disait avoir écrit un livre à Moscou La légende de Novgorode traduit en russe mais nul n’a jamais vu un seul exemplaire. Pareil pour ses prétendus manuscrits enfermés dans des coffres forts de banques en Amérique latine et dont il aurait oublié les codes. On range tout cela dans les fabulations de l’homme Cendrars.
D’ailleurs, quand on démontait les mensonges devant lui, Cendrars ne se démontait jamais. Ainsi quand on lui dit qu’il avait écrit « Le Poème du Transsibérien » sans avoir traversé la steppe de Sibérie comme il le prétend, il répondait : « Peu importe que je n'aie jamais pris les trains dont je vous parle, l'important est que je vous les ai faits prendre ». Mais face à Cendrars, il y a Malraux qui fut autant ou plus mythomane que lui.
André Malraux, le génial faussaire (1901-1976)
Né d’un père qui s’est carapaté très tôt et d’une mère épicière, Malraux passera sa vie à se rêver autre et à s’inventer une vie cousue de mensonges. Il se dira le fils d’une richissime qui réside à de manière permanente à l'hôtel Claridge, sur les Champs-Elysées. Sans le Bac, mais nanti d’une mémoire prodigieuse ayant la capacité d’un ordinateur, il enregistre tout ce qu’il lit et séduit par sa grande culture et fabrique une identité. Devenu bouquiniste à Paris, il s’improvise spécialiste de livres anciens, séduit la riche Clara Goldschmidt, sa première femme dont il dilapide la fortune dans des investissements farfelus, part en Cambodge pour voler de statuettes khmères au Cambodge, devient directeur de journal anticolonialiste en Indochine et écrivain-vedette avant d’avoir commis un livre. Et réussit à s’illustrer comme un Résistant, à rencontrer De Gaulle, et devenir ministre de la Culture et rata d’un cheveu le Nobel de Littérature. Tout ça, à coup de bluffs, de mensonges et de falsification de l’histoire.
Olivier Todd qui a écrit une biographie sur Malraux affirme avoir eu le dossier militaire du romancier entre les mains et conclut : " Il l'a rédigé lui-même : il s'est attribué des blessures qu'il n'a jamais eues, et il prétend avoir fait de la Résistance dès 1940". En fait, il est venu à la Résistance tardivement, en mars 1944. Et même son prétendu rôle de Commandant de la Brigade Alsace-Lorraine n’est que de façade. Malraux n'avait aucune compétence militaire et avait été réformé de façon définitive en 1922. Il était par conséquent dans l'incapacité de commander et le véritable commandant de cette brigade était le lieutenant-colonel Pierre Jacquot selon les historiens.
Même son engagement dans la guerre espagnole est un simulacre pour se forger une étoffe de héros. En effet l'action de l’escadrille España commandée par Malraux été très surévaluée. La guerre d’Espagne dura quatre ans et l’escadrille de Malraux n’a duré que sept mois. L'appréciation du général en chef de l’aviation républicaine, donc le responsable supérieur de la « glorieuse » escadrille de Malraux, Ignacio Hidalgo de Cisneros, remet les choses au point : « Loin d’être une aide, ils furent une charge... sa contribution en tant que chef d’escadrille s’avéra tout à fait négative »
D’ ailleurs, sa rencontre avec Staline fut un canular comme l’a été celle de Châteaubriand avec George Washington. Et avec La condition humaine, son roman le plus célèbre qui rend compte de la Révolution chinoise, Malraux prétendait avoir vécu le déclenchement de celle-ci de l’intérieur. Pourtant sa compagne de l’époque, Clara Malraux dira qu’ils n’ont passé que quatre jours dans l’empire du milieu et loin des bruits et des fureurs de la société chinoise.
Enfin, Comme Cendrars, Malraux aussi a des histoires rocambolesques de manuscrits soi-disant perdus ou saisis par la Gestapo.
«Etre homme c'est réduire au maximum sa part de comédie », disait Malraux. Ceci de la part d’un homme qui était perpétuellement en représentation et dont toute la vie fut une immense comédie relève d’un certain toupet !
Si ces deux romanciers sont ceux dont la mythomanie est manifeste, à scruter de près la plupart des textes qui se veulent des témoignages, on découvre que nombre d’hommes ont tendance à embellir leur vie, à grandir leur rôle dans l’histoire et à gommer tout ce qui est à leur désavantage. Aussi la plupart des mémoires d’hommes politiques sont-ils des fabulations de mythomanes. Faut-il conclure que la plupart des hommes, dès qu’ils ont le pouvoir d’écrire leur vie, tombent dans la mythification et la mystification ?
Saidou Alceny Barry
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