Songré Etienne Sawadogo
vient de publier En Seine majeur(e)
suivi de Pologne (non) bohème aux
éditions l’Harmattan. Ce recueil de poèmes est une déambulation poétique autour
du monde et une réflexion sur l’homme et l’histoire. Des rêveries poétiques
d’un promeneur solitaire mais d’un homme solidaire de l’humaine condition.
A moi. L’histoire d’une
de mes folies
devrais-je écrire à propos de mon rapport à ce recueil si le vers n’était déjà
pris depuis fort longtemps par le poète aux semelles de vents. En effet, cela
faisait deux semaines que ce recueil était posé sur ma table de chevet et pourtant
une appréhension faisait que j’évitais de m’y plonger. Pourquoi cette
peur ? Parce que l’auteur est journaliste et que je ne connais point de bon journaliste qui soit bon poète. Ces
deux-là ont un rapport opposé à la langue : l’un taille dans la langue
comme un bûcheron tandis que l’autre, d’une main précautionneuse en cueille les
plus belles fleurs.
Et puis, je me suis lancé ! Mais avec une prudence de
sioux, comme quelqu’un qui s’engage dans un boyau, prêt à rebrousser chemin au
moindre faux pas. Et grand fut mon ravissement. L’auteur du recueil, Songré Etienne Sawadogo, est un poète au sens
où comme un chercheur d’or tamise la gangue pour n’en retenir que les pépites,
lui aussi passe la langue à l’étamine pour cueillir les mots les plus justes. J’ai
fait des allers-retours dans ce recueil avec un plaisir toujours inentamé.
Il y a donc au moins un journaliste poète. Je
l’ignorais ! A ma décharge, ma totale ignorance des antécédentes
publications de cet auteur. Etienne Songré a publié Contre-chants en 1995 et Sonorités
sahéliennes : silences et Cie aux Editions Jamana. Il était déjà dans l’Anthologie de la poésie burkinabè.
Dans le poème Cueilleurs
d’étoiles, il se définit poète avec des accents hugoliens.
J’appartiens aux
cueilleurs d’étoiles
Artistes sculptant le
néant et l’intangible
Artisans des confettis
d’espoir
Et des grappes
d’espérances.
Ce troisième recueil est un carnet poétique d’un arpenteur du
monde. Un Africain dont les déambulations vont de la Seine, aux petits villages
de la France profonde, des îles de la Caraïbes et jusqu’en Europe de l’Est, au
Ghetto de Varsovie. Avec un mouvement de balancier il apparie les choses vues
ailleurs et la réminiscence de beautés d’Afrique. Ainsi les eaux de la Seine font écho à celles
du Sénégal, du Congo, du Niger et du Nil. Dans
Senteurs mémorielles, sentences d’espoir, on assiste à la sarabande des
lieux d’ici et d’ailleurs qui tournoient dans le poème et se donnent la main
par-delà les océans et les continents.
De Fondary à
Fontainebleau
De Fontainebleau à Leo
De léo à Omaha
D’Ohama et hors Ohama.
Le Poète hante les lieux et de ce face-à-face avec ces espace
habités par l’histoire ou touchés par la beauté, naissent des ressentis, des
grâces et parfois des admonestations.
Dans Pologne (non)
bohème, le poète chante la résilience des Juifs du Ghetto de Varsovie et
tance ceux qui sont les porteurs de morts. Mais au finale, c’est un chant
d’union retrouvée, d’humanité pacifiée qui monte de son poème.
Un si long chant
Pour le monde
Et contre l’oubli.
Songré Etienne Sawadogo |
L’auteur joue beaucoup sur la sonorité que ce soit dans le
rapprochement des lieux ou même dans le choix des mots de chaque vers. Aussi,
bien qu’il opte pour le vers libre, chaque poème est truffé d’allitérations et
d’assonances, de sorte que il y a une
musicalité du texte qui emprunt chaque poème d’une atmosphère sonore.
Si quelques écrivains sont dédicataires de certains textes,
il y a un dialogue continu avec d’illustres devanciers à travers certains
poèmes sous forme de clins d’œil, de proximité thématique. Comment ne pas
penser, au vu du titre du recueil avec les noms Seine et Pologne, à ce poète
polonais, Wilhelm Albert Włodzimierz
Aleksander Apolinary Kostrowicki, qui sous le nom de Guillaume Apollinaire célébra la Seine dans le poème Le pont Mirabeau. Paroles
fait penser à la poésie de Pacéré et certains passages du recueil à Mallarmé.
Car l’important n’est pas d’être compris du lecteur mais de pousser l’art
poétique jusqu’à bout de ses possibilités.
Mais comme le note avec justesse la préfacière Nathalie Philippe,
Songré Etienne Sawadogo est un poète
senghorien. Aussi comme l’illustre président poète, la poésie de notre
compatriote est-elle ouverte aux vents du Nord tout en s’enracinant dans la
culture africaine. Il reprend le credo de la civilisation de l’universel. Ce
n’est pas un hasard que ce soit Dans le poème Le pont de Saint-Louis, que le poète appelle :
Pour de luxuriantes
rencontres
De fécondes
retrouvailles
En une universelle
fratrie
Et comme Senghor, sa poésie est celle d’un seigneur de la
langue, elle n’use que des mots les plus nobles et les plus rares. Il préférera
clepsydre à horloge ou pendule. D’où
le sentiment d’entrer dans un monde ancien, un siècle passé, une époque
dix-neuvième siècle… De sorte que de ses poèmes, il monte un air de musique
ancienne, un parfum de nostalgie, une odeur de passé comme celle qui monte d’un
coffret que l’on ouvre pour rendre au jour des choses longtemps enfouies.
On peut toutefois regretter que l’auteur soit d’une telle
correction de langue, d’une telle élégance de style. On aurait aimé qu’il soit
un tantinet indocile à la belle langue, qu’il allât au-delà des quelques africanismes
et qu’il sommât la langue française de se plier à la syntaxe du moore. Il aurait plus incrusté les
images et les mythes des langues africaines dans ses poèmes qu’il aurait mieux
mis en valeur le métissage dont il est le chantre. Mais on comprend que s’il
avait le choix, les contemporains qu’il se serait choisi ne seraient pas les
écrivains du 20ème siècle.
Avec ce troisième recueil, le poète burkinabè livre sa vision
tremblée du monde, tout en nuance, en empathie avec l’autre et en espérance. Ce
recueil est aussi la preuve qu’un journaliste peut faire un bon poète.
Maintenant, je le sais !
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