Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 6 décembre 2013

Carrefour des arts plastiques : l’art en liberté dans la rue


Pendant tout le mois de novembre 2013 se tient la deuxième édition du Carrefour des arts plastiques de Ouaga. Cette année, le festival a décidé d’investir les rues de la capitale burkinabè avec des installations dans l’espace public. Visite guidée des œuvres qui squattent nos rues.

Les arts plastiques sont en plein épanouissement au Burkina mais ils restent une affaire d’expatriés et d’une poignée de nationaux car la grande majorité de Burkinabè n’ont pas accès aux créations et ne fréquentent pas les espaces d’exposition et les galeries d’art. C’est pour rapprocher les arts plastiques du grand public que les organisateurs du Carrefour ont placé cette édition sous le signe de l’art dans l’espace public. Suivant en cela la sagesse qui dit que « si la montagne ne vient pas à Mohamet, Mohamet ira à la montagne », les arts plastiques ont fait les murs et se sont retrouvés dans la rue. Ainsi les Ouagalais ont été agréablement surpris de voir des œuvres surgir dans divers lieux de leur ville.

La Douche qui ose au Rond-Point des Nations -Unies
Sous un échafaudage de fortune, un arrosoir géant accroché à un poteau, un personnage, les bras levés dans une posture fort déséquilibrée prend sa douche. Sous ses pieds, le carrelage est désossé. Même si les attributs mammaires sont absents sur la poitrine du personnage, son maintien incline à dire que c’est une dame. Cette installation faite à partir de sac de jute et de et de bois interpelle les usagers de la route sur les difficiles conditions de vie et d’hygiène dans certains quartiers de la capitale où le manque d’eau, la promiscuité et l’absence de commodités rendent la douche périlleuse et attentatoire à la pudeur. L’artiste Koffi Mensah a choisi de montrer un aspect occulté de Ouaga, ces quartier où se verser de l’eau sur le corps relève d’une gageure. Malheureusement l’emplacement de l’installation et sa taille la cachent des usagers. On aurait souhaité qu’elle soit plus monumentale et posé sur le rond-point pour être visible comme une verrue au milieu d’un visage.

Le Mouton de Marto à côte de la cathédrale

Dans cet espace, se dresse le mouton blanc de l’artiste franco-burkinabè Marto. Il rappelle le cochon tatoué de l’artiste belge Wim Deloye. Pour créer ce mouton géant, Marto a eu le concours d’Adama Kovi Pierre pour le moulage et de Sawadogo Moussa pour la structure métallique. Le ruminant porte des logos de marques célèbres sur le corps. Mais a y voir de près, ce sont des logos légèrement détournés. Marto dénonce avec cette sculpture l’influence tyrannique des marques sur le libre-arbitre du consommateur. En modifiant légèrement les logos des grandes marques par peur de procès ou de heurter de potentiels sponsors, Marto intègre du même coup dans sa campagne antipub, les marques piratées qui usent du même procédé de détournement. D’ailleurs son mouton ne ressemble pas à un mouton, aussi vrai que la pipe de Magritte n’est pas une pipe. Quoi de plus normal du moment que son mouton est en réalité un bipède complètement marteau, une fashion victim qui croit que le bonheur est dans la griffe et qui suit la mode comme un…mouton.

Le Train-train quotidien à Laarlé
Le Train-train quotidien est une installation sonore devant le bar Daba de l’artiste Hyacinthe Ouattara. C’est une œuvre complexe qui rend compte de la circulation dans la ville d’Accra. A côté de grandes toiles sur lesquelles sont peints des autocars, il y a des voitures et des morceaux de bidons, suspendus à des ficelles ou posés au sol. Ce bric-à-brac du diable où dominent le jaune, le rose pastel et le bleu crée une sensation de mouvement, de profusion et d’étouffement. C’est le ressenti d’un artiste burkinabè dans une ville étrangère que nous propose cette installation. Elle annonce aussi ce qui attend Ouaga dans un futur proche.

Réseautage de Face-O-scéno à Gounghin

Dans un espace entre un bar Yas-Ka et un dolodrome, Face-O-Scéno a tendu ses fils au-dessus des têtes comme une grande toile d’araignée. Ces minces bandes de tissu blanc sont tendues dans un va-et-vient aléatoire entre les branchages des arbres et l’immense installation fait de pots d’échappement qi se tient au centre de la place. Cet entrelacs suggère tous les réseaux tendus au-dessus de nos têtes ou enfouis dans le sol. Si on pouvait visualiser les réseaux routier, électrique ou téléphonique de Ouagadougou, on découvrirait une géométrie aussi enchevêtrée. En somme, le paradoxe est que pour nous mettre en lien, on tisse des réseaux complexes-filaires, routiers, magnétiques-qui finissent pour nous emprisonner telles des mouches prises dans une toile d’araignée. La couleur de linceul du réseautage de Fas’O scéno doit nous inquiéter.

Hommage à la Bataille du Rail


Pouitba Ouédraogo et Adama Nébie ont investi le monument de la Bataille du Rail. Ils ont rompu la solitude du porteur de rail en bronze en lui adjoignant une joueuse foule de travailleurs. Ils ont réalisé une quinzaine de bonshommes faits de bidons de Lafi, vêtus de sac de ciment avec des rayures noires et blanches et chaussée de vieilles pantoufles ou souliers. Ces bonshommes composent une scène très vivante d’hommes participant à la pose des rails du chemin de fer Ouaga-Tambao, ce rêve d’autonomie porté par la Révolution d’août. Certains des personnages portent des lignes de rails à deux ou trois, d’autres battent le tambour ou jouent du Kundé pour galvaniser les ardeurs des poseurs de rails. Les deux artistes ont voulu rappeler que pour gagner les 100 kilomètres de rails, il a fallu que tout un peuple d’anonymes mette de leur temps et de leur force dans l’entreprise. A une période où tous les ouvrages sont réalisés grâce à des prêts et par des entreprises privées dans l’indifférence des populations, ces deux artistes ont voulu rappeler que ce sont les populations qui doivent bâtir leur nation.

Cette installation en jouant de la proximité avec une sculpture de bronze pose de manière très visuelle la différence qui existe entre l’art contemporain et l’art tel qu’il était avant. En effet, face au réalisme du personnage de bronze et à sa capacité à défier l’usure du temps, les bonshommes des deux artistes sont des ébauches dérisoires et fragiles. Le monument de bronze s’inscrit dans l’éternité quand l’installation de Pouitba et d’Adama se love dans l’instant du festival.
Ainsi toutes les installations du second carrefour s’inscrivent dans un questionnement de nos modes de vie et par là, les artistes plasticiens montrent qu’ils ne regardent pas toujours leur nombril et qu’ils ont des choses à dire dans la gestion de nos cités. Mais toutes ces œuvres mises dans l’espace public ne survivront pas au mois de novembre. Faut-il conclure que l’art contemporain est condamné à être un art périssable et évanescent comme un songe?
Saïdou Alcény BARRY


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