Dans la région de Kara au Togo |
20 ans après avoir remporté le premier prix de World Press avec des
photos d’éleveurs, Gilles Coulon rempile en 2017 en suivant des éleveurs du
Burkina et leurs troupeaux dans une transhumance transfrontalière qui les mène
au Togo. Du 16 juin au 30 juillet 2017, l’institut français de Ouaga expose les
photographies de ce compagnonnage de
plus d’un mois baptisée « Transhumance, mobilité à risques »
Gilles Coulon s’intéresse dans
cette aventure photographique aux éleveurs peuls de Fada N’gourma dans leur odyssée
derrière le bétail, jusqu’au Togo. Il en revient avec de superbes images qui montrent les bergers et leur bétail
dans leur confrontation quotidienne avec
les éléments naturels uniquement.
En effet, le photographe a fait
le choix de fixer son objectif sur les pâtres et leur bétail. Aucun agriculteur
ou fonctionnaire ne traverse son cadre. Il ne capte pas les interactions entre
ces passants et les autochtones des terres traversées. On sent leur présence à
ces buttes sur le sol qui témoignent
d’un champ d’igname. Mais ils sont invisibles. Tout comme le sont les gabelous,
les pandores et les flics. Et Dieu seul sait comment ces forces de l’ordre
rendent périlleux la transhumance. Invisibles comme le sont toutes les grandes
menaces. Leur apparition sur la route de la transhumance est lourde de menace
pour le porte-monnaie ou parfois la vie du berger.
Dans ces 26 vues, il n’entre dans
le champ de vision de l’artiste que le berger et sa bête. Certaines images
montrent le rapport quasi fusionnel entre le berger et le bœuf. Aussi voit-on
un veau et un jeune berger dans une grande proximité. Comme si l’homme et la
bête partagent le rêve du Minotaure.
Celui de la fusion de l’humain et du taurin. De l’intelligence pure et de la
force brute pour triompher de l’adversité.
En attendant ce rêve improbable,
le berger conduit ses bêtes sur des territoires parfois inamicaux voire
hostiles. Coulon a préféré inscrire ces éleveurs dans leur confrontation avec
les quatre éléments que sont la terre, l’eau, l’air et le feu. Par temps de
soleil, par temps d’orage.
De jour comme de nuit. Sur des sols jonchés de cailloux comme à
Kara et dans les pâturages où l’herbe grasse et verte ondoie sous le soleil. Dans
le tumulte du fleuve où pour passer à gué, les plus jeunes aident les ainés et sous
la pluie, où un jeune berger seulement protégé par un dérisoire sac plastique,
droit comme un poteau, surveille son troupeau.
Ce sont des photos au plus près
des choses comme le dit Gilles Coulon lui-même et elles sont d’une grande
poésie parfois. Comme ce cliché où dans le froid de la nuit, les bergers ont
allumé un brasier pour réchauffer les bovins. Ce brasier troue l’opacité de la nuit et transforme la
scène en un tableau fantastique dans lequel les animaux devenus des ombres
chinoises se découpent dans un arrière-fond sombre éclaboussé d’or.
Mais au regard des menaces qui
pèsent sur ce type d’élevage, on se demande si ses scènes de bergers passe-frontières
marchant derrière leur bétail ne sera pas bientôt un vieux souvenir. D’ailleurs
une image ouvre sur cette perspective. C’est une photo prise
un matin d’harmatan qui montre un jeune berger de dos, bâton sur les épaules,
suivant son troupeau qui semble s’enfoncer et disparaître dans la brume. Image
prémonitoire ? Cela est bien possible.
A voir cette expo dénommée
« Transhumance, mobilité à risques », il vous vient les vers de
Césaire dans « J’ai guidé du troupeau la longue transhumance » :
« marcher sans entêtement à travers ce pays sans carte (…)/marcher sur la
gueule pas tellement bien ourlée des volcans » qui même s’ils on été
écrits pour la Martinique traduisent avec justesse l’aventure de ces hommes qui
sans carte et sans sécurité affrontent l’inconnu pour faire vivre le
pastoralisme.