Jacques B. Guégané est
un des plus grands poètes du Burkina Faso. Il est auteur d’une œuvre
parcimonieuse mais forte car il a réussi à se
défaire du beaucoup pour ne garder que l’important. C’est un homme qui
s’épanche rarement dans les médias ; il pense que l’artiste doit se taire
et laisser entendre la voix de l’œuvre. Exceptionnellement, pour la première
fois, il brise le silence et nous parle
de sa conception de la littérature empreinte de spiritualité.
- L’Observateur Paalga (L’Obs) : Qu’entendez-vous par poésie ?
Jacques Boureima
Guégané (J.B.G) : J’éprouve des difficultés quand j’essaie de dire ma
conception de la poésie. Car les notions sont installées et il est difficile de
revenir là-dessus. Je n’ai jamais pris la poésie au sens strict de littérature.
Pour moi, c’est un genre de langage, une espèce de portail qui me permet de
découvrir le monde. Et si au bout de cette découverte, il y a quelque chose
qu’il faut retenir pour ma communauté, c’est cet aspect de nouveauté qui est pour moi la poésie.
Nouveauté au sens de création. La création peut être une découverte ou une
invention et cela ne s’applique pas uniquement au genre littéraire, c’est
plutôt une démarche, une action qui fait surgir dans le monde apparent,
sensible quelque chose d’inconnu.
- L’Obs : Comment caractériserez-vous
vos œuvres ?
J.B.G : Mes œuvres se caractérisent comme
poésie en mouvement et une poésie du mouvement. Quand je dis poésie en
mouvement, c’est en tant que langage, c’est comme les mathématiques ça entre dans le domaine des signes ;
comme Ferdinand de Saussure définit la
linguistique comme la vie des signes. Et c’est une véritable vie car la langue
naît, vit, meurt. Ce qui est important dans le langage, dans le signe, c’est
qu’il n’existe pas pour lui-même, il renvoie toujours à autre chose. Et ce
renvoi-là, tant qu’on n’atteint pas la réalité de référence est toujours en
activité. Ce qui fait que l’on peut parler de l’arbitraire du signe parce que tout
ce qui existe renvoie toujours à quelque chose qu’on ne voit pas ou qu’on peut
découvrir ; c’est une démarche inépuisable tant qu’on reste dans un monde
multidimensionnel car nous ne savons pas ce qu’est le monde et nous ne savons
pas c’est qu’est la vie.
- L’Obs: Comment le texte La guerre
de sables a été écrit ?
J.B.G: J’ai essayé de figurer le processus
initiatique qui est toujours sous forme de voyage. Dans tous les sens :
physique, d’un lieu à un autre, voyage psychologique, voyage mental, ce peut
être une modification d’état de conscience, par exemple l’extase sous toutes
ses formes. J’ai donc pris la figure de la relation homme-femme. Les deux
personnages sont au début dans une région aride (un domaine des sables) et la
femme, selon le préjugé dû à ma culture, n’aime pas cet environnement ;
elle revient au Sud, perçu comme lieu de fertilité et d’abondance. Apparemment
elle refuse cette initiation. Après la rupture, une délégation du Sud vient pour
voir ce qui s’est passé. De l’autre côté, la femme s’est rendu compte que
malgré tous les rituels, elle n’est pas féconde. Elle décide, en accord avec sa
communauté, de repartir au nord. A son arrivée, le jeune homme n’est plus là,
son père l’a obligé à aller plus haut pour continuer son initiation. La femme,
sans se décourager l’attend et suit mentalement son évolution. Voila une façon
de figurer cette initiation.
Mais le fait veut que le Nord soit plus spirituel que le Sud
devrait être revues, cette façon de diviser le monde ou le corps ne me semble
pas juste. Il y a toujours un lien entre l’esprit et le corps. Cette initiation
finit par révéler l’unité de l’homme et de la nature. C’est une façon de
revisiter les mythes et de me les approprier. Je pense que dans l’initiation,
c’est le premier pas qui compte et elle ne finit jamais. C’est une démarche
quotidienne…Le même personnage se métamorphose en multiple et le multiple se
métamorphose en l’un.
Pour la plupart des autres textes, c’est à peu près la même
chose.
- L’Obs: Combien de temps dure l’écriture d’une œuvre ?
J.B.G : C’est difficile de situer exactement
ce qui amène à commencer une écriture
parce que le besoin de revisiter les mythes est une démarche de tout instant.
Ce qui fait que n’importe quel évènement, n’importe quelle perception peut être
un déclencheur. Maintenant il s’agit de savoir comment partir…
On peut être en train de courir et une idée vous traverse,
vous décidez d’en faire une image, vous lisez, une formule vous frappe et vous voyez si cela ne peut pas
exprimer ce que vs sentez. C’est comme si on croyait à un certain magnétisme de
l’événement qui attire à lui les idées. C’est comme si les idées voyageaient.
Et puis je laisse le temps aux choses de s’agréger ;
quelquefois la structuration se fait au fur et à mesure, il y a aussi une phase
de documentation. Je n’écris jamais d’affilée, c’est plutôt par morceau. Par
exemple, la rédaction de l’An des Criquet m’a au moins pris vingt
ans. Je l’ai commencé à Ouagadougou en 1981 et j’ai continué à Lomé où je suis
resté six à 7 ans et je l’ai fini à mon retour à Ouagadougou. Ce qui fait que
je l’ai publié en 2001. Est-ce que c’est fini ? Je ne le sais pas.
- L’Obs : Comment vous écrivez, dans quelles dispositions ?
J.B.G : Je crois que je n’ai rien de
particulier parce que je peux écrire à tout moment. Je peux être inspiré
pendant que je marche, pendant que je cause avec des gens la gestation peut se
faire. En général, je n’éprouve pas une poussée qui me force à écrire. Au
début, je pensais que je pouvais écrire quand je le voulais, mais je peux vivre
sans écrire, car je ne sépare pas l’écriture de ma vie.
La création exige de la patience pour que les choses
atteignent une certaine maturité, ça rend facile la création. Il m’arrive de
prendre beaucoup de notes, ça peut être un vers mais quand je dis vers, c’est
parce que je cherche à la fois le rythme, la prosodie, les images. Quand je me
mets à écrire, il s’agit alors de savoir comment placer mes notes. Comme dans
un jeu de scrabble, dès que vous placez le premier mot, la première phrase, les
autres éléments s’organisent en fonction. Mais ce qui est important, c’est la
logique, la cohérence pour que ce soit une œuvre pensée. Il y a toujours une
logique qui fait qu’une œuvre est œuvre même si ce n’est pas la logique
occidentale. Lorsqu’on pense avoir posé l’essentiel, on passe au travail de
nettoyage…
- L’Obs : Avez-vous un feed-back de vos œuvres ?
J.B.G : Oui, il y a des études universitaires
de George Sawadogo, de Valentin Traoré et des travaux d’étudiants sur mes
textes.
Mais les aléas de l’édition font que les œuvres sont
introuvables et les gens n’ont pas un contact direct avec l’œuvre et se
contentent souvent des commentaires sur l’œuvre. On dit que l’œuvre est
hermétique et quand ce mot est lâché, on ne peut plus entrer en résonance avec
l’œuvre… Ensuite je n’ai pas de préjugé sur le lexique : qu’il soit
technique, ethnographique, pour moi, c’est la place du mot qui importe. L’espace
et le temps ne comptent pas en ce qui concerne le lexique. Il ne me gène pas de
parler le lama (ndl : mammifère ruminant des Andes) dans un poème sur
l’Afrique. Je crois que l’insolite est plus signifiant que les mots du
quotidien.
Et je pense que lorsque l’on veut créer du nouveau, il faut
aussi de nouveaux instruments. La poésie exige un nouveau langage. Par exemple,
la femme peut être comparée à un trou (dans un sens voudou), à une tombe, à un
sanctuaire, à un autel et il faut accepter…
Ce feed-back fait partie du texte, est utile au texte
lui-même et il faut laisser le texte se défendre lui-même.
- L’Obs : Quels ouvrages lisez-vous actuellement ?
J.B.G : Je fais souvent de la lecture
utilitaire. Actuellement je relis des textes sur la cybernétique La Cybernétique et ses Théoriciens de
Léon-Jacques Delpech et La Puce et les
Géants de Eric Laurent parce que je m’intéresse actuellement à la
numérisation et je fais des recherches sur Internet autour de la Svastika qui
est le symbole hindou de la bonne fortune et du mouvement (ndlr : la croix
gammée des Nazis s’inspire de la svastika).
- L’Obs : Quels sont les trois ouvrages que vous emporterez dans
une retraite ?
J’emporterai toute la poésie de
Saint-John Perse, La Poésie de l’Extase
et le pouvoir chamanique du langage de Stéphane Labat et La Métaphore vive de Paul Ricoeur.
Saïdou Alcény BARRY
Les Œuvres de l’auteur
Le Pays disparu, Présence africaine n°78, Paris,
1971
La Guerre des sables, Presses africaines, Ouagadougou,
1979
Nativité, NEA, Dakar, 2001
L’An des criquets, L’Harmattan, Paris, 2001
En mémoire d’un tambour
de guerre,
Découvertes du Burkina, Ouagadougou, 2003
Chanson du mal inconnu, Découvertes du Burkina,
Ouagadougou, 2004
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