Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 8 septembre 2011

Le vieil homme à la viole

Karim Ouédraogo est un mal voyant de Tanghin. Guidé par un garçonnet, il fait la tournée des espaces achalandés pour jouer de sa viole et chanter. C’est un obscur musicien qui, jamais n’aura de cassette ni de clip. Très peu connu, hormis de ceux, peu nombreux, qui ont eu le bonheur de croiser sa trajectoire. J’ai fait partie de ces rares élus, une nuit à Gourcy.

Cette nuit-là nous étions dans une auberge de Gourcy. La moiteur de l’air nous avait poussés hors des chambres transformées en étuve par la chaleur. Assis sur la terrasse, nous attendions que le mitan de la nuit nous amène un peu de fraîcheur et de sommeil. Un jeu de cartes miraculeusement apparu nous décida de jouer à la belote. Nous étions tout absorbés par la valse des cartes et la ronde des équipes autour de la table quand, soudain les aboiements du chien de la gérante et l’envol des pigeons dans un froufrou d’ailes signalèrent une présence. Un vieil homme se tenait sur le seuil, un bâton à la main, la viole en bandoulière et le visage scrutant le ciel étoilé. Un garçon d’une dizaine d’années se tenait à ses côtés. Nous pensions que le vieil homme avait perdu son chemin et que nos voix dans la nuit l’avaient guidé jusqu’à nous. Mais au lieu de demander sa route, il s’installa tranquillement dans un coin, à quelques mètres, se saisit de sa viole et se mit à en jouer. C’était une viole faite d’une casserole et d’un morceau de bois qui servait de manche et sur lequel étaient tendus des crins de cheval. L’archet était aussi fait de crins de cheval. Il le fit courir sur le manche et des gémissements de la viole montèrent dans les airs. Il chantait d’une voix chevrotante. Rapidement nous nous concertâmes et quelques piécettes d’argent furent rapidement réunies et remises au vieil homme. Nous pensions ainsi mettre fin à cette irruption et reprendre notre partie de cartes. Les pièces disparurent dans une poche du boubou du musicien et l’archet se mis à courir plus lestement sur le manche et le chant grimpa plus haut. Nous comprîmes que la partie de cartes était perdue et que le vieil musicien avait décidé d’installer ses quartiers sur nos terres. Il s’appelle Karim Ouédraogo de Tanghin. C’est un mal voyant. De ses yeux, « la divine étincelle est partie». Le garçonnet lui prête l’acuité de son regard en le guidant depuis qu’il est enfermé dans la nuit éternelle. Il pourrait tendre la sébile comme beaucoup d’aveugles pour bénéficier de la générosité des bonnes âmes. Mais conscient que « la pitié n’honore ni celui qui l’éprouve ni celui qui la suscite », il préfère jouer de la musique et mériter ce qu’on lui donne. De la musique contre du pain, un troc honnête !

Et cette nuit il joua de sa viole avec tant de maestria, faisant gémir l’instrument en chantant de sa voix éraillée des histoires tristes où il est question de mort, d’amours impossibles ou de batailles perdues. La musique devenait guillerette et sa main allegro quand il parlait de choses heureuses. Et pianissimo quand il se mettait à parler des choses de la vie et à dérouler des calembours ou des aphorismes tirés de sa longue vie. Quelques phrases me sont restées en mémoire telles: Celui qui dit que le coton ne pèse pas ne l’a pas porté pendant longtemps sur une longue distance ; la part du crapaud ne se trouve pas sur un arbre ; On ne peut empêcher les calomnies sur sa personne mais on doit agir de sorte qu’elles ne contiennent la plus petite part de vérité. Etre fidèle à soi reste le premier devoir…
Quand quelqu’un lui dit qu’il y avait beaucoup enseignants parmi nous, il fit un calembour en mooré sur l’enseignant « karamsamba » et le pouilleux « karansooba » pour dire que l’enseignent n’est pas un miséreux. C’était une belle trouvaille stylistique mais assez éloignée de la vérité. Il ignorait sûrement, le vieil homme, que c’est la chaleur qui lui fit trouver ces gens-là dehors et qu’à quelques mètres de là, se trouvait un motel avec des plumards moelleux et air conditionné qui versent un sommeil divin et que tous ces couche-tard d’enseignants auraient bien aimé être là-bas si la cherté de la nuitée ne leur donnait des insomnies. Mais là-bas, ils n’auraient pas eu droit à un concert nocturne et un cours du soir de sagesse africaine du vieil Homère de Tanghin !

Tard dans la nuit, dans la lumière d’albâtre de la lune, le vent frais tant espéré s’est mis à souffler. Nous aurions pu rejoindre nos chambres mais nous sommes restés à écouter les airs du vieil aède et ses sentences. Quand ils se sont retirés, le garçonnet devant et lui suivant le petit guide, nous sommes restés longtemps sur la terrasse, silencieux et heureux. Le vent nous ramenait l’écho de la voix chevrotante qui se diluait petit à petit dans la nuit.

jeudi 11 août 2011

Pourquoi Les Borgia sont-ils si actuels ?

Les Borgia ! Comment une famille de la Renaissance italienne reste-t-elle aussi présente dans les arts et les lettres ? Motif de beaucoup de romans, sujet d’opéra, de cinéma, de télévision et même d’essais politiques, les excès et les crimes des Borgia suscitent toujours notre intérêt. Pourquoi ?
Il est sidérant de constater la permanence des Borgia dans les arts. Il s’agit du Pape Alexandre VI, son fils César Borgia et sa fille Lucrèce Borgia. Pourquoi cette famille italienne du 15 siècle, attire les artistes depuis si longtemps ? En 1833 déjà, Victor Hugo écrit un drame en 3 actes, Lucrèce Borgia. Peu après, Alexandre Dumas qui fouille dans les combles de l’histoire pour bâtir ces feuilletons consacre un chapitre de ses Crimes célèbres au Borgia. Et la poésie de se jeter dans les bauges borgiasques avec, en 1866, Verlaine qui intitule un des Poèmes saturniens "César Borgia". Donizetti aussi s’inspire du drame d’Hugo et crée un opéra éponyme! Au 20ème et 21ème siècles, c’est le cinéma et la télévision qui s’emparent durablement de la légende des Borgia. Une bonne dizaine de films ont été réalisés de 1909 à 2006, année où deux long-métrages ont été présentés sur les écrans. À la télévision, deux fictions sont produites dans la décennie 70-80. La première est française, Les Borgia ou le sang doré, la seconde est une production anglo-italienne, The Borgias.
Pour comprendre cet attrait des artistes pour les Borgia, faisons un peu d’histoire. En 1492, Rodrigo Borgia, neveu du pape défunt Calixte Borgia, devient pape à 36 ans sous le nom d’Alexandre VI. De pape, il n’a que la tiare, et ne sert qu’un seul dieu : lui-même. Assoiffé d’or et de toutes les richesses, il décida d’hériter de ses cardinaux et aida souvent le destin avec un poignard ou un poison pour faire passer de vie à trépas ceux qui trainaient un peu à rendre leur âme au Seigneur. Dirigeant la papauté avec un grand népotisme, il fit venir ses cousins aux affaires, leur distribua terres et domaines. Mais c’est son fils César qui bénéficia durablement du piston paternel ou disons de l’ascenseur tant son ascension fut fulgurante : à sept ans il est protonotaire de la Papauté, à 17 ans évêque de Pamplona et archevêque de Valencia, et à 18 ans Cardinal ! Après il le fit ôter la soutane pour l’épée et l’aida à régner sur le pays sous le nom de duc de la Romagne.
Par ailleurs, Il faut souligner que le pape et son fils sont de grands sybarites. En effet, le pape Alexandre VI organise urbi et orbi ou pour dire juste urbi et orgies des soirées de débauche à côté desquelles les soirées Bunga Bunga de Berlusconi sont des distractions de saints ; une célèbre orgie restée dans les annales fut celle avec cinquante courtisanes. Parmi les invités se trouvait son fils César ! Il faut dire que le père et le fils qui ne craignaient pas le Saint d’Esprit, s’aidaient de la poudre de cantharide pour se donner du tonus dans les reins et aussi pour se débarrasser de leurs ennemis : une pincée pour retrouver la vigueur d’un taureau dans le plumard, deux à trois pincées de plus dans le vin d’un convive pour l’envoyer ad patres. César prit tellement goût à ces petits meurtres entre amis qu’il les étendit à son frère Juan, assassiné et jetée dans le Tibre par ses sicaires et à son beau-frère Alphonse d’Aragon, l’époux de Lucrèce. Devenu maître dans les intrigues de palais et l’assassinat des opposants, il attira à sa cour les élites romaines. Leonard de Vinci, le génial inventeur et ingénieur italien dessina arbalètes, canons, chars, catapultes et béliers pour sa sanglante armée. Machiavel séduit par César écrivit le Prince, le livre de chevet de tous les hommes politiques contemporains, en s’inspirant de son mode de gestion du pouvoir. On voit que la concussion entre la tyrannie et l’intelligentsia ne date pas d’aujourd’hui.
Quid de Lucrèce Borgia ? L’histoire retient que c’est une très belle femme mais une incestueuse. Avec le père et avec le frère. En réalité, il fut un objet entre les mains de son père. Voulant la placer dans une famille de la noblesse, il obligea son premier mari à dire publiquement que leur mariage ne fut pas consommé. Ce qui fut fait mais la belle dame était déjà enceinte. Ce qui n’entrava d’ailleurs pas le second mariage, et une bulle papale reconnu l’enfant comme fils de César et ensuite du pape lui-même. Mais rendons justice à l’injuste Alexandre et à ses enfants. Il n’est pas le père incestueux que nous vend la légende. Mais, en vrai grippe- sou, il ne voulait pas que l’héritage de la famille échût à un enfant bâtard. D’où la falsification du bulletin de naissance. A la mort d’Alexandre VI à 72 ans, son fils César fut embastillé et sa fille Lucrèce s’emmura d’elle-même dans un cloître. Ici, finit l’histoire et là, commence la légende noire des Borgia qui continue à inspirer écrivains et cinéastes.
Quelle morale tirer de cette histoire ? Pourquoi notre époque s’intéresse-t-elle plus au Borgia qu’aux Atrides qui ont fait le sel des tragédies grecques. Certainement parce que les Borgia existent à toutes les époques. Nietzsche ne parle-t-il pas de l’éternel retour pour expliquer que tout fait se répète indéfiniment? Et le Bouddhisme n’évoque-t-il pas la réitération des phénomènes à travers la réincarnation du Karma ? Peut-on dire que sur tous les continents, à chaque époque, il existe des Borgia Noirs, Blancs, Jaunes et Rouges ? Les Borgia seraient donc un prétexte pour les artistes de parler des monstres qu’enfante leur époque. Des puissants qui vivent dans le lucre, le stupre et le crime.
Saïdou Alcény Barry

mardi 9 août 2011

Le journalisme entre réalité et fiction


Le journaliste partage avec le romancier le recours à l’écriture, mais du romancier il se veut la face opposée. Le journaliste rend le monde tel qu’il est, le romancier le monde tel qu’il le rêve. Là où le romancier représente avec les artifices de l’art, le journaliste présente avec objectivité. Toutefois, à lire le discours de la presse écrite sur la tragédie zimbabwéenne et l’image qu’elle nous donne de Mugabe, on se demande si elle n’est pas devenue une fabrique de mythes et le journaliste, le nouveau romancier de notre époque.

Des journalistes qui se jouent de la réalité et fabulent en s’arrangeant avec les faits, on en trouve partout. Il y a des articles bidonnés, de fausses interviews, des témoignages fabriqués et des reportages rédigés pendant le trajet- à l’aller- et présentés comme une enquête de terrain. On se rappelle la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre D’Arvor ou les enquêtes fabriquées dans une chambre d’hôtel d’un journaliste du Washington Post, qui avait obtenu le Pulitzer! Mais ces manquements sont le fait de quelques brebis galeuses et sont condamnés par la profession. Parce que le journalisme se veut un rendu objectif du monde et une explicitation de sa complexité au lecteur. D’où un discours épuré qui évite l’équivoque et un style qui, parfois, fait la concurrence au procès-verbal pour rendre fidèlement compte de l’événement au quotidien.

Mais, en ce qui concerne Mugabe, cette précaution est oubliée. Le langage des journalistes devient imagé, ils usent de métaphores en abondance. En manchette des journaux, les titres : le naufrageur, il coule le navire Zimbabwe, le tyran, le Roi Mugabe, le dinosaure…Aucune image dépréciative n’est de trop dans la rhétorique journalistique pour stigmatiser Robert Mugabe. Et l’unanimité se fait autour de cette entreprise de démolition. La presse du Sud rejoint celle du Nord dans l’arène et c’est à qui enfoncera le plus de banderilles dans les flancs de cet homme transformé en taureau de corrida. Jamais un homme n’a autant occupé les colonnes des journaux sans qu’une seule fois on ne lui donne la parole. On l’accable. Mais personne ne lui tend le micro pour qu’il s’explique. Et quelles images de l’homme nous sert-on ? Point de photos où Mugabe sourit, jamais l’objectif ne fixe la main du papy effleurant la joue d’un enfant lors des meetings ni la poignée de main franche donnée à un citoyen lambda, ni la tape amicale dans le dos d’un camarade. Cela est humain, trop humain pour Mugabe. Seuls les gros plans d’un rictus, d’un regard exorbité, d’une moustache que l’on compare insidieusement à celle d’Hitler occupent les pages des journaux. Et on fabrique un vieil homme hurlant, vociférant, l’écume au coin de la lèvre, un fou furieux très dangereux. Voici Mugabe, voici le monstre ! De Mugabe, on véhicule l’image d’un ancien combattant qui a perdu la raison et dont l’entêtement a précipité le pays dans la misère noire, les populations sur les routes de l’exil et a érigé la violence politique en mode de gestion de l’Etat.

La caricature efface à dessein la complexité du problème zimbabwéen. L’analyse de l’actualité du Zimbabwe ignore l’histoire du pays ; on s’attache au détail qui détonne en oubliant la structure qui donne un sens à ce détail. Le journaliste ne tient pas compte de l’histoire du Zimbabwe. On oublie que Mugabe a mis fin à une injustice séculaire, en réformant l’accès à la terre et en la donnant au plus grand nombre. Comme Antigone, il est condamné pour une poignée de terre ! On oublie que Mugabe est un des rares dirigeants politiques de la planète qui peut se prévaloir de sept diplômes universitaires ! Il n’est pas la vieille brute dont le seul mérite est d’avoir porté une arme pendant la guerre d’indépendance. C’est un intellectuel de haut vol comme on en rencontre rarement dans les arcanes de la politique. On oublie aussi qu’il avait fait de son pays un pays prospère, où l’espérance de vie était de 64 ans et le taux d’alphabétisation de 90%. Que la déliquescence du pays est aussi imputable au Royaume-Uni, qui a étranglé son économie en guise de rétorsion contre la réforme agraire. Il ne s’agit pas, pour le journaliste, d’exonérer Mugabe dans la tragédie zimbabwéenne. Avoir été un combattant de l’indépendance ne donne pas un droit imprescriptible à l’adulation. Autant la redistribution des terres ne devrait pas susciter la détestation. Si le Zimbabwe coule tel le Titanic, c'est la faute au capitaine Mugabe. Et à l’iceberg britannique, qui éventra le navire. Après le codéveloppement, très en vogue, il faut aussi parler de la coresponsabilité.

Par ailleurs, on ne souligne pas assez un mérite de Mugabe : il est un des rares présidents en exercice sur le continent à perdre des élections qu’il a lui-même organisées ! Quel piètre dictateur !

On ne peut s’empêcher de voir dans la tragédie zimbabwéenne se profiler celle d’un homme : Mugabe. Rien n’est plus tragique que de voir, au crépuscule de sa vie, toutes ses réalisations se déliter, le monde que l’on a bâti s’effondrer, ce que l’on croyait de pierre devenir fiable et poudreux sous ses doigts. Tout cela, pour avoir entrepris une réforme juste. Mugabe, c’est le Roi Lear parcourant un empire devenu fantôme ! Ce fut un homme debout, qui est aujourd’hui à bout, mais point un homme de boue, contrairement à ce que suggère la presse. Pourquoi la presse est tombée dans ce travers qui consiste à réécrire l’histoire et à perdre toute objectivité ?

Jean Lacouture a inventé le terme de «l’histoire immédiate» pour le journalisme, par opposition à l’Histoire, qui, elle, s’occupe de grandes tranches de temps. Mais dans la crise au Zimbabwe, l’histoire immédiate attaque l’Histoire (avec un grand H) à la hache, elle l’émiette et la disperse aux quatre vents pour s’imposer comme unique discours sur ce pays. Comme si l’aiguille des secondes arrachait du cadran de l’horloge les aiguilles des heures et des minutes et prétendait seule donner une idée exacte du temps !

Par conséquent, on éprouve beaucoup de scepticisme face à l’objectivité du journaliste. Car il est impossible, comme le suggérait Tchekhov, «d’être aussi froid qu’un glaçon avant d’écrire» . C’est pourquoi Norman Mailer a conceptualisé un «journalisme subjectif», qui reconnaît que l’histoire individuelle du journaliste interfère dans sa perception et dans son rendu du monde. Dans le cas Mugabe, on n’est plus dans cette subjectivité inévitable, on est dans la «mythistoire» voulue d’Etiemble, c’est-à-dire que l’histoire devient le matériau de la fiction. Le Zimbabwe existe, les personnages sont de chair et de sang, mais le reste ressortit à la fabulation ! Le journaliste ne subit plus l’événement, il le crée ou l’arrange à sa convenance. En plus, on est dans l’unanimisme : toutes les presses ont un discours identique sur la crise au Zimbabwe. Cela remet en cause la pluralité des opinions et si on pousse la logique un peu loin, la liberté d’expression même est mise en péril par la…presse elle-même. C’est effrayant de penser que la presse mondiale est borgne et regarde la planète avec une lunette unique. On disait que le monde est devenu un village planétaire, maintenant, il est devenu une voix planétaire. Unique. Et cette voix vient du Nord. Les presses du Sud n’en sont que les échos répercutés. Les journaux du Sud n’avaient pourtant pas suivi la campagne de diabolisation de Saddam Hussein visant à légitimer l’intervention américaine en Irak.

Maintenant, les presses d’Afrique, en optant de monter au créneau contre Mugabe, suivant en cela leurs confrères du Nord au lieu de proposer une lecture moins manipulatrice de la crise zimbabwéenne, risquent de rater le dernier barreau de l’échelle et de s’étaler dans les eaux glauques de la gabegie, pardon de la (Mu)gabegie.

Quoi que l’on dise, il semble que nous sommes entrés dans une époque postréelle, où la presse est capable de nous imposer un monde virtuel comme réel. Le journaliste, qui a longtemps souffert d’être perçu comme un écrivain raté, tient sa revanche. Maintenant, il est l’égal du romancier, un créateur de monde, et, en plus, sa fiction est perçue comme vraie. Au cri de Nietzsche : «Dieu est mort», pourrait répondre celui du journaliste : «Le réel est mort !»

jeudi 4 août 2011

Pourquoi le journal paraît-il chaque jour ?

Je l’ai lu dans mon dico de poche : on appelle quotidien un journal qui paraît chaque jour comment le soleil se lève chaque matin mais l’astre, lui n’est pas toujours visible, lorsque le ciel est nuageux. Mais le quotidien, c’est sa vocation d’être dans les kiosques chaque jour et de parler de l’actualité du jour. Pourtant il est des jours où les journalistes n’ont rien à se mettre entre les dents ; aucun événement qui mérite d’être porté à la connaissance du lecteur. Calme plat. Aucune affaire. Aucun accident. Aucun chien écrasé. En somme, comme dit l'Ecclésiaste, rien de nouveau sous le soleil. Objectivement, il n’y a rien qui puisse être rapporté, analysé ou commenté. En somme, aucune raison de faire paraître un journal. L’actualité est vide comme un ciel bleu d’avril! Et pourtant un quotidien paraît chaque jour. Logiquement, il devrait avoir des matins où le lecteur ne devrait pas trouvé son journal. Ou il devrait trouver un journal blanc, vide, vierge. Il l’achèterait et le remplirait des petits événements de sa petite vie. Ce sera un journal perso. Alors dites-moi pourquoi le quotidien paraît chaque jour ? Hem, bizarre !

dimanche 31 juillet 2011

Desespearly seeking for black ladies.

Femme noire, je te cherche en vain. Naturellement belle et la peau d’un beau noir brillant, il n’en existe plus. Ou si peu. De plus en plus, les Africaines sont trop artificielles. Elles doivent leur regard soyeux à des faux cils, l’abondante chevelure à des fibres de Chine, leur teint doré à la chimie des crèmes décapantes. Au secours, la femme noire que célébrait le poète L.S.Senghor est devenue une espèce en voie de disparition !

mardi 26 juillet 2011

Le silence des autres : une plongée dans le monde des bonniches

Lauréate du meilleur scénario de Ciné droit libre de 2010, Assita Ouarma a, avec l’aide du Festival, « réalisé » un court docu « Le silence des autres » sur l’univers des petites bonnes de Ouagadougou. La caméra les suit depuis le village San dans le Mouhoun jusqu’à la capitale et présente des aspects méconnus de la vie de ces esclaves de temps modernes. Edifiant et révoltant.

Le silence des autres
s’ouvre sur les images d’un village du bout du monde. Des cases de banco aux murs croulants, quelques animaux faméliques, et des hommes et femmes tenaillés par le manque d’eau, de nourriture, de tout. Ici le terre est ingrate. L’eau rare, il faut aller la chercher dans les profondeurs de la terre, à plus de 100 mètres. Les parents, la période de soudure venue, sont contraints d’envoyer leurs fillettes. Se séparer des enfants est un arrachement qui ne se fait pas sans douleur. La caméra s’attarde sur les visages des mères, on y lit l’angoisse, l’abattement. C’est la misère qui les oblige à cette difficile résolution. Et elles s’en remettent au Bon Dieu pour retrouver leurs enfants dans quelques mois, saines et sauves. Elles invoquent les divinités et remettent des gris-gris protecteurs aux aventurières.
Dans les yeux de ces petites filles qui partent, brillent des rêves d’argent, de pagnes et de victuailles dont on dit que la ville est prodigue. Elles sont attirées par les lumières de la ville, ces petites phalènes mais beaucoup se brûleront les ailes à la flamme de Ouagadougou. Nombre d'entre-elles ne reviendront plus au village. La Capitale les aura happées et transformées : elles ne voudront plus vivre dans les cases sombres du village, sans eau courante ni télévision ! C’est avec tristesse que l’on suit le témoignage d’une mère sans nouvelle de sa fille depuis 19 ans. Le lien avec le village s’est rompu. Ailleurs, une fillette fraîchement débarquée du village s’émerveille sur le confort de la ville : « Ici, il y a l’eau, l’électricité et le goudron » dit-elle, des étoiles dans les yeux. Rapidement les mèches de couleurs envahissent les têtes, les talons-aiguilles enserrent les pieds et les maquillages empourprent les faces et peu à peu la mue s’opère avec au bout, le lien avec le village coupé comme un pont-levis que l’on lève !
L’arrivée des filles à Ouagadougou est un autre grand moment du film. La cour du tuteur est noire de monde, les employeuses averties de l’arrivée de la cargaison sont au rendez-vous. Comme des oiseaux de proie prêts à fondre sur une portée d’oisillons. On discute le salaire, on soupèse la fillette du regard, on préjuge de sa force de travail, on conclut le marché et on enlève la fillette. C’est comme au marché de bétail. Rarement une bonniche trouve une famille accueillante, très souvent elle débarque en enfer. Brimades, bastons, privations. Beaucoup d’employeurs sont violents, quelques-uns violeurs, et tous leur volent leur enfance. De respectables pères de famille se commettent dans des amours ancillaires, traumatisant à vie les fillettes. Rien ne filtrera de ces souffrances, les sanglots de la fillette ne franchiront pas les quatre murs de son réduit. On étouffera les scandales dans des bulles de silence. Bulles de silence que ce docu entend crever.
Ce documentaire dégorge d’émotion. Les petites bonnes s’exposent, parlent, rient. On les découvre sincères, fragiles, innocentes. Elles ont des rêves d’enfants, les mêmes que nos enfants. Ce que les employeurs oublient souvent ! « C’est le même sang rouge qui coule dans leur veine », nous rappelle une jeune assistante sociale ulcérée par les traitements inhumains que certaines mères d’enfants font subir à ses fillettes.
Le seul reproche que l’on peut faire à ce film, c’est de donner trop de place à l’association Terre des Hommes, ce qui l’apparente parfois à un publi-reportage pour ONG.
Le silence des autres a le mérite d’aborder un sujet qui concerne tout le monde, chaque travailleur ayant une bonne à domicile. Confinée entre la cuisine et l’arrière-cour, elle est une ombre dans la maison. Ce film leur donne une existence et font entendre leurs paroles.

vendredi 22 juillet 2011

Le tunnel d’Ernesto Sabato : Le livre capital

Ernesto Sabato, écrivain argentin, s’est éteint en cette année 2011 à l’âge de 99 ans. Auteur d’une trilogie romanesque qui tresse l’intime et la métaphysique, ses œuvres sont une méditation existentialiste sur l’homme en prise avec les forces du dedans et celles du monde. De Sabato, il faut cependant retenir le Tunnel paru en 1948. C’est une œuvre incontournable. Un des livres le plus profonds sur la mécanique de la jalousie et ses ravages.
Il est des livres dont la lecture marque à vie. Est de ceux-ci le Tunnel de Sabato. Non parce que Alain Mabanckou le cite comme son roman préféré, ce qui est fort contestable car la prose du Congolais est si fade, son univers si mièvre que l’on peut douter qu’il fut jamais en contact avec ce chef-d’œuvre. L’eût-il été que sa plume en aurait été contaminée et sa prose rendue meilleure !
Le Tunnel a pour narrateur le peintre Juan Pablo Castel. De sa prison, le peintre tourmenté, relate sa rencontre avec une jeune femme, Maria, pendant un vernissage. Maria s’intéresse à une toile du peintre qui n’a accroché ni l’œil du public ni l’intérêt des critiques. Après elle disparait ! Le Peintre n’a de cesse à penser à cette mystérieuse femme qui a disparu. Il est convaincu qu’elle est le seul être à l’avoir compris. Il l’a retrouvera et il en naîtra une belle histoire d’amour. Mais découvrant que Maria est mariée, ce qu’elle ne lui avait pas dit, il va la soupçonner de lui mentir sur l’amour qu’elle lui porte, de le tromper avec d’autres hommes. Le drame de Pablo Castel n’est pas de manquer d’intelligence mais d’en avoir trop, de croire que tout peut être expliqué, analysé. Par la déduction, le peintre misogyne et misanthrope remonte à la cause de chaque acte. Il s’installe dans le doute méthodique permanent, fait l’inventaire des faits, gestes et mots de Maria pour y chercher l’indice de l’infidélité, la preuve qu’elle est une femme de petite vertu. C’est à une véritable phénoménologie des gestes que Juan Pablo Castel se livre. Convaincu que Maria est une catin, le peintre la tuera de plusieurs coups de couteau.
Ce résumé ne rend pas justice au roman de Sabato. Celui-ci est si riche en nuances, en petits détails qu’il est impossible d’en faire un bon résumé. On ne peut rendre compte des saveurs de toutes les couches d’un millefeuille, on mord simplement dans le gâteau pour s’en délecter. Aussi le lecteur doit-il aller au Tunnel au lieu de se contenter d’un résumé. C’est un roman mince, loin des chefs-d’œuvre ventrus et obèses tels Le Tambour de Günter Grass, la Montagne magique de thomas Mann et Belle du Seigneur d’Albert Cohen qui sont des Everest, tant leur lecture s’apparente à l’escalade du plus haut toit du monde. Les 137 pages du Tunnel se parcourent en une demi-journée. Mais il vous en demeurera un souvenir impérissable parce que Sabato est un styliste hors-pair qui déroule une écriture d’une grande économie, sans fioriture, sèche mais d’une force terrible. « La profondeur se trouve à la surface des choses » disait Nabokov. En effet sous ses dehors neutres, l’écriture de Sabato est une machine à distiller l’émotion à dose homéopathique. Mais le cumul de petites doses au fil des pages vous plonge dans une vague d’émotions, entre blues et tension. D’ailleurs, l’apostrophe permanente du lecteur par le narrateur fait penser au romancier de Lolita. Le Tunnel, c’est quatre écrivains en un. C’est l’écriture tout en économie d’Albert Camus, la finesse de l’analyse psychologique de Fedor Dostoïevski, le récit en creux qui dialogue avec le lecteur de Vladimir Nabokov et la prose métaphysique de Luis Borges, l’aveugle argentin à la prose lumineuse !
Si vous deviez lire un seul livre pendant ces vacances, alors que ce soit celui-là ! Engagez-vous dans la bouche obscure du Tunnel, vous descendrez dans les noires profondeurs de l’âme humaine, dans le labyrinthe de la jalousie mais n’ayez crainte de l’ombre. L’écriture de Sabato secrète des mots qui tels des lucioles fluorescentes éclairent son Tunnel et en font une caverne ajourée que le lecteur parcourra sans effort. Mais il en sortira, transformé car Tel qu’en lui-même, l’art de Sabato le change, lui révélant l’incommunicabilité des êtres : tout homme est dans un tunnel de verre, ni l’art, ni l’amour ne sont ne rompent la solitude humaine. C’est l’enseignement du Tunnel !

Saïdou Alceny Barry