Tout mur est une porte. Emerson

dimanche 21 juillet 2013

La chute de la maison cinéma au Faso


Au Burkina Faso, pendant la période révolutionnaire, il y a eu une effervescence culturelle à laquelle n’a pas échappé le cinéma. Outre le fait de donner une dimension mondiale au Fespaco en y conviant communautés de la diaspora d’Amérique et des Caraïbes, la révolution de Thomas Sankara a ouvert des salles de cinéma un peu partout sur le territoire burkinabé. Mais ces salles ferment les unes après les autres. quel avenir pour un cinéma qui n’a pas de salle pour être vu ?
Comme touchées par une terrible épidémie, les salles de ciné meurent les unes après les autres. Le ciné Guimbi de Bobo Dioulasso est en ruine, les salles de Kadiogo et du Oubri sont devenues des magasins de tissus, le cinéma Yadega tombe en ruine et prend l’allure d’une demeure hantée. Et la salle de Zorgho est à l’abandon
Si vous séjournez à Zorgho et que le hasard de la déambulation porte vos pas devant la salle de ciné, vous la verrez, derrière le marché, hautaine, imposante au milieu des hangars et des petites maisons en banco. Mais face à la concurrence des vidéoclubs et au désengagement de l’Etat dans la gestion des salles, beaucoup d’entre elles ont fermé. La salle de Zorgho en fait partie. Aujourd’hui ce ciné qui fut le cœur de la vie culturelle est devenu un bâtiment à l’abandon. C’est une grande bâtisse à angles carrés avec des colonnades droites, d’un blanc délavé avec des lisérés de vert. Elle ressemble à un bâtiment naval échoué sur un banc de sable après que l’eau se soit retirée.
Il y a quelques années, c’était là que battait le cœur de la ville. Tout ce que Zorgho et ses environnants comptait de valides s’y retrouvait. Maintenant, c’est une ruine pleine de lézardes et de rouille que les hommes ont désertée. Les margouillats, les lézards et les chauves-souris occupent les lieux et courent sur les murs. Quelques chèvres faméliques broutent la petite herbe qui envahit les abords.
A la belle époque, quand la Sonacib gérait la salle, il y avait deux films à l’affiche chaque soir et le bouche-à-oreille était aussi véloce que le téléphone portable actuel et la réputation d’un film embrasait les villages comme un feu d’harmattan et rameutait les jeunes gens qui descendaient à Zorgho pour voir un tel film.
Cette salle était comme un navire à quai entendant de faire le plein de voyageurs avant de prendre le large. Ainsi on coupait son ticket et on passait la porte avec l’impression de payer une croisière autour du monde en quelques heures. On allait en chine avec les films de Shaolin, de Bruce Lee ou Jackie Chan dansant son jeu de jambes endiablé et ses atemis meurtriers, ou en Inde avec les danseuses du ventre de Bollywood, et dans la fournaise de New York avec les films policiers d’Hollywood. On en ressortait groggy, ivre d’ailleurs et d’héroïsme.
Cette salle était une corne d’abondance pour ses riverains. Une vie économique s’organisait autour du cinéma. Les vendeurs d’eau, de fruits, de tabac et de café pullulaient. Et les badauds, l’œil aux aguets, se tenaient autour de la salle comme une ceinture humaine.
Et puis, un beau jour, l’appareil de projection a rendu l’âme après une vie bien remplie. On s’est ramené le rétroprojecteur posé sur un haut tabouret. Las, c’était du sous- cinéma, ces images aux bordures floutées qui dansaient sur un plein petit écran. Cela annonçait la chute de la maison cinéma. Ensuite la programmation est devenue plus aléatoire et puis tout s’est arrêté.
La nature ayant horreur du vide le cinéma s’est déplacé dans les petites cours aux alentours du marché, dans les vidéos clubs. Sur des bancs de fortune, sous des hangars branlant dont les poteaux de bois tanguent sous le vent, les Zorgolais s’enivrent d’images. Passé des images grandeur nature du grand écran au l’écran nain de la télévision, les gens savent que c’est déchoir.
Dans les vidéoclubs, les haut-parleurs disséminés aux quatre coins de la cour crachent des décibels pour aguicher le spectateur. Et ça marche. Des deux côté de la route nationale, des foules rentrent et sortent des cours aménagées avec des hangars pour suivre un film, un match de la Champion’s League, un match de catch ou une série nigériane. C’est un zapping d’enfer orchestré par un programmateur fou.
Le cinéma crée de l’addiction. Dès qu’on en a goûté, on ne peut plus s’en passer. Et les gens de la capitale du Ganzourgou se souviennent du bon cinéma d’antan et s’abrutissent d’images vidéo de mauvaise qualité.
Il serait bien que les communes réhabilitent les salles de cinéma en déshérence pour en faire des espaces culturels où cinéma et théâtre pourront cohabiter. Et la commune de Zorgho pourrait être pionnière en redonnant vie à sa salle de ciné.
Saïdou Alcény BARRY

Aucun commentaire: