Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 15 janvier 2015

Warda de Mahmoud Jemni: Portrait d'une femme Courage



Dans ce court documentaire de 2014, le réalisateur tunisien Mahmoud Jemni filme Warda Afi, une jeune artiste atteinte d’un cancer.  Par l’art de la gravure, cette femme résiste au mal et donne une vraie leçon de courage. Par l’art du cinéma, Jemni sculpte le portrait d’une femme courage très touchante.

J’ai rencontré Mahmoud Jemni sur un trottoir de Carthage devant le Théâtre national après une soirée cinéma éprouvante lors des JCC 2014. C’est un homme au  physique frêle, un béret vissé sur la tête et une fine moustache. Sexagénaire ou septuagénaire mais avec la fraîcheur de l’éternel ado. C’est le propre des enseignants et des créateurs et il fut l’un et l’autre.   

Enseignant dans une première vie, retraité depuis et  critique, producteur et réalisateur de cinéma actuellement. Il avait beaucoup de mots dans la bouche, j’avais beaucoup de sommeil dans les yeux. Il disait que l’enseignement était le plus beau métier du monde, je pensais qu’il était le plus ingrat. Il voulait aussi parler de ses films, de ceux de René Vautier dont il fut l’assistant sur quatre réalisations. 

Mais j’aspirais au repos du corps, à l’appel de mon lit pour me glisser dans les plis du sommeil. Un taxi l’a emporté dans la nuit tandis que je rejoignais mon hôtel. Ce fut une rencontre inachevée. Un dialogue mal entamé et vite interrompu.

Et plus tard j’ai vu son dernier film  documentaire, un court métrage : Warda, La passion de la vie. J’aurai voulu parler de ce documentaire avec le réalisateur. Voilà le sujet qui nous aurait permis de traverser la nuit, à moi de tenir la bride à mon sommeil pour un vrai échange autour du cinéma et de son film.

Warda, c’est la passion au double sens de souffrance acceptée et d’amour de la vie. Pourtant ce n’est pas un film sur la souffrance, bien au contraire Warda est un film solaire sur un sujet douloureux, une maladie crépusculaire. Warda est un soleil qui jette une lumière sur le monde de la maladie et donne de la couleur à tous les aspects sombres de celle-ci. Il y a une telle lumière en elle qu’elle irradie le film.

Jeune femme qui découvre qu’elle a le cancer de sein, nouvelle qui normalement fait s’écrouler un monde mais Warda est une femme debout, elle redresse la tête et affronte le mal. Malgré la batterie d’examens, la chimio qui fait tomber les cheveux, les produits qui déforment  le visage et l’hôpital qui devient un passage obligé. 

L’omniprésence du couloir blanc de l’hosto avec son halo immaculé et froid dans le film en fait une sorte d’univers infra-terrestre. Elle résiste à travers l’art et le sourire.  Le sourire de Warda qui illumine le visage et lui donne l’éclat qui fait oublier tout le reste. De dents qui mordent dans la vie comme dans une grenade mûre  pour en savourer le suc avec avidité. Warda est artiste. Elle crée, s’oublie dans la création et trouve un exutoire face au cancer.

Mahmoud Jemni filme sans pathos cette histoire douloureuse, la caméra est très proche de Warda mais jamais elle n’est voyeuse. Le film opère de la périphérie vers le centre en allant au plus près de cette jeune vie. Une démarche progressive de dévoilement fait entrer le spectateur dans l’intimité de Warda comme un visiteur qui passerait du salon à la chambre. En effet, le film s’ouvre sur des mains qui travaillent la gravure avant de découvrir un visage de femme. Bien maquillé avec des grands yeux blancs aux longs cils soyeux. Et petit à petit, l’image se décompose, la coquetterie n'est que d’apparence. 

Ainsi tombe la chevelure qui n'est que perruque, les fards s’estompent et laissent un visage nu. un crâne chauve. Mais demeure la beauté. Celle des héroïnes. De celles qui sont au-delà de la beauté physique, de l’accessoire : la force intérieure. Celle qui sourit à la mort et à la vie. Celle qui trace une route de lumière en gravissant le Golgotha. 

D’ailleurs, de route, il est toujours question dans ce film car entre deux séquences sur Warda et son entourage, on revient toujours vers une autoroute bordée d’oliviers avec au fond une montagne. Métaphore de la vie de Warda, la grand‘route est mouvement, refus de la prostration et de l’enfermement, cheminement vers le lointain, vers l’aventure. Warda pousse sa vie devant soi avec pétulance comme un Sisyphe heureux.

Juste avant la dernière image de Warda figée dans un grand éclat de rire, il y a la séquence de l’autoroute qui déroule son ruban d’asphalte dans le soir avec dans le  fond le soleil qui luit comme une pièce d’or et éclabousse l‘horizon de ses coulures d’or et de cuivre. Aurore ou Crépuscule ? On est certain de rien sauf que le soleil est toujours là. Donc un  film solaire jusqu’au bout. 

Mahmoud Jemni a commis un beau docu sur la  volonté de vivre. Où la puissance de vie dissout le funeste de la maladie. Sans doute que Warda résonnera dans la mémoire du cinéphile comme  un autre nom pour dire le courage ?

mardi 13 janvier 2015

Littérature burkinabè: l’Or brille pour une minorité de Issa Dieudonné Toé:



L’Or brille pour une minorité est le premier roman de Issa Dieudonné Toé. Il a paru à compte d’auteur en juillet 2013. Son auteur fait montre d’une grande maîtrise du récit ;il prend le lecteur au collet et l’entraine dans une histoire rocambolesque d’amour et d’extraction aurifère.

La plupart des œuvres éditées au Burkina souffre d’un packaging non maîtrisé ; la raison  est l’absence de véritables maisons d’édition possédant la chaîne de tous les métiers du livre capables d’éditer des bouquins  attrayants et à un prix étudié. L’or brille pour une minorité  n’y échappe pas  mais au-delà de l’habillage, si le lecteur entre dans ce texte, il y  trouvera son plaisir.

D’ailleurs la note introductive est si surprenante pour ne pas  rendre attachant un tel écrivain. En effet comment ne pas avoir de la sympathie pour un écrivain qui avertit que son roman a été écrit dans le seul but d’attirer l’attention des autorités sur les problématiques liées aux questions minières. Une telle foi en la capacité de la littérature à changer  les choses et  à influer sur les politiques est assez rare de nos jours pour ne pas inciter à aller voir ce que l’auteur a mis dans son œuvre pour la croire capable d’émouvoir leur cœur. peu tendrel.

Cela est d’autant plus intéressant quand on apprend que  l’auteur est un entrepreneur en bâtiment qui a fait des études de maths-physique. Ce passé  ajoute à l’idée que s’il est venu à la littérature il a vraiment des choses à dire. Qui renonce à déchiffrer le monde avec des théorèmes mathématiques et des lois physique pour le saisir avec les mots doit forcément être un passionné de littérature.

 Et lorsqu’on a été pendant longtemps un acheteur d’or comme l’auteur pour le défunt Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP), on doit connaitre un rayon sur ce monde-là. D’ailleurs le roman puise beaucoup dans cette expérience de l’auteur au contact des orpailleurs.

 Le roman est bâti sur une histoire d’amour improbable entre un leader étudiant, Pandjin, issu du monde paysan et Claudia, une beauté de la haute société, fille d’un richissime représentant d’une multinationale de l’exploitation aurifère.  L’auteur dépeint une société clivée avec des petites gens qui triment en ville ou dans les mines d’or et des nantis qui jouissent des dividendes du métal jaune avec la bénédiction des dirigeants du pays. 

Lorsque Pandjin et ses amis du campus décident de s’attaquer aux sociétés minières qui polluent les villages et empoisonnent les paysans, la sécurité intérieure se met en branle et décide de les neutraliser. Quelle en sera l’issue ?

Ce petit roman ressemble  un peu à un page turner à l’américaine car dès que l’on entre dans le livre, on est happé par l’histoire et on ne peut lâcher le roman sans en connaitre la fin. C’est une intrigue bien ficelée. L’auteur maîtrise  l’art du portrait et de la caricature. Il sait croquer en deux lignes les travers ou les incorrections d’un personnage. Fakiè Koné, le secrétaire du gouvernement est décrit ainsi : « il affichait son beau sourire et ses larges oreilles  n’arrêtaient de tressauter sur sa tête à la forme de pastèque ».

 On se surprend à rire devant certaines descriptions tant l’ironie de l’auteur est mordante. Il a aussi l’art des tropes étincelantes : la chevelure de Claudia pédalant un vélo est comparée à une crinière de jument en pleine course. Cet écrivain-là a du style…Il sait jouer de la langue et en tirer une musique particulière.

C’est pourquoi on regrette un peu que l’auteur reste dans la veine  réaliste, que le raoman africain traine depuis sa naissance et qu’il use d’une langue si classique. En 1953 déjà, Maurice Blanchot notait qu’il n’importe plus d’écrire bien, avec soin, dans une forme constante, égale, réglée selon l’idéal classique

Cette remarque, il la faisait pour la littérature française mais elle est d’autant plus vraie pour la littérature africaine après que le Devoir de violence de Yambo Ouologuem, les Soleils des indépendances de Ahmadou Kourouma et la prose carnavalesque de Sony Labou Tansi ont montré qu’une autre écriture est nécessaire chez l’écrivain africain francophone.

A la décharge de l’auteur, ce roman a été écrit en une giclée, en deux mois dans une sorte d’urgence de dire ce monde-là. Son motif premier est avant tout de dénoncer un désastre humain et environnemental. Et il le réussit bien car on sort du roman édifié sur les misères et les désillusions qu’engendre la découverte du métal jaune.

 Une telle rapidité pour accoucher d’une œuvre si prenante dénote d’une grande puissance de l’écriture romanesque par Issa Dieudonné Toé. On espère qu’il confirmera rapidement avec un deuxième roman qui donnera toute la mesure de son talent. Et qu’à l’écriture d’une aventure, il adjoindra l’aventure d’une écriture.
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