Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 9 janvier 2014

Expo Arts Plastiques Dans l’Arène avec Hyacinthe Ouattara

Tout le mois de décembre 2013, l’Institut français de Ouagaougou a accueilli une expo de l’artiste plasticien Hyacinthe Ouattara. Une soixantaine de tableaux après trois ans de labeur. De 2011 à 2013, il a dessiné et peint des scènes de personnages mi-hommes, mi-bêtes. Une variation sur le même thème qui donne à voir un univers cocasse et tragique.

Devant les œuvres de Hyacinthe Ouattara, le public est surpris : les dessins et les peintures de Hyacinthe semblent avoir été faits par une main d’enfant. D’apparence facile mais en réalité c’est exercice difficile pour l’artiste que celui de retrouver le tracé enfantin. Pablo Picasso, un peintre majeur du dernier siècle dont le talent fut précoce disait « A 8 ans, j’étais Raphaël. J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant ».

Heureux donc, Hyacinthe Ouattara qui, il y a trois ans, en laissant son crayon courir librement sur une feuille à retrouver le gribouillis de l’enfance. Ses personnages sont des ébauches mi-hommes, mi-bêtes et ces formes malhabiles ont l’inachevé, la naïveté et la gaucherie du dessin d’enfant.

Sans verser dans la psychanalyse à deux sous, on sait que le dessin d’enfant est une photographie de son monde intérieur, de ses angoisses et ses rêves. Les créatures de Hyacinthe aussi racontent ses états d’âme, elles sont le relevé de la météo intérieure de l’artiste.

Visage fondus, yeux écarquillés, corps amputés, difformes, déformés, ces personnages tératologiques sont fidèles à la fonction que Paul Klee affecte à la peinture, à savoir que « l’art ne reproduit pas le visible. Il rend visible ». En effet, ces œuvres oscillant entre l’art brut et le la peinture primitive sont un opéra fabuleux, un théâtre de silhouettes zoomorphes qui rejouent, pour qui sait voir, le drame de l’Humain entre joie, rires, angoisse, solitude, violence.

Cette expo réunit des œuvres déjà vues auparavant et des inédits. La scénographie inspirée de l’architecture de l’arène transforme le spectateur en un taureau et cette balade picturale se mue en corrida ! Le choix de ne pas mettre dans l’ordre les séries de tableau mais de les disséminer dans un rangement aléatoire oblige le spectateur à revenir en arrière pour s’assurer s’il n’a pas déjà vu un semblable tableau ailleurs.

Un va-et-vient incessant qui s’apparente aux mouvements taurins dans l’arène. Parfois des pages d’un roman d’aventure arrachées et collées sur des toiles présentent des fragments de textes qui immobilisent le regard et figent le spectateur dans une pause lecture. Ailleurs, il est pris dans un tourbillon de formes, de couleurs, de visages étranges, d’yeux qui le scrutent. Le jaugent. Le jugent.

Entre malaise et sidération, le visiteur a le saisissement d’être vus, par les yeux moqueurs, rieurs, interrogateurs ou angoissés de ces êtres surgis des toiles. Certains personnages font foule et saturent la toile donnant une impression d’étouffement. D’autres, seuls ou en petits groupes émergent d’un fond bleu, gris, vert suggèrent des scènes de vie empreintes de légèreté taquine et mâtiné d’humour.

Quelques toiles toutefois secouent par leur extrême violence. Comme ce personnage noir sur un fond rouge sang. Heureusement cette violence rouge et noir est tempérée par deux toiles jaunes qui l’encadrent. De cette tournée dans l’arène, le spectateur en ressort tout bouleversé.

Cette exposition donne à voir la nouvelle orientation de la peinture de Hyacinthe Ouattara qui se fait plus intuitive, plus subjective, plus introspective. En somme, une peinture expressionniste. Un retour vers la peinture moderne, c’est-à-dire la toile, le cadre et la peinture d’un artiste qui avait exploré les sentiers de l’art contemporain en usant d’autres matériaux et d’autres supports.

En effet, sur le plan formel, ces œuvres s’inscrivent dans un courant fort classique, l’expressionnisme, et le texte dans la toile remonte aux natures mortes de Braque. Mais sur le plan personnel, c’est une rupture car l’artiste délaisse les sujets généraux et sociétaux pour se recentrer sur son jardin intérieur. Son art gagne ainsi en sincérité et en authenticité.

En peignant son univers intérieur, il réussit à parler de notre monde avec un regard singulier. C’est en creusant sa particularité que l’on tend à l’universel, disait André Gide. Et effectivement les personnages zoomorphes de Hyacinthe Ouattara évoquent le théâtre de notre vie, tendu entre le comique et le tragique.

vendredi 6 décembre 2013

Carrefour des arts plastiques : l’art en liberté dans la rue


Pendant tout le mois de novembre 2013 se tient la deuxième édition du Carrefour des arts plastiques de Ouaga. Cette année, le festival a décidé d’investir les rues de la capitale burkinabè avec des installations dans l’espace public. Visite guidée des œuvres qui squattent nos rues.

Les arts plastiques sont en plein épanouissement au Burkina mais ils restent une affaire d’expatriés et d’une poignée de nationaux car la grande majorité de Burkinabè n’ont pas accès aux créations et ne fréquentent pas les espaces d’exposition et les galeries d’art. C’est pour rapprocher les arts plastiques du grand public que les organisateurs du Carrefour ont placé cette édition sous le signe de l’art dans l’espace public. Suivant en cela la sagesse qui dit que « si la montagne ne vient pas à Mohamet, Mohamet ira à la montagne », les arts plastiques ont fait les murs et se sont retrouvés dans la rue. Ainsi les Ouagalais ont été agréablement surpris de voir des œuvres surgir dans divers lieux de leur ville.

La Douche qui ose au Rond-Point des Nations -Unies
Sous un échafaudage de fortune, un arrosoir géant accroché à un poteau, un personnage, les bras levés dans une posture fort déséquilibrée prend sa douche. Sous ses pieds, le carrelage est désossé. Même si les attributs mammaires sont absents sur la poitrine du personnage, son maintien incline à dire que c’est une dame. Cette installation faite à partir de sac de jute et de et de bois interpelle les usagers de la route sur les difficiles conditions de vie et d’hygiène dans certains quartiers de la capitale où le manque d’eau, la promiscuité et l’absence de commodités rendent la douche périlleuse et attentatoire à la pudeur. L’artiste Koffi Mensah a choisi de montrer un aspect occulté de Ouaga, ces quartier où se verser de l’eau sur le corps relève d’une gageure. Malheureusement l’emplacement de l’installation et sa taille la cachent des usagers. On aurait souhaité qu’elle soit plus monumentale et posé sur le rond-point pour être visible comme une verrue au milieu d’un visage.

Le Mouton de Marto à côte de la cathédrale

Dans cet espace, se dresse le mouton blanc de l’artiste franco-burkinabè Marto. Il rappelle le cochon tatoué de l’artiste belge Wim Deloye. Pour créer ce mouton géant, Marto a eu le concours d’Adama Kovi Pierre pour le moulage et de Sawadogo Moussa pour la structure métallique. Le ruminant porte des logos de marques célèbres sur le corps. Mais a y voir de près, ce sont des logos légèrement détournés. Marto dénonce avec cette sculpture l’influence tyrannique des marques sur le libre-arbitre du consommateur. En modifiant légèrement les logos des grandes marques par peur de procès ou de heurter de potentiels sponsors, Marto intègre du même coup dans sa campagne antipub, les marques piratées qui usent du même procédé de détournement. D’ailleurs son mouton ne ressemble pas à un mouton, aussi vrai que la pipe de Magritte n’est pas une pipe. Quoi de plus normal du moment que son mouton est en réalité un bipède complètement marteau, une fashion victim qui croit que le bonheur est dans la griffe et qui suit la mode comme un…mouton.

Le Train-train quotidien à Laarlé
Le Train-train quotidien est une installation sonore devant le bar Daba de l’artiste Hyacinthe Ouattara. C’est une œuvre complexe qui rend compte de la circulation dans la ville d’Accra. A côté de grandes toiles sur lesquelles sont peints des autocars, il y a des voitures et des morceaux de bidons, suspendus à des ficelles ou posés au sol. Ce bric-à-brac du diable où dominent le jaune, le rose pastel et le bleu crée une sensation de mouvement, de profusion et d’étouffement. C’est le ressenti d’un artiste burkinabè dans une ville étrangère que nous propose cette installation. Elle annonce aussi ce qui attend Ouaga dans un futur proche.

Réseautage de Face-O-scéno à Gounghin

Dans un espace entre un bar Yas-Ka et un dolodrome, Face-O-Scéno a tendu ses fils au-dessus des têtes comme une grande toile d’araignée. Ces minces bandes de tissu blanc sont tendues dans un va-et-vient aléatoire entre les branchages des arbres et l’immense installation fait de pots d’échappement qi se tient au centre de la place. Cet entrelacs suggère tous les réseaux tendus au-dessus de nos têtes ou enfouis dans le sol. Si on pouvait visualiser les réseaux routier, électrique ou téléphonique de Ouagadougou, on découvrirait une géométrie aussi enchevêtrée. En somme, le paradoxe est que pour nous mettre en lien, on tisse des réseaux complexes-filaires, routiers, magnétiques-qui finissent pour nous emprisonner telles des mouches prises dans une toile d’araignée. La couleur de linceul du réseautage de Fas’O scéno doit nous inquiéter.

Hommage à la Bataille du Rail


Pouitba Ouédraogo et Adama Nébie ont investi le monument de la Bataille du Rail. Ils ont rompu la solitude du porteur de rail en bronze en lui adjoignant une joueuse foule de travailleurs. Ils ont réalisé une quinzaine de bonshommes faits de bidons de Lafi, vêtus de sac de ciment avec des rayures noires et blanches et chaussée de vieilles pantoufles ou souliers. Ces bonshommes composent une scène très vivante d’hommes participant à la pose des rails du chemin de fer Ouaga-Tambao, ce rêve d’autonomie porté par la Révolution d’août. Certains des personnages portent des lignes de rails à deux ou trois, d’autres battent le tambour ou jouent du Kundé pour galvaniser les ardeurs des poseurs de rails. Les deux artistes ont voulu rappeler que pour gagner les 100 kilomètres de rails, il a fallu que tout un peuple d’anonymes mette de leur temps et de leur force dans l’entreprise. A une période où tous les ouvrages sont réalisés grâce à des prêts et par des entreprises privées dans l’indifférence des populations, ces deux artistes ont voulu rappeler que ce sont les populations qui doivent bâtir leur nation.

Cette installation en jouant de la proximité avec une sculpture de bronze pose de manière très visuelle la différence qui existe entre l’art contemporain et l’art tel qu’il était avant. En effet, face au réalisme du personnage de bronze et à sa capacité à défier l’usure du temps, les bonshommes des deux artistes sont des ébauches dérisoires et fragiles. Le monument de bronze s’inscrit dans l’éternité quand l’installation de Pouitba et d’Adama se love dans l’instant du festival.
Ainsi toutes les installations du second carrefour s’inscrivent dans un questionnement de nos modes de vie et par là, les artistes plasticiens montrent qu’ils ne regardent pas toujours leur nombril et qu’ils ont des choses à dire dans la gestion de nos cités. Mais toutes ces œuvres mises dans l’espace public ne survivront pas au mois de novembre. Faut-il conclure que l’art contemporain est condamné à être un art périssable et évanescent comme un songe?
Saïdou Alcény BARRY


jeudi 5 décembre 2013

Théâtre : Arrêt sur image de Cédric Brossard



Dans cette mise en scène du texte Arrêt sur image de Gustave Akakpo, Cédrix Brossard de la compagnie Acétès accommode le théâtre à la musique électro. C’est un spectacle hybride, une partition musicale pleine de bruit et de fureur portée à ncandescence par le comédien Kader Lassina Touré.

Sur scène, deux hommes. D’un côté, un Dj devant sa table de mixage. De l’autre, un jeune homme qui se retourne sur sa vie. Des mots et de la musique qui racontent une enfance pas heureuse avec un père qui rêve de faire de son fils un footballeur, un passeur de génie qui donnerait la coupe à son pays. Ce rêve a avorté mais le fils est devenu un passeur. Pas de ballon mais d’hommes candidats à l’émigration. Jusqu’à ce jour où il envoie deux enfants à la mort. La médiatisation de ces morts oblige les autorités à rechercher les responsables. Alors il décide à son tour de tenter la traversée de l’Atlantique. Avant de se lancer sur les routes de l’aventure, il s’adresse au père absent.

Entre les beats rageurs de la musique techno, le monologue du passeur nous conte par le menu l’émigration clandestine. Il roule des mécaniques, se la joue en mode gangster mais il n’est pas dupe. Il sait qu’il n’est qu’un rouage dans l’engrenage de l’émigration clandestine. Il a beau se gargariser de mots sur les liasses qu’il dépense en boîte, sur les filles dont il abuse, sur les pauvres hères qu’il envoie au casse-pipe sans état d’âme, ce passeur est juste une petite frappe.

Kader Lassina Touré est dans ce monologue d’une énergie féline. Son interprétation est proche de la performance d’athlète. Pendant une heure, l’acteur crie, hurle son mal-être, danse et sans que jamais l’on sente l’énergie faiblir.
Le texte de Gustave Akakpo, malgré sa puissance d’évocation fait partie d’un vaste corpus de pièces qui ont abordé l’émigration dans la première décennie des années 2000; de ce fait, il aurait pu se perdre dans la mer des textes sur l’émigration sans cette mise en scène audacieuse.

En effet, en le plongeant dans un bain sonore, en le slamant, en le hurlant dans le déchainement de l’electro, Arrêt sur image est comme une partition. De plus, les paroles d’émigrés qui traversent le texte lui donnent une allure plus documentaire. Au choc des mots et des notes, ces lettres ajoutent le poids des vies réelles qui lestent le texte d’une dimension réaliste.

Plus que la recherche d’un Eldorado, les candidats au départ entendent fuir un avenir bouché. La plupart mènent une vie de forçat dans le pays d’accueil pour envoyer de l’argent à la famille restée au pays pour scolariser les gosses, relever des murs écroulés d'une cour, offrir un toit qui ne fuit pas à ses géniteurs, marier un frère, etc. De plus les récentes tragédies des centaines d’Africains engloutis dans le ventre de l’Atlantique inscrivent cette pièce dans la brûlante actualité.

La mise en scène de Cedrix Brossard réussit le prodige d’utiliser la musique sans nuire au texte. D’ailleurs, celle-ci agit dans la pièce comme le lièvre dans la course de vitesse car elle accompagne le texte, lui insuffle de la puissance quand il parait se traîner et s’éclipse quand il le faut pour le laisser franchir, seul, la ligne d’arrivée. Présente mais jamais envahissante, la musique est à sa place et le spectacle reste théâtral et non une rave party !

Ce spectacle qui se joue des frontières entre musique et théâtre refuse aussi le cloisonnement des spectacles. Il a été joué dans la plupart des espaces culturels de Ouagadougou. C’est un exemple de démocratisation du théâtre que les créateurs de spectacles devraient suivre pour offrir leur création à un large public.




lundi 18 novembre 2013

Le griot dans la cité moderne : un vestige du passé

Le griot a-t-il sa place dans la cité africaine. ? On peut en douter au regard de ce qu’il est devenu dans Ouagadougou, c’est-à-dire un quasi-mendiant qui hante les cabarets et les cérémonies de mariages.

Cette scène-là se passe à Ouagadougou, en ce mois de novembre, dans un jardin public transformé en bar, où les buveurs sont répartis autour des tables sous les paillotes et à l’ombre des arbres; elle est illustrative de la condition du griot dans l’Afrique contemporaine. Dans ce bar passent les vendeurs de vêtements, de portables et de maints autres bibelots qui slaloment entre les clients pour présenter leurs marchandises. C’est là que s’amènent deux griots, un jeune homme en jean et un vieil homme, sur une vieille moto chinoise pétaradante.

Ils descendent et garent la moto sous un arbre. Celle-ci est penchée sur une béquille branlante. Ses rétroviseurs cassés, ses capots éclatés et son phare éborgné lui donnent l’air d’une sauterelle qui serait passée entre les doigts d’un gosse cruel qui lui aurait méthodiquement brisé les antennes, cassé les brisées et fracassé la mandibule. Le vieil homme porte un boubou trop grand pour lui, qui fut blanc mais qui tire maintenant vers le roux avec les éclaboussures de cola, les taches de poussière et les souillures diverses.

On devine que c’est un père et un fils. Le vieil homme a les yeux rouges d’alcool et la démarche mal assurée des grands buveurs. Après un regard qui a balayé le bar comme un périscope, le vieux ramasse son boubou pour le serrer près de son corps, prend une allure digne et raide comme un pieu, et s’avance vers les buveurs. Le jeune garçon le suit. Mais dès qu’il ouvre la bouche pour louanger un homme assis avec trois femmes, celui-ci lui tend rapidement une pièce et lui fait signe de poursuivre son chemin. Il esquisse un sourire forcé qui ouvre ses lèvres sur une grimace. La pièce disparait dans un fente du boubou. On sent qu’il est vexé par l’attitude de l’homme qui lui a tendu la pièce comme on jette un os à un chien pour qu’il arrête d’aboyer.

Il s’en va vers une autre table. Suivi par le jeune griot. Il recommence sa louange et s’époumone dans l’indifférence des buveurs qui continuent à converser sans un regard pour le griot. Voyant qu’il ne tirera rien de ces hommes, le vieil homme se tait brusquement, réajuste son bonnet, remercie et poursuit sa ronde. A chaque table, la même indifférence comme s’il est transparent, invisible.

Il trouvera néanmoins un ou deux hommes qui, touchés par sa misère lui glisseront quelques pièces.
Et pourtant, il fut un temps pas très lointain où le griot avait une fonction capitale dans la société africaine. Chaque griot était attaché à une famille nobiliaire dont il avait à charge de conserver les traces à travers le temps. Les griots étaient les dépositaires de l’histoire de leur société. Enfant, dès qu’il savait parler, son ère lui apprenait à exercer sa mémoire, à retenir les grands récits, les mythes fondateurs, les généalogies des familles, à chanter et à jouer d’un instrument de musique. Dans les cours royales, le griot était à droite du monarque dont il était l’oreille et la bouche. C’est à travers lui que le roi parlait.

Il était le confident des puissants et le gardien des lois. En retour, il était pris en charge par la société. L’histoire a retenu les plus célèbres comme Balla Fasséké qui fut le griot de Soundjata Kéita, le fondateur de l’empire manding. La geste du Roi qui déracina un baobab a été conservée par les descendants du griots à travers les siècles.
Et puis avec la colonisation, ce monde-là a commencé à se désagréger et a fini par s’évanouir comme un rêve. Dans la société nouvelle, le griot n’est plus rien. C’est un importun qui hante les mariages, les débits de boissons pour survivre. C’est pourquoi le vieil griot, nostalgique de cet âge d’or noie son chagrin dans l’alcool avec les maigres pièces que les gens lui jettent.

Quand par un pur hasard, il rencontre dans ce bar un descendant de la famille princière dont sa famille était les griots, il l’interpelle de loin. Comment reconnait-il celui-ci ? Peut-être une ressemblance, un trait de famille ou une intuition. Devant le jeune homme, sa mémoire se réveille, sa langue devient plus alerte, il se redresse, sa poitrine se gonfle d’orgueil. Il énumère la généalogie depuis des siècles, les patronymes se bousculent dans sa bouche, s’épanouissent et éclatent comme un feu d’artifice.

Il dit les hauts faits de guerre des aïeuls, rappelle les batailles gagnées et les grands gestes fondateurs de la tribu. Il s’anime, retrouve de la vigueur, va et vient, gesticule, pointe le doigt sur le prince pour le signaler aux autres, prend le ciel à témoin. Le vieux griot est transfiguré, il est heureux que la providence ait mis ce jeune sur son chemin. Ce qui lui permet de donner la pleine mesure de son talent. Le Prince n’a qu’un billet froissé de mille francs à lui offrir mais le vieil griot n’en a que faire.

Ce n’est pas l’argent qui lui importe. Il a eu une scène pour déployer son talent.
Son fils a été témoin de sa prestation. Devant lui, il lui a montré ce qu’il est capable de faire. Portant il est facile d’imaginer que ce jeune ronge son frein à côté de son père en le conduisant. Il ne sera pas griot. Il connaît bien la misère dans laquelle baigne son papa pour lui emboîter le pas. Il rêve certainement d'un destin de comédien à l'image de Sotigui Kouyaté ou de vedette de la musique comme Mory Kanté.

Le fils et le père sont repartis sur leur moto tonitruante. Le vieux griot derrière est devenu un petit point blanc qui a disparu dans le trafic, emporté dans le tumulte d’une époque qui le condamne à être un pochard et un clochard.

jeudi 7 novembre 2013

Théâtre : Nak-Nak de Sidiki Yougbaré: Les carnets parlés d’une fille de joie

Nak-Nak est un spectacle en mooré écrit et mis en scène par Sidiki Yougbaré et jouée par Eudoxie Gnoula et Abdoulaye Bamogo. Avec cette troisième pièce, Sidiki Yougbaré poursuit sa recherche d’un théâtre contemporain en langue nationale où le Mooré devient un matériau littéraire, travaillé, poétisé. Nak-Nak est un texte truculent qui met en scène une prostituée dont la verdeur du langage secoue bien les convenances.
Dans une maison baignée par la douce lumière des paravents, une femme en ensemble corsage et pagne blanc immaculé, hauts talons, cigarette aux lèvres, s’épanche sur sa vie. Pour cette confession publique, elle a convoqué la presse. Elle se met en scène en réglant les éclairages et transforme ainsi son domicile en un théâtre de confessions. Le spectateur pense qu’elle est une commerçante, ces femmes analphabètes qui, parties de rien réussissent à la force du poignet, se sont hissées au sommet de la hiérarchie sociale. Aussi, interprète-t-il sa rudesse et ses manières désinvoltes comme les résidus de la gaucherie paysanne alliée à la morgue de la nouvelle riche. Ce spectateur met donc le besoin de mettre sa vie en scène et de se confier aux échotiers sur le compte de la mégalomanie ou le désir de partager avec l’opinion publique une révélation d’importance.
Le récit que cette femme débite dessine petit à petit la fresque d’un passé peu rose, celui d’une femme maltraitée par son époux, et sourd de ses paroles la révolte contre le Mâle. A travers le traitement qu’elle inflige à son pauvre majordome, on découvre sa rancœur contre les hommes, contre l’Homme.
Plus les mots sortent, crus, obscènes, plus les digues de la retenue cèdent et plus elle se dévoile.
A la fin, tombe complètement le masque, elle se dévêt, les habits immaculés tombent comme sur le sol comme des peaux mortes d’une mue et surgit un papillon de nuit, en talons aiguilles, moulé dans un pantalon rouge sous un bustier noir qui se dissout dans la nuit. Cette dame est une Putain respectueuse.
Ce texte n’est pas l’apologie de la prostitution mais la photographie d’une réalité. A Ouaga, à la nuit tombée, on a l’impression que chaque lampadaire et chaque arbre abrite une prostituée. Il faut par conséquent admettre sans faux-fuyant que la prostituée est un personnage des cités africaines qui mérite d’entrer dans le théâtre contemporain. Par ailleurs, à côté du personnage du fou, elle est la seconde à pouvoir tenir un discours de vérité sur la société dont elle a dérogé à certaines règles. Aussi, nul besoin de juger cette femme ; si la société a fait d’elle une prostituée, elle a fait du monde un vaste bordel. Et puis, à y réfléchir, est-ce seulement le commerce du corps qui fait la prostituée ? De quel nom appellerait-on qui monnaie sa liberté de penser ou d’agir contre une meilleure situation ?
Eudoxie Gnoula campe avec brio et beaucoup d’énergie cette femme de nuit, exemple de réussite le jour et racoleuse la nuit. La mise en scène est affaiblie par les contraintes matérielles et la logique des festivals qui ont déteint sur le choix artistique. Par exemple l’immense talent d’Eudoxie Gnoula permettait qu’elle occupât seule la scène dans un mono mais pour donner plus de chance à la pièce de voyager, il a fallu convertir le technicien en comédien. A sa décharge, il s’en sort assez bien mais ces va-et-vient entre régie et scène font perdre au spectacle son rythme trépidant.
C’est pourquoi il est légitime de se demander pourquoi les autorités de la culture n’accompagnent pas un tel théâtre qui démontre que nos langues nationales sont capables de générer de grands textes dramatiques.
Plus de cinquante ans après l’accession de notre pays à l’indépendance, un jeune homme, Sidiki Yougbaré montre la voie de ce que doit être un théâtre véritablement burkinabè. A fil des ses créations, il construit un théâtre contemporain en Moore. En s’emparant de cette langue pour lui faire exsuder un rythme, une couleur et une poésie d’un grand pouvoir dramaturgique, il montre que nos langues peuvent rivaliser avec la langue de Molière et de celle de Shakespeare dans la création théâtrale. Malheureusement il se bat seul dans l’indifférence quasi générale. C’est peut-être le destin de celui qui ouvre de nouveaux chemins de montrer la lune tandis que les gens regardent son doigt…Mais il faut faire confiance à l’intelligence des Burkinabè pour comprendre que ce théâtre-là est vraiment le leur et qu’il mérite d’être accompagné.

jeudi 31 octobre 2013

Expo Hors: Pistes Le Design des petits riens


L’Institut Français de Ouagadougou abrite jusqu’au 2 novembre 2013 une expo de design née de la rencontre d’une équipe pluridisciplinaire d’artisans de Ouagadougou et des designers français. Cette rencontre entre le savoir-faire traditionnel africain et les techniques modernes du design a accouché d’objets du quotidien transfigurés.

Hors-pistes est une initiative de deux jeunes designers françaises, Marie Douel et Amandine David, qui ont à l’idée de renouveler la veine créatrice des designers européens en les mettant en contact avec la vitalité et la créativité des artisans du monde entier. Le Burkina Faso est le premier laboratoire de cette initiative. Que l’Occident se tourne vers l’Ailleurs pour se renouveler n’est pas nouveau, les poètes et les peintres français du 19°siècle ont puisé dans l’exotisme oriental, les peintres Nabi dans l’art japonais et les cubistes au 20°siècle ont révolutionné les arts plastiques en s’inspirant de l’Art nègre. Mais avec Hors Pistes, cette démarche est assumée et revendiquée.

Cette rencontre est sous-tendue par une démarche plus soucieuse de l’environnement, une approche écologique qui privilégie le travail sur des matériaux de récupération, les déchets industriels que la rencontre avec l’Occident a engendrés et qui enlaidissent les villes africaines : sacs plastiques s’accrochant aux arbres comme des fleurs vénéneuses, jonchant les rues tels des oiseaux morts.
Pendant 45 jours, les designers français se sont immergés dans l’univers des artisans fondeurs d’aluminium et de bronze, des tisseuses de pagnes et de sacs plastiques, les ont regardés faire surgir des objets à partir de petits riens et avec une technique rudimentaire. De ce dialogue suivi entre l’artisan assis sur un savoir-faire profus et millénaire et les designers est né des objets du quotidien réinventés, plus beaux, aux lignes épurées et plus…inattendus.
Ainsi les tongs appelés « tapettes » au Faso ont été enchâssés les uns dans les autres comme des pièces d’un puzzle et on a une toiture bariolée qui peut mettre de la couleur dans les auvents et les toits. La collaboration entre le maroquinier Ilboudo Ablassé et les récupérateurs de pneus Théodore Nikiéma et Paul Zabré a donné naissance à des chaussures en cuir « Tao Tao » dont les semelles ont été découpées dans les pneumatiques de gros camions.
Même le fameux tabouret en bois qui se trouve dans tous les foyers moyens du pays a été relooké. Grâce au fondeur Emmanuel Ilboudo et au Studio Monsieur, il est en aluminium et ses formes se sont épurées, son allure devenue plus fine, plus solide. Le visiteur est aussi en admiration devant les Argentiques, les plateaux géants en alu dont le fond est incrusté de motifs inspirés de feuilles et de fruits de végétaux. Ces vastes plateaux sont si appropriés pour le repas de grandes familles africaines où tout les commensaux s’assoient autour du plat pour manger à la main, tout en devisant.
En parlant de gastronomie, il est étrange que la première pensée qui vient devant le fauteuil et les abat-jour réalisés avec des coques d’arachides réduites en pâte soit de vouloir mordre dans ces meubles ! La couleur chocolat de ces objets doit susciter cette furieuse envie de déguster du mobilier. Etrange destin que celui de ces objets d’intérieur qui appelle un étrange festin.
Hors pistes est un design qui part de l’existant pour créer des formes épurés dans de matériaux nouveaux. Se pliant à la sagesse de l‘adage africain qui conseille de tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne au lieu de la jeter.

Après avoir fait le tour de l’expo, le visiteur séduit éprouve néanmoins un peu d’amertume. Des designers français sont venus au Burkina, se sont nourris des  savoir-faire locaux mais il se demande si la réciproque aurait été possible. Peu probable que les artisans burkinabè puissent telles des abeilles aller librement butiner les fleurs de l’art parisien pour faire leur miel car la France se replie sur elle, voyant en l’Autre le responsable de tous ses problèmes. Toutefois, les objets créés au Burkina Faso seront exposés en Afrique et en Europe.
Cette riche rencontre a généré des œuvres de belle facture. Il faut espérer que cette expérience ne soit pas pour les artistes burkinabè associés une parenthèse vite refermée mais qu’elle inaugurera une approche nouvelle qui intègre le design dans leur pratique et permette à leurs productions mieux ouvragées de pénétrer le marché mondial.

mercredi 30 octobre 2013

Docu de Gideon Vink: Le Ruudga Parle avec Nouss Nabil


Le Ruudga Parle avec Nouss Nabil

Après les films musicaux sur le légendaire Bembeya Jazz et le destin tragique de Black So Man, l’Association Semfilms s’est intéressé avec le docu Le Ruudga Parle à Nouss Nabil et à l’instrument traditionnel qu’il joue et tente de promouvoir. Ce film réalisé par Gideon Vink met la lumière sur le ruudga sans pour autant en dissiper les ombres et les légendes.


Nouss Nabil, vous vous en souvenez ? Certainement que le grand public des téléspectateurs de la dernière décennie se rappelle ce jeune homme, très grand de taille qui se déhanchait mollement au rythme d’une chanson un peu grivoise sur les bords. Ayant eu son quart d’heure de célébrité comme le prophétisait Andy Warhol, il aurait pu retomber dans l’anonymat comme tous ces chanteurs d’une saison. Mais le jeune homme ayant goûté à l’ivresse de la musique et de la célébrité ne veut plus quitter la scène musicale. Il veut être un vrai musicien et décide d’apprendre à jouer d’un instrument.
Après une courte éclipse, il est revenu épaissie, la barbe poivre et sel, jouant du ruudga, la viole traditionnelle des Moosi.

C’est la reconversion de ce jeune homme, moderne, citadin et bien portant au ruudga que tente de comprendre le film. Le Ruudga Parle est conçu sur le schéma du conte initiatique, avec un héros qui fait son apprentissage à passant d’un maître à un autre, d’un lieu à un autre. Ainsi Gideon Vink accompagne Nouss Nabil de son équipée à travers le Burkina Faso pour comprendre le origines et les mystères de son instrument. La caméra le suit, souvent de dos, à travers ses déplacements pour rencontrer les aînés, la plupart malvoyants. Le ruudga est un instrument qui est attaché aux malvoyants dans le pays mossi et on en fait un accessoire pour mendiant.

A Ouagadougou, il rencontre Denis Sawadogo, un aveugle qui joue dans les débits de boissons et à Bissiga, un petit village de Ouahigouya, Michel Ouédraogo et son frère. Ah ! le vieux Michel, 50 ans de musique. Il a remplacé la calebasse du ruudga par une casserole en alu mais il arrache à son instrument des sonorités extraordinaires et d’une grande pureté. Avec lui, on se rend compte que le ruudga parle car l’instrument semble répéter les mots qu’il chante.

Le documentaire est composé de deux périodes. Une partie solaire qui montre Nous Nabil dans ses pérégrinations à la rencontre des maîtres du ruudga et dans son entreprise de vulgarisation de l’instrument, d’abord à l’Université devant les étudiants de Lettres et ensuite avec des gamins pendant le festival Wedbindé de Kaya.

Et une période crépusculaire et nocturne. Le basculement s’opère par les inserts d’un coucher d’un soleil et l’apparition de la pleine lune. Cette seconde partie s’attache à la part d’ombre du ruudga. Nouss Nabil évoque les pouvoirs de l’instrument. Ce pouvoir est aussi souligné par El Hadj Idrissa Dembélé qui conte une histoire extraordinaire digne des Mille et Une nuit. Pendant qu’il raconte cette histoire extraordinaire, la camera saisit l’effet sur sa famille : zooms sur des regards étonnés, dubitatifs.

Il n’est pas dans notre propos de nier ou d’accréditer cette thèse du ruudga capable de réaliser des choses extraordinaires mais en entourant l’instrument de fantastique, cela peut nuire gravement à sa vulgarisation. Car pour faire entrer le ruudga dans les écoles et dans les orchestres classiques comme le souhaite Nouss Nabil, il faut avant tout en faire un objet profane. En le sacralisant, il rajoute au folklore et participe à son isolement.

Ce film participe à la connaissance de cet instrument de musique traditionnelle. Il se regarde avec plaisir à cause des images bien léchées et parce que la caméra est ouverte à l’imprévu et saisit le mouvement de la vie quotidienne de Bobo Dioulasso. Des visages anonymes, des paysages et des sites connus traversent le film de sorte que Nouss Nabil n’emplit pas l’écran même s’il est le personnage principal. En ne tombant pas dans la célébration d’un artiste, ce docu évite l’écueil de la plupart des films musicaux. Il est disponible en DVD.