Dans le cadre du Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou qui se déroule du 19 octobre au 11 novembre, la villa Yiri Suma accueille les œuvres de trois peintres togolais dont celles d’Adokou Kokouvi. Il s’agit de neuf toiles qui montrent des fourmis dans des scènes anthropomorphiques. Un théâtre drolatique et satirique.
Arthur Rimbaud disait dans les Illuminations : « Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine ». Il suffit parfois de promener le regard dans un réduit ou sur une petite parcelle de terre pour arriver à l’intelligence du monde. En posant un instant les yeux sur le sol, l’homme découvre que sous sa godasse, il y a un univers grouillant de vie, beaucoup d’êtres industrieux et organisés. C’est ce qu’a fait Adokou Kokouvi, un jeune peintre togolais, pas encore trentenaire, qui vit et travaille à Ouaga depuis trois ans. Enfant ayant grandi au village, il lui arrivait de s’allonger dans l’herbe, d’’approcher le nez du sol pour assister à un spectacle fabuleux. Des fourmis passant leur chemin par milliers, luttant avec des charges plus lourdes qu’elles, obstinées, passant tous les obstacles, allant et venant dans une longue marche vers la fourmilière. Ces lilliputiens que nous piétinons sans voir, il a décidé d’en faire les personnages d’un opéra comique en neuf tableaux. Comique parce qu’il les croque dans des attitudes anthropomorphiques inattendues. Ainsi sur la toile baptisée « Le Couple » on voit un couple de fourmis plongées dans la lecture d’un journal, l’autre « La Causerie » met en scène des fourmis dans une discussion fort animée au vu de la posture et de la physionomie des protagonistes, ailleurs, la reine de la fourmilière est entourée de quelques personnages à la mine patibulaire, certainement la garde rapprochée.
Le trait de l’artiste est assez proche de la caricature par l’exagération dans l’esquisse de certains traits morphologiques. Les yeux sont deux globes fendus d’une incise posés sur la tête, la bouche est ronde comme un O ou allongée d’un dard, les pattes se terminent en sabot ou en soulier. Il y a quelque chose d’enfantin dans ces dessins qui rappellent les bonshommes que peignait Jean Marie Basquiat, le prodige haïtien précocement décédé.
Sur ces toiles, Adokou kokouvi utilise de coupures de journaux, du papier mâché et des pigments. Il écrit aussi des fragments de texte au pastel dont on peut décrypter quelques lettrines ou mots mais l’ensemble se perd dans le gribouillis. Ces tableaux sont aérés, diffusent quelque chose de lumineux car le noir et le gris sont atténués par des pointillés de bleu, des bandes de jaune ou des tirets rouges.
L’idée d’accrocher cet opéra fabuleux au niveau du premier étage de la maison a été heureuse et aussi celle de mettre les neuf tableaux dans un carré de trois tableaux sur trois. Cela oblige le regardeur à lever les yeux au ciel. Une façon de suggérer que l’art a le pouvoir d’inverser les rôles. L’homme ne baisse plus le regard pour voir les fourmis, il est contraint de lever la tête pour le voir. En outre, pour mieux voir ses toiles dans le détail, le spectateur doit monter l’escalier en colimaçon et même se pencher quelque fois dans le vide dans une position inconfortable. L’art inverse ainsi le rapport de domination.
Ce regroupement des toiles autorise des associations et génère un récit interprétatif des neuf toiles comme une unité. Ainsi, ces toiles font songer à une fourmilière avec ses différents niveaux, ses soldats, ses ouvrières, sa reine et ses galeries, ses entrepôts, ses systèmes d’aération et d’évacuation de déchets. Et cette fourmilière suspendue évoque un HLM avec des locataires dans leurs appartements. Le spectateur a l’impression de coller le nez à la vitre d’un appartement et d’observer les habitants dans leur vie quotidienne. Et là est justement la satire sociale ! Car un HLM n’est pas une fourmilière. Chaque appartement est une cellule étanche, chaque famille est une île défendue par ses quatre murs. Ainsi, en prenant prétexte de la myrmécologie, le jeune peintre fait une subtile critique de la destruction du lien entre les hommes.
En invitant les fourmis sur ses toiles, Adokou kokouvi nous rappelle que nous cohabitons avec d’autres espèces et que nous avons même des leçons à prendre avec le monde animal. Une démarche écologiste et critique de la part d’un jeune artiste dont la technique est intéressante et prometteuse. Toutefois, l’influence de Jean Michel Basquiat est trop présente dans ces toiles ; il faut donc espérer que l’artiste se débarrasse d’une telle tutelle et trace sa propre route. Comme une fourmi !
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