Tout mur est une porte. Emerson

samedi 16 février 2013

Gasse Galo de Yacouba Traoré: Une traversée de l’histoire nationale


Yacouba Traoré à travers ce livre évoque ses souvenirs d’enfance et de journaliste et expose ses méditations sur le métier de journaliste de télévision. Entre anecdotes croustillantes et évocation lyrique du passé, ce livre nous promène dans l’histoire récente du Burkina et les couloirs du pouvoir.

Contrairement à la plupart des mémoires de nos compatriotes dont la plupart vous tombent des mains dès l’entame tant ils sont ennuyeux à force d’autoglorification ou d’entorse à la vérité, ce livre-là, il est impossible de le refermer sans en être venu à bout. Nous l’avons lu d’une traite comme un thriller.
Yacouba Traoré remonte le fil de la mémoire et arpente à rebours l’histoire de notre pays. La petite histoire côtoie ici la grande, les personnalités historiques frôlent les personnages sans épaisseur pour construire un récit vivant où le quotidien donne le bras à l’histoire. Des reportages sont l’occasion d’évoquer les différentes techniques journalistiques et les grands évènements historiques ou d’importance pour le Burkina Faso. Ainsi la mort de ki-Zerbo ouvre le livre et nous introduit dans la maison TNB (Télévision nationale du Burkina) tiraillée entre le désir de liberté dans le traitement de l’info et sa peur de déplaire au gouvernement. « Et ton ministre, Yacou, tu l’as informé de ce que nous préparons ? » demande Pascal, son rédacteur en chef. Mine de rien, voilà peut-être ce qui explique l’inertie de la TéNéBreuse.

Passent la mort du Commandant Moumouni, les deux guerres du Mali, l’assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre et le livre se clôt sur le difficile parcours de Blaise Compaoré pour se tailler une stature d’homme d’Etat. A côté de ces grands événements, l’auteur raconte sa vie de journaliste, entre misère et grandeur, au cœur de l’actualité, avec ses doutes de jeune militant CDR, son révolte devant la mort d’un enfant, sa jubilation devant l’incendie de l’Observateur en 1987. C’est un examen sans concession de son passé, un bilan d’une grande honnêteté, il avoue ses errements et ses erreurs de jeunesse, son intransigeance de jeune révolutionnaire, lui qui vire sa cuti marxiste au lendemain du 15 octobre 1987 et retrouve la foi musulmane. Un chemin de Damas à rebours qui montre que la plupart des révolutionnaires n’en avaient que le vernis et explique la facilité avec laquelle les révolutionnaires d’hier se sont coulés dans le costume de démocrates libéraux après le 15 octobre.
Le récit n’est pas linéaire, c’est un puzzle qui fonctionne comme la mémoire, de manière aléatoire, par sauts de puces et retours en arrière, associations et ellipses. Ce qui donne à ce récit sa saveur de causerie au coin du thé, sa force d’aimantation et sa truculence. Quand il joue les grandes orgues patriotiques, il n’est pas très original tandis que lorsqu’il se laisse aller à gratter la douce corde du souvenir d’enfance, la mélodie est entraînante, on découvre un grand conteur qui a en lui quelque chose de l’humour d’un Kourouma ou d’un Lopès. De l’ironie à fleur de mot. Yacouba Traoré déploie une écriture fluide, économe mais très imagée, presque cinématographique. Ainsi on croit voir et entendre son père et son ami Solomani en train de se raconter l’histoire invraisemblable de la rencontre entre les généraux Sangoulé Laminana et Moussa Traoré et comment le Capitaine Ounsouho Charles Bambara évita que notre président fût capturé par l’ennemi. Il restitue avec saveur les dialogues, les postures, les pauses des deux amis dans la fabrication d’une légende.

Ce livre est un précis de journalisme, un roman de formation et un livre de mémoires. Il a le charme des albums de famille dont les photos en sépia réveillent la nostalgie et ramène au jour les figures et les histoires que le temps a estompées.
Yacouba Traoré est un journaliste de télévision qui a perdu la voix mais avec ce livre, on constate qu’il a compensé cette perte par une plume puissante, belle et exigeante. Il faut espérer qu’il ne la range pas après Gassé Galo et que d’autres œuvres vont suivre.

jeudi 14 février 2013

Enfin, une anthologie de la poésie burkinabè

Il était temps ! Longtemps snobée par les anthologies de poésie africaine malgré sa vitalité et son luxuriance, la poésie francophone du Burkina Faso a enfin son anthologie grâce au poète Pacéré Titinga et à l’universitaire Yves Dakouo. Intitulée « Poésie du Burkina, anthologie francophone », cette anthologie est un outil de travail incontournable et un mémento de la poésie nationale.

On doit l’idée de cette anthologie au poète Pacéré Titinga. Celui-ci i a constaté que la poésie burkinabé était quasi absente des anthologies de poésie africaine. Ainsi dans Anthologie de la littérature négro-africaine de 1918 à nos jours de Lylian Kesteloot qui reste un bréviaire pour les élèves et étudiants africains, il n’y a nulle trace d’un auteur burkinabé. Lorsque quelques rares anthologies prennent en compte la poésie burkinabé, elles ne mentionnent que l’incontournable Pacéré Titinga ou de temps à autre elles associent à celui-ci, le poète Jacques Guégané. Pourtant la poésie Burkinabè, même si elle repose en grande partie sur ces deux noms, se saurait s’y réduire. Car elle est riche de plus d’une centaine d’auteurs et de recueils poétiques. Malheureusement beaucoup de ses poètes sont méconnus et la plupart des recueils deviennent introuvables, quelques années après leurs publications. Aussi cette anthologie qui compte plus d’une soixantaine d’auteurs vient-elle réparer une injustice et offrir un outil de travail aux étudiants, chercheurs et aux amoureux de la poésie.
« Poésie du Burkina, anthologie francophone », est un outil incontournable désormais pour tous ceux qui veulent connaître le peuple des poètes du Faso. On y trouve en préambule « Une petite histoire de la poésie burkinabè » d’Yves Dakouo, fin connaisseur du fait littéraire national auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage de référence intitulé Emergence des pratiques littéraires modernes en Afrique noire. La construction d’un espace littéraire au Burkina Faso paru aux Editions Harmattan. Dans cette histoire de la poésie, Il présente l’évolution de ce genre, les influences des écoles poétiques et l’originalité de cette poésie.

Les auteurs de l’anthologie ayant préféré l’entrée par ordre alphabétique, les poètes ne sont donc pas classés par l’ordre chronologique des publications. Cependant chaque auteur a droit à une biographie expresse et à une rapide analyse de son art poétique, ce qui offre un éclairage et des clés de lecture des extraits retenus. Pour les auteurs les plus connus, l’analyse est plus élaborée et les extraits plus fournis. A tout seigneur, tout honneur ! Pacéré se taille la part du lion, suivi par J. Guégané, Bernadette Dao, Sophie Heidi Kam, Angèle Bassolet…
On y découvre aussi de poètes, parfait inconnus de la scène littéraire mais dont les textes sont de grande qualité. Tel le poème Blues de Balima Samba Alain qui est un haïku adamantin. En outre, on croise avec surprise des auteurs qui ont gagné leur notoriété dans le roman. Mais si leur plume est si sûre dans la prose, elle parait claudiquer sur le sentier neuf de la poésie. Comme l’albatros de Baudelaire, ces princes de la pose, on les découvre veules et gauches dans la poésie. Par contre, il est certains de ces romanciers qui fignolent les vers avec un égal bonheur. Aucun nom ne sera donné ici. A vous le plaisir de cette découverte !

Par ailleurs, cette anthologie est un grimoire, un livre magique qui ressuscite des voix éteintes et des poètes disparus. Ainsi l’anthologie débute avec Bationo Clément Odou, un enseignant de français, disparu prématurément, dont se souviennent certainement les anciens élèves du Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo des années 90. Ce petit homme, doux et paisible qui s’animait, s’enflammait lorsqu’il parlait de poésie. Ils se rappelleront certainement le manuscrit dont il les entretenait si souvent et auquel il cherchait un titre paronomase, oscillant entre leurres et lueurs (qui était déjà pris par BiraogoDiop), pleurs et fleurs et ils découvriront qu’il a opté pour Soupirs et sourires. Et beaucoup découvriront que Coulibaly Dieudonné, professeur d’EPS et metteur en scène de théâtre avait aussi la fibre poétique à travers son poème Silex. Comme ils découvriront que le poète militant Bamouni Paulin n’était pas seulement le chantre de l’engagement révolutionnaire. Si son cœur battait pour Lénine, il tambourinait aussi pour La fille noire des rivières à la lourde poitrine.Grâce à cette anthologie, toutes ces voix disparues nous parviennent comme les lumières des étoiles qui continuent à scintiller longtemps après que celles-ci sont mortes.
Enfin, en annexe, on a droit au Testament poétique de PacéréTitinga intitulé « Pacéré vu par Pacéré » où pour la première fois, le poète parle de lui-même en expliquant son cheminement de poète. A la troisième personne ! Un choix qui s’explique, selon Yves Dakouo par le fait que « cet homme qu’on dit souvent très mystérieux ne veut jamais parler de lui-même ; il est connu comme très fuyant ; homme du public, il n’aime pas le public ». On ne pensait pas le maître de la parole timide mais si l’autre le dit, c’est que c’est exact !

Ce testament poétique signe-t-il l’adieu du père de bendrologie à la poésie ? Après avoir gagné tous les grands prix de poésie de l’Afrique, fait membre de maintes sociétés savantes du monde, célébré dans le monde entier et unanimement salué par les poètes du continent tel leur Prince comme Mallarmé en fut le dernier en France, n’aurait-il plus de défi à relever ? Espérons que c’est juste un art poétique dévoilé mais que le poète ne met pas les voiles vers d’autres rivages autres que poétiques. Un tel destin rimbaldien est si loin de Pacéré.
Cette anthologie de poésie publiée par l’Harmattan est un ouvrage que tout amoureux des belles lettres doit avoir dans sa bibliothèque. Pour musarder dans les jardins des mots sonores, colorés et coruscants des poètes du Burkina.

dimanche 10 février 2013

Librairies par terre, de hauts lieux de culture


Ces échoppes à livres d’occasion souvent tenues par des illettrés sont paradoxalement les principaux lieux de culture pour les lecteurs burkinabè. Plus que les bibliothèques ou les librairies classiques, elles recèlent de livres rares et de documents riches. Et leur fréquentation instaure un type particulier de rapport au livre.

Les libraires par terre, ce ne sont pas les petits vendeurs ambulants qui transportent des romans piratés, des classiques africains inscrits au programme de français dans nos lycées qu’ils ont démultipliés illégalement sur des photocopieuses couleur ? Ce ne sont pas non plus les revendeurs de fournitures scolaires qui prospèrent pendant la rentrée scolaire. Eux sont une race à part, ces libraires de l’informel qui vendent toutes sortes de livres dans une échoppes au bord des ruelles ou sur des étals et parfois sur des nattes à même le sol. D’où leur nom.
Il fut un temps où on les soupçonnait d’être des receler des livres volés et de racheter à vil prix les livres des mauvais écoliers pour les revendre plus chers aux parents. De nos jours, ils peuvent montrer patte blanche car ils ne se fournissent plus sur le marché intérieur, dorénavant leur marchandise viennent de France ou de Belgique. Ce secteur bénéficie actuellement de la reconversion des bibliothèques en France en biblio-tech, de leur abandon du livre en papier par le livre numérique. Aussi ces bibliothèques se débarrassent-elles de leurs vieux livres et c’est naturellement l’Afrique qui devient la poubelle du livre papier. Des containers de livres sont offerts à des associations qui opèrent sur le Continent. Celles-ci associations les revendent aux brocanteurs.
Dans ces montagnes de livres qui surgissent sur nos trottoirs, il y a le meilleur et le pire. Il faut donc savoir trier le bon livre de l’ivraie. On peut tomber sur des livres de luxe avec de la reliure en cuir et en velours, sur des ouvrages de collection, des livres rares, etc. La fouille de ces amas s’apparente parfois à une pêche miraculeuse. Comme ce lecteur qui est tombé par hasard sur les trois tomes des Mémoires de De Gaulle en édition de luxe, broché et incrusté d’un écusson en bronze avec des copie de documents historique authentiques et coupures de presse originales insérées pour la modique somme de…cinq mille francs CFA. Le plaisir du lecteur réside aussi dans le fait qu’il trouve dans sa recherche ce que l’on ne cherchait pas et n’espérait même pas au départ ! Espérer un alevin dans son plat et se retrouver avec une dorade est très jouissif !
Celui qui chercherait un livre sur la critique d’art, le scénario ou tout simplement un roman de Gogol, ne les trouverait dans aucune des trois grandes librairies de Ouaga. Elles n’ont pas de rayons Art, Cinéma ou littérature russe. Pourtant un tour sur les étals de livres d’occasion qui bordent les ruelles de Ouaga et celui-ci pourrait trouver ce qu’il cherche. Il est vrai que le libraire n’est ici d’aucun secours car il ne sait ni lire ni écrire. Et si, à force d’entendre les titres des classiques, il a fini par les mémoriser, ce n’est toutefois pas sans altération. Ainsi Le Mort s’effondre peut bien être Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Le Trajet d’Albert Camus être l’Etranger. Et La Peste de Camus devenir La Veste, Le Mythe de Sisyphe devenir un Mythe décisif, et L’Iliade devenir Liliane d’Homère, l’Odyssée se transformer dans sa bouche en « Au Lycée ». Et Les Femmes Savantes de Molière se muer en L’Infame s’en vante de Molaire. Les Frères Karamoko sont peut-être Les Frères Karamazov de Dostoïevski !
Et pourtant il faut seméfier de ces dealers de livres dont la plupart illettrés car pour ce qui est du prix des livres, ils en connaissent un rayon. D’instinct, ils savent ce que vaut un livre. En effet, fins psychologues, ils détectent dans le regard du client la petite étincelle d’envie qui s’allume devant un livre convoité. Plus ils sentent que votre intérêt est fort pour un livre, plus le prix de celui-ci monte. Le jeu consiste à ne laisser rien paraître de ses sentiments lorsqu’on tombe sur un livre que l’on recherchait depuis longtemps. Le lecteur doit donc dominer le trouble de sa voix, le petit tremblement de la main qui tient le livre, se composer un visage indifférent en demandant le prix du livre pour espérer l’avoir à un petit prix. C’est une partie de poker ou le bluff a une grande importance.
Au-delà de ce combat de nerfs pour un livre, il y a aussi le plaisir de la recherche et le pari de de reconstituer des unités à partir de livres trouvés au fil du temps. Ainsi le lecteur tombe sur un livre d’une trilogie ou sur un ouvrage d’une somme comme A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il l’achète et s’engage dans un jeu qui consiste à retrouver les autres livres. De manière générale, à plus ou long terme, le chineur de livres finit par retrouver tous les autres livres. Des lecteurs se sont ainsi constitués des œuvres complètes de San Antonio, du Commissaire Maigret de Simenon, d’Agatha Christie ou d’œuvres plus littéraires comme la comédie humaine de Balzac ou toutes les œuvres de Victor Hugo.
Les libraires par terre sont devenus des acteurs incontournables de la diffusion des connaissances à travers les livres au Burkina Faso. Les ministères de la Culture et des Enseignements seraient bien inspirés de décorer ses grands diffuseurs de savoir qui ont le mérite de mettre le livre à la portée de la plus petite bourse. Plus que les structures officielles, les librairies par terre contribuent à la démocratisation de la culture!

Ces échoppes à livres d’occasion souvent tenues par des illettrés sont paradoxalement les principaux lieux de culture pour les lecteurs burkinabè. Plus que les bibliothèques ou les librairies classiques, elles recèlent de livres rares et de documents riches. Et leur fréquentation instaure un type de rapport au livre.
Les libraires par terre, ce ne sont pas les petits vendeurs ambulants qui transportent des romans piratés, des classiques africains inscrits au programme de français dans nos lycées qu’ils ont démultipliés illégalement sur des photocopieuses couleur ? Ce ne sont pas non plus les revendeurs de fournitures scolaires qui prospèrent pendant la rentrée scolaire. Eux sont une race à part, ces libraires de l’informel qui vendent toutes sortes de livres dans une échappes au bord des ruelles ou sur des étals et parfois sur des nattes à même le sol. D’où leur nom.
Il fut un temps où on les soupçonnait d’être des receler des livres volés et de racheter à vil prix les livres des mauvais écoliers pour les revendre plus chers aux parents. De nos jours, ils peuvent montrer patte blanche car ils ne se fournissent plus sur le marché intérieur, dorénavant leur marchandise viennent de France ou de Belgique. Ce secteur bénéficie actuellement de la reconversion des bibliothèques en France en biblio-tech, de leur abandon du livre en papier par le livre numérique. Aussi ces bibliothèques se débarrassent-elles de leurs vieux livres et c’est naturellement l’Afrique qui devient la poubelle du livre papier. Des containers de livres sont offerts à des associations qui opèrent sur le Continent. Celles-ci associations les revendent aux brocanteurs.
Dans ces montagnes de livres qui surgissent sur nos trottoirs, il y a le meilleur et le pire. Il faut donc savoir trier le bon livre de l’ivraie. On peut tomber sur des livres de luxe avec de la reliure en cuir et en velours, sur des ouvrages de collection, des livres rares, etc. La fouille de ces amas s’apparente parfois à une pêche miraculeuse. Comme ce lecteur qui est tombé par hasard sur les trois tomes des Mémoires de De Gaulle en édition de luxe, broché et incrusté d’un écusson en bronze avec des copie de documents historique authentiques et coupures de presse originales insérées pour la modique somme de…cinq mille francs CFA. Le plaisir du lecteur réside aussi dans le fait qu’il trouve dans sa recherche ce que l’on ne cherchait pas et n’espérait même pas au départ ! Espérer un alevin dans son plat et se retrouver avec une dorade est très jouissif !
Celui qui chercherait un livre sur la critique d’art, le scénario ou tout simplement un roman de Gogol, ne les trouverait dans aucune des trois grandes librairies de Ouaga. Elles n’ont pas de rayons Art, Cinéma ou littérature russe. Pourtant un tour sur les étals de livres d’occasion qui bordent les ruelles de Ouaga et celui-ci pourrait trouver ce qu’il cherche. Il est vrai que le libraire n’est ici d’aucun secours car il ne sait ni lire ni écrire. Et si, à force d’entendre les titres des classiques, il a fini par les mémoriser, ce n’est toutefois pas sans altération. Ainsi Le Mort s’effondre peut bien être Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Le Trajet d’Albert Camus être l’Etranger. Et La Peste de Camus devenir La Veste, Le Mythe de Sisyphe devenir un Mythe décisif, et L’Iliade devenir Liliane d’Homère, l’Odyssée se transformer dans sa bouche en « Au Lycée ». Et Les Femmes Savantes de Molière se muer en L’Infame s’en vante de Molaire. Les Frères Karamoko sont peut-être Les Frères Karamazov de Dostoïevski !
Et pourtant il faut seméfier de ces dealers de livres dont la plupart illettrés car pour ce qui est du prix des livres, ils en connaissent un rayon. D’instinct, ils savent ce que vaut un livre. En effet, fins psychologues, ils détectent dans le regard du client la petite étincelle d’envie qui s’allume devant un livre convoité. Plus ils sentent que votre intérêt est fort pour un livre, plus le prix de celui-ci monte. Le jeu consiste à ne laisser rien paraître de ses sentiments lorsqu’on tombe sur un livre que l’on recherchait depuis longtemps. Le lecteur doit donc dominer le trouble de sa voix, le petit tremblement de la main qui tient le livre, se composer un visage indifférent en demandant le prix du livre pour espérer l’avoir à un petit prix. C’est une partie de poker ou le bluff a une grande importance.
Au-delà de ce combat de nerfs pour un livre, il y a aussi le plaisir de la recherche et le pari de de reconstituer des unités à partir de livres trouvés au fil du temps. Ainsi le lecteur tombe sur un livre d’une trilogie ou sur un ouvrage d’une somme comme A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il l’achète et s’engage dans un jeu qui consiste à retrouver les autres livres. De manière générale, à plus ou long terme, le chineur de livres finit par retrouver tous les autres livres. Des lecteurs se sont ainsi constitués des œuvres complètes de San Antonio, du Commissaire Maigret de Simenon, d’Agatha Christie ou d’œuvres plus littéraires comme la comédie humaine de Balzac ou toutes les œuvres de Victor Hugo.
Les libraires par terre sont devenus des acteurs incontournables de la diffusion des connaissances à travers les livres au Burkina Faso. Les ministères de la Culture et des Enseignements seraient bien inspirés de décorer ses grands diffuseurs de savoir qui ont le mérite de mettre le livre à la portée de la plus petite bourse. Plus que les structures officielles, les librairies par terre contribuent à la démocratisation de la culture!

jeudi 24 janvier 2013

Obsessionnel Kourouma!



L’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma est mort en 2003 en laissant cinq romans fort laurés et une pièce de théâtre. Après avoir lu ses livres, le lecteur a le sentiment d’avoir lu ou relu la même œuvre tant les intrigues sont parallèles, les personnages semblables et les trajectoires toujours les mêmes. Cela ressort-il d'une panne d’inspiration ou serait-ce la marque d’un grand écrivain ?


Avec la parution des Soleils des indépendances en 1968, Ahmadou Kourouma apportait sa petite révolution dans le roman africain tant au niveau de la thématique que de l’écriture. On y découvrait une langue neuve qui tordait le cou à l’académisme et recourait à la richesse du malinké pour redonner des couleurs au français. Par ailleurs, il délaissait la dénonciation de la colonisation chère aux romanciers africains pour mesurer au trébuchet le bilan de la première décennie des indépendances. Un grand romancier nous était né ! Aussi attendait-on qu’un second roman vienne rapidement confirmer cet auteur comme le chef de file d’un nouveau mouvement. Attente vaine ! On a tôt fait de le considérer comme l’auteur d’une seule œuvre à l’instar de Lautréamont et de quelques artistes dont la veine créatrice tarit après une œuvre. Bien qu’il fit paraître Monné, outrages et défis en 1990, soit deux décennies après le premier roman et puis En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998, et Allah n’est pas obligé en 2000, la suspicion sur sa capacité à se renouveler ne se dissipera totalement. Elle va même puiser dans ces nouvelles œuvres des arguments pour se conforter. Ainsi on entend dire que toutes les œuvres suivantes ne sont que des avatars du premier roman. Ce qui est exact. Mais l’erreur des contempteurs n’est-elle pas d’y voir une faiblesse là il n’y a que du génie ? La marque d’un grand écrivain n’est-elle pas sa capacité à porter un monde bien construit ayant une architecture d’une grande cohérence ? Un romancier est grand par rapport à sa capacité-peut-être inconsciente- à poursuivre au fil des œuvres un dialogue ininterrompu entre le lecteur et son monde intérieur. Dans La Prisonnière, Marcel Proust développe l’idée selon laquelle l’artiste original ne traiterait que du même thème à travers ses différentes œuvres. Ce qu’il a appelé du bel oxymoron de « la monotonie du génie ». Claude Edmonde Magny part de cette intuition pour investiguer l’œuvre romanesque de Morgan dans son Essai sur les limites de la littérature et précise que l’auteur d’A la Recherche du temps perdu ne veut pas dire que l’artiste « se répète au sens banal du terme, mais simplement qu’il est hanté par un certain thème » Ce sentiment d‘éternel recommencement, de se retrouver devant la même arabesque dans tous les livres d’un auteur, le lecteur familier de la littérature africaine l’éprouve plus fortement devant les romans d’Ahmadou Kourouma. Sentiment si fort de « déjà lu » qu’il peut penser que toutes les œuvres suivantes déclinent avec des variations mineures la même histoire, celle des Soleils des indépendances. C’est en travaillant sur un ouvrage critique sur Les Soleils des Indépendances avec Jean Ouédraogo dans la nouvelle collection Entre les lignes, Littérature du Sud des Editions Honoré Champion que celui-ci nous a fait prendre conscience du fait que les œuvres de Kourouma se répondaient, d’écho en écho, dans une profonde et troublante unité. Certains motifs sont d’ailleurs si récurrents que l’on peut les qualifier d’obsessionnels. Ainsi du thème de la destitution du chef traditionnel. Fama est privé du trône au profit de son cousin Lacina dans Les Soleils des Indépendances et Djigui se voit remplacer de son vivant par son fils Béma dans Monnè, outrages et défis. Quant aux chefs des Etats africains des indépendances, ce sont toujours des dictateurs. Le président de la Côte des Ebènes des Soleils et Diarra de Tougnantigui ou le Diseur de vérité trouvent leur prolongement monstrueux dans le personnage de Koyaga d’En attendant le vote des bêtes sauvages. Cette figure du dictateur est si omniprésente dans les œuvres de Kourouma que beaucoup d’intellectuels africains lui ont reproché de recycler les clichés d’une littérature européenne raciste qui faisait de l’Afrique « le Cœur des ténèbres » et d’alimenter ainsi en eau surie le moulin des Afro-pessimistes. Il y a aussi le personnage du marabout ou du féticheur. Abdoulaye et Tiécoura des Soleils à Yacouba alias Tiécoura dans Quand on refuse on dit non, de Balla des Soleils à son homonyme dans Allah n’est pas obligé, les mêmes personnages semblent traverser les romans. La femme mutile par l’excision perdure de Salimata à la mère de Birahima dans Allah n’est pas obligé. Enfin, Togobala, le village perdu du royaume malinké qui est le trou noir aspirant tout digne descendant de malinké, l’appel du sol pour tous les personnages importants. Fama, malgré toutes les tentatives de l’en dissuader, y retourne pour mourir et le jeune Birahima d’Allah n’est pas obligé inscrit sa fuite finale dans les pas de Fama en retournant à Togobala. Entre l’exil et le royaume, au final, ces personnages ballotés aux quatre vents par les turpitudes de l’histoire tels des pollens portés par les vents de l’harmattan se ré-enracinent sur le sol natal. La géographie de cœur de Kourouma part de Togobala et y revient ! Toujours. L’œuvre d’Ahmadou Kourouma, loin d’être un ressassement sans fin d’une même histoire est l’approfondissement au fil des textes et le déroulé d’une vision du monde. Celle d’un artiste fortement marquée par l’oscillation entre un monde ancien qu’il sait perdu et un nouveau dont il pressent les dangers. Toute son œuvre est par conséquent un appel à l’homme africain pour qu’il se ressaisisse et se saisisse de son histoire. Et quand une œuvre est une corde tendue entre passé et futur sur le gouffre de notre présent, il est impératif de renoncer aux effets et aux nuances du tremblé de la corde pour que l’on voie bien la monotonie du fil rouge.

jeudi 27 décembre 2012

Et si Mona Lisa était béninoise ?

L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti est le commissaire d’une exposition de photographies inspirées de célèbres toiles de peintres tels Leonardo de Vinci, Pissaro, Gauguin. Ces grandes photographies composées d’après de célèbres toiles par trois photographes béninois posent le problème des rapports entre peinture et photographie, entre original et copie et montrent que la beauté se niche parfois là où on ne l’y attend pas. Les rapports entre la peinture et la photographie ont toujours été ambivalentes, oscillant entre la complicité et le rejet. Dès le 16 siècle, les peintres ont conçu la « camera obscura » pour résoudre le problème de la perspective sur une surface plane. De manière générale, les peintres ont vu dans l’invention de la photographie au 19°siècle un moyen de fixer le réel et l’instant avant de le porter sur la toile. D’ailleurs beaucoup de peintres ont utilisé le daguerréotype et même la photographie. Il est connu que la peinture a réussi à peintre avec justesse un corps en mouvement après l’invention de la photographie : Il n’est pas anodin que ce soit au 19°siècle (siècle de la photographie !) avec Degas que le cheval au galop sera peint avec justesse bien que cet animal hanta la peinture depuis ses débuts. Et il n’est pas un mystère que Gauguin a beaucoup emprunté aux photographies de Charles Spitz pendant sa période polynésienne. Néanmoins l’intérêt de l’exposition de Florent Couao-Zotti réside dans l’inversion du rapport. Ce n’est plus la peintre qui utilise l’image photographique mais le contraire. Et c’est une relecture de la peinture occidentale par les artistes africains Clovis Agbahoungba, Charles Tossou et Eric Ahounou Une réappropriation de toiles d’une autre époque par des contemporains. Ce chassé-croisé entre deux arts de l’image, entre Occident et Afrique et entre passé et présent est une démarche interculturelle qui insuffle de la fraicheur et un certain éclat à ces œuvres installées dans la patine de leur légende. Et soulève des questions fort intéressantes.
Ainsi le visiteur qui comparerait La Mona Lisa béninoise à l’original de Leonard de Vinci aura le sentiment que le modèle béninois est bien plus beau. On comprend pourquoi les beautés ébène ont toujours inspirées les poètes et mêmes les plus placides comme Léopold Sédar Sanghor. Ce qui autorise cette affirmation : Si Mona Lisa avait été béninoise, elle eut été plus belle.
Les Laveuses de Pissarro peint à Eragny se muent en de plantureuses africaines habillées de chaudes couleurs qui essorent le linge dans une lagune où l’écume blanchâtre du savon dessinent des vaguelettes d’argent sur la nappe sombre de l’eau. En termes de richesse de la palette, la photographie dame le pion au tableau. Quelquefois aussi, la toile garde sa suprême poésie et la photographie lui court après. Comme les Femmes de Tahiti de Gauguin, belles de sérénité et d’abandon face à deux dames de la photographie que l’on sent si raides, figées comme des statues. Tandis que les femmes de Gauguin sont si lègères.
Bien que Baudelaire dont on n’aurait jamais connu la gueule fracassée si Nadar ne l’avait photographié, traita la photographie de « servante de la peinture » cette expo prouve que la peinture aussi peut être serve de la photo et que cette dernière peut s’élever au-dessus de la peinture.

lundi 24 décembre 2012

Abou Sidibé et les quarante sculptures


La Rotonde de l’Institut français est devenue une caverne d’Ali Baba pleine de sculptures sur bois de toutes les tailles et de toutes les formes. C’est la somme d’une décennie de création continue qu’Abou Sidibé qu’expose depuis le 7 décembre 2012 à l’Institut Français de Ouagadougou. Des sculptures étranges. « Rien n’est plus fatiguant que d’expliquer ce que tout le monde devrait savoir », disait Baudelaire. Abou Sidibé doit ressentir de la lassitude face aux rafales de questions de visiteurs auxquels il doit expliquer chacune de ses sculptures. A cause du sentiment d’étrangeté qui naît face à ces œuvres bizarres qui sont des assemblages hétéroclites de planches de bois, de métal, de cordes, de cornes, de morceaux de plastique. Une profusion d’objets collés sur des colonnes ou de large pièce de bois qui donnent à ces créations une allure totémique. Ces sculptures sont posées sur du sable ou de la poudre de granit, une mise en scène qui renforce l’atmosphère de mystère ou de sacré qui les entourent. Au sol, l’artiste a réalisé une installation avec les différents éléments qui entrent dans la composition des œuvres. Un capharnaüm qui ressemble à une décharge publique tant les éléments sont hétéroclites, dérisoires et usés. La plupart des œuvres ont pour charpente une pièce de bois sculptée et selon l’inspiration de l’artiste, ce bois est soit emballé avec de la ficelle ou peint ; et il y associe des morceaux de ferraille, des bracelets, des statuettes de bronze ou des rebuts tels des cornes de taureaux. Certaines œuvres rompent néanmoins avec cette omniprésence du bois. Ainsi on a une série des puisettes sur lesquelles l’artiste a collé des objets de récupérations. D’autres sont de petites sculptures, des gris-gris selon l’artiste, qui ont des formes zoomorphes, rappelant un insecte, un oiseau ou quelque quadrupède. Ces gris-gris qui se balancent au-dessus des têtes des visiteurs ressemblent à des scarabées, des poussins et à des animaux monstrueux. Les dernières créations de l’artiste relèvent plus du simple assemblage que de la sculpture car l’artiste se contente d’associer des troncs pour faire naitre des formes. Comme si après une décennie passée à attaquer le bois au burin et au marteau pour délivrer les formes qui s’y dissimulaient, l’artiste est arrivé au bout de son itinéraire à un rapport pacifié avec la matière : le bois vient avec sa forme, l’artiste se contente d’organiser la rencontre des formes. Pareil à ces chasseurs Dozos qui de tueurs de fauves deviennent à la fin des dompteurs.
D’ailleurs ses œuvres font références aux chasseurs Dozos et à la culture manding d’où l’artiste puise son inspiration tout en s’inscrivant dans la modernité. Les titres des œuvres sont énigmatiques et font penser au mot de Georg Christoph Lichtenberg « un couteau sans lame auquel il manque le manche » tant le lien logique entre les titres des œuvres et les réalités qu’ils sont censés désignés sont difficiles à identifier. Toutefois, avec un peu d’opiniâtreté, le lien finit par émerger de la brume et tout s’éclaircit. A l’exemple des trois sculptures assez identiques faites de colonne de bois surmontées de marmites brisées avec des cornes dont les formes finissent par évoquées des filles comme l’indiquaient les titres. Les mystérieuse sculptures d’Abou Sidibé sont exposées jusqu’au 29 décembre à l’Institut français. C’est un univers étrange, une forêt de sculptures auréolée de mystère. Abou Sidibé serait-il le sculpteur qui redonne à la statuaire moderne le caractère sacré de la sculpture africaine. Un sacré qui serait irréligieux parce que privé de divinités ?

lundi 12 novembre 2012

Des fourmis et des hommes

Dans le cadre du Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou qui se déroule du 19 octobre au 11 novembre, la villa Yiri Suma accueille les œuvres de trois peintres togolais dont celles d’Adokou Kokouvi. Il s’agit de neuf toiles qui montrent des fourmis dans des scènes anthropomorphiques. Un théâtre drolatique et satirique. Arthur Rimbaud disait dans les Illuminations : « Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine ». Il suffit parfois de promener le regard dans un réduit ou sur une petite parcelle de terre pour arriver à l’intelligence du monde. En posant un instant les yeux sur le sol, l’homme découvre que sous sa godasse, il y a un univers grouillant de vie, beaucoup d’êtres industrieux et organisés. C’est ce qu’a fait Adokou Kokouvi, un jeune peintre togolais, pas encore trentenaire, qui vit et travaille à Ouaga depuis trois ans. Enfant ayant grandi au village, il lui arrivait de s’allonger dans l’herbe, d’’approcher le nez du sol pour assister à un spectacle fabuleux. Des fourmis passant leur chemin par milliers, luttant avec des charges plus lourdes qu’elles, obstinées, passant tous les obstacles, allant et venant dans une longue marche vers la fourmilière. Ces lilliputiens que nous piétinons sans voir, il a décidé d’en faire les personnages d’un opéra comique en neuf tableaux. Comique parce qu’il les croque dans des attitudes anthropomorphiques inattendues. Ainsi sur la toile baptisée « Le Couple » on voit un couple de fourmis plongées dans la lecture d’un journal, l’autre « La Causerie » met en scène des fourmis dans une discussion fort animée au vu de la posture et de la physionomie des protagonistes, ailleurs, la reine de la fourmilière est entourée de quelques personnages à la mine patibulaire, certainement la garde rapprochée. Le trait de l’artiste est assez proche de la caricature par l’exagération dans l’esquisse de certains traits morphologiques. Les yeux sont deux globes fendus d’une incise posés sur la tête, la bouche est ronde comme un O ou allongée d’un dard, les pattes se terminent en sabot ou en soulier. Il y a quelque chose d’enfantin dans ces dessins qui rappellent les bonshommes que peignait Jean Marie Basquiat, le prodige haïtien précocement décédé. Sur ces toiles, Adokou kokouvi utilise de coupures de journaux, du papier mâché et des pigments. Il écrit aussi des fragments de texte au pastel dont on peut décrypter quelques lettrines ou mots mais l’ensemble se perd dans le gribouillis. Ces tableaux sont aérés, diffusent quelque chose de lumineux car le noir et le gris sont atténués par des pointillés de bleu, des bandes de jaune ou des tirets rouges. L’idée d’accrocher cet opéra fabuleux au niveau du premier étage de la maison a été heureuse et aussi celle de mettre les neuf tableaux dans un carré de trois tableaux sur trois. Cela oblige le regardeur à lever les yeux au ciel. Une façon de suggérer que l’art a le pouvoir d’inverser les rôles. L’homme ne baisse plus le regard pour voir les fourmis, il est contraint de lever la tête pour le voir. En outre, pour mieux voir ses toiles dans le détail, le spectateur doit monter l’escalier en colimaçon et même se pencher quelque fois dans le vide dans une position inconfortable. L’art inverse ainsi le rapport de domination. Ce regroupement des toiles autorise des associations et génère un récit interprétatif des neuf toiles comme une unité. Ainsi, ces toiles font songer à une fourmilière avec ses différents niveaux, ses soldats, ses ouvrières, sa reine et ses galeries, ses entrepôts, ses systèmes d’aération et d’évacuation de déchets. Et cette fourmilière suspendue évoque un HLM avec des locataires dans leurs appartements. Le spectateur a l’impression de coller le nez à la vitre d’un appartement et d’observer les habitants dans leur vie quotidienne. Et là est justement la satire sociale ! Car un HLM n’est pas une fourmilière. Chaque appartement est une cellule étanche, chaque famille est une île défendue par ses quatre murs. Ainsi, en prenant prétexte de la myrmécologie, le jeune peintre fait une subtile critique de la destruction du lien entre les hommes. En invitant les fourmis sur ses toiles, Adokou kokouvi nous rappelle que nous cohabitons avec d’autres espèces et que nous avons même des leçons à prendre avec le monde animal. Une démarche écologiste et critique de la part d’un jeune artiste dont la technique est intéressante et prometteuse. Toutefois, l’influence de Jean Michel Basquiat est trop présente dans ces toiles ; il faut donc espérer que l’artiste se débarrasse d’une telle tutelle et trace sa propre route. Comme une fourmi !