Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 31 octobre 2013

Expo Hors: Pistes Le Design des petits riens


L’Institut Français de Ouagadougou abrite jusqu’au 2 novembre 2013 une expo de design née de la rencontre d’une équipe pluridisciplinaire d’artisans de Ouagadougou et des designers français. Cette rencontre entre le savoir-faire traditionnel africain et les techniques modernes du design a accouché d’objets du quotidien transfigurés.

Hors-pistes est une initiative de deux jeunes designers françaises, Marie Douel et Amandine David, qui ont à l’idée de renouveler la veine créatrice des designers européens en les mettant en contact avec la vitalité et la créativité des artisans du monde entier. Le Burkina Faso est le premier laboratoire de cette initiative. Que l’Occident se tourne vers l’Ailleurs pour se renouveler n’est pas nouveau, les poètes et les peintres français du 19°siècle ont puisé dans l’exotisme oriental, les peintres Nabi dans l’art japonais et les cubistes au 20°siècle ont révolutionné les arts plastiques en s’inspirant de l’Art nègre. Mais avec Hors Pistes, cette démarche est assumée et revendiquée.

Cette rencontre est sous-tendue par une démarche plus soucieuse de l’environnement, une approche écologique qui privilégie le travail sur des matériaux de récupération, les déchets industriels que la rencontre avec l’Occident a engendrés et qui enlaidissent les villes africaines : sacs plastiques s’accrochant aux arbres comme des fleurs vénéneuses, jonchant les rues tels des oiseaux morts.
Pendant 45 jours, les designers français se sont immergés dans l’univers des artisans fondeurs d’aluminium et de bronze, des tisseuses de pagnes et de sacs plastiques, les ont regardés faire surgir des objets à partir de petits riens et avec une technique rudimentaire. De ce dialogue suivi entre l’artisan assis sur un savoir-faire profus et millénaire et les designers est né des objets du quotidien réinventés, plus beaux, aux lignes épurées et plus…inattendus.
Ainsi les tongs appelés « tapettes » au Faso ont été enchâssés les uns dans les autres comme des pièces d’un puzzle et on a une toiture bariolée qui peut mettre de la couleur dans les auvents et les toits. La collaboration entre le maroquinier Ilboudo Ablassé et les récupérateurs de pneus Théodore Nikiéma et Paul Zabré a donné naissance à des chaussures en cuir « Tao Tao » dont les semelles ont été découpées dans les pneumatiques de gros camions.
Même le fameux tabouret en bois qui se trouve dans tous les foyers moyens du pays a été relooké. Grâce au fondeur Emmanuel Ilboudo et au Studio Monsieur, il est en aluminium et ses formes se sont épurées, son allure devenue plus fine, plus solide. Le visiteur est aussi en admiration devant les Argentiques, les plateaux géants en alu dont le fond est incrusté de motifs inspirés de feuilles et de fruits de végétaux. Ces vastes plateaux sont si appropriés pour le repas de grandes familles africaines où tout les commensaux s’assoient autour du plat pour manger à la main, tout en devisant.
En parlant de gastronomie, il est étrange que la première pensée qui vient devant le fauteuil et les abat-jour réalisés avec des coques d’arachides réduites en pâte soit de vouloir mordre dans ces meubles ! La couleur chocolat de ces objets doit susciter cette furieuse envie de déguster du mobilier. Etrange destin que celui de ces objets d’intérieur qui appelle un étrange festin.
Hors pistes est un design qui part de l’existant pour créer des formes épurés dans de matériaux nouveaux. Se pliant à la sagesse de l‘adage africain qui conseille de tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne au lieu de la jeter.

Après avoir fait le tour de l’expo, le visiteur séduit éprouve néanmoins un peu d’amertume. Des designers français sont venus au Burkina, se sont nourris des  savoir-faire locaux mais il se demande si la réciproque aurait été possible. Peu probable que les artisans burkinabè puissent telles des abeilles aller librement butiner les fleurs de l’art parisien pour faire leur miel car la France se replie sur elle, voyant en l’Autre le responsable de tous ses problèmes. Toutefois, les objets créés au Burkina Faso seront exposés en Afrique et en Europe.
Cette riche rencontre a généré des œuvres de belle facture. Il faut espérer que cette expérience ne soit pas pour les artistes burkinabè associés une parenthèse vite refermée mais qu’elle inaugurera une approche nouvelle qui intègre le design dans leur pratique et permette à leurs productions mieux ouvragées de pénétrer le marché mondial.

mercredi 30 octobre 2013

Docu de Gideon Vink: Le Ruudga Parle avec Nouss Nabil


Le Ruudga Parle avec Nouss Nabil

Après les films musicaux sur le légendaire Bembeya Jazz et le destin tragique de Black So Man, l’Association Semfilms s’est intéressé avec le docu Le Ruudga Parle à Nouss Nabil et à l’instrument traditionnel qu’il joue et tente de promouvoir. Ce film réalisé par Gideon Vink met la lumière sur le ruudga sans pour autant en dissiper les ombres et les légendes.


Nouss Nabil, vous vous en souvenez ? Certainement que le grand public des téléspectateurs de la dernière décennie se rappelle ce jeune homme, très grand de taille qui se déhanchait mollement au rythme d’une chanson un peu grivoise sur les bords. Ayant eu son quart d’heure de célébrité comme le prophétisait Andy Warhol, il aurait pu retomber dans l’anonymat comme tous ces chanteurs d’une saison. Mais le jeune homme ayant goûté à l’ivresse de la musique et de la célébrité ne veut plus quitter la scène musicale. Il veut être un vrai musicien et décide d’apprendre à jouer d’un instrument.
Après une courte éclipse, il est revenu épaissie, la barbe poivre et sel, jouant du ruudga, la viole traditionnelle des Moosi.

C’est la reconversion de ce jeune homme, moderne, citadin et bien portant au ruudga que tente de comprendre le film. Le Ruudga Parle est conçu sur le schéma du conte initiatique, avec un héros qui fait son apprentissage à passant d’un maître à un autre, d’un lieu à un autre. Ainsi Gideon Vink accompagne Nouss Nabil de son équipée à travers le Burkina Faso pour comprendre le origines et les mystères de son instrument. La caméra le suit, souvent de dos, à travers ses déplacements pour rencontrer les aînés, la plupart malvoyants. Le ruudga est un instrument qui est attaché aux malvoyants dans le pays mossi et on en fait un accessoire pour mendiant.

A Ouagadougou, il rencontre Denis Sawadogo, un aveugle qui joue dans les débits de boissons et à Bissiga, un petit village de Ouahigouya, Michel Ouédraogo et son frère. Ah ! le vieux Michel, 50 ans de musique. Il a remplacé la calebasse du ruudga par une casserole en alu mais il arrache à son instrument des sonorités extraordinaires et d’une grande pureté. Avec lui, on se rend compte que le ruudga parle car l’instrument semble répéter les mots qu’il chante.

Le documentaire est composé de deux périodes. Une partie solaire qui montre Nous Nabil dans ses pérégrinations à la rencontre des maîtres du ruudga et dans son entreprise de vulgarisation de l’instrument, d’abord à l’Université devant les étudiants de Lettres et ensuite avec des gamins pendant le festival Wedbindé de Kaya.

Et une période crépusculaire et nocturne. Le basculement s’opère par les inserts d’un coucher d’un soleil et l’apparition de la pleine lune. Cette seconde partie s’attache à la part d’ombre du ruudga. Nouss Nabil évoque les pouvoirs de l’instrument. Ce pouvoir est aussi souligné par El Hadj Idrissa Dembélé qui conte une histoire extraordinaire digne des Mille et Une nuit. Pendant qu’il raconte cette histoire extraordinaire, la camera saisit l’effet sur sa famille : zooms sur des regards étonnés, dubitatifs.

Il n’est pas dans notre propos de nier ou d’accréditer cette thèse du ruudga capable de réaliser des choses extraordinaires mais en entourant l’instrument de fantastique, cela peut nuire gravement à sa vulgarisation. Car pour faire entrer le ruudga dans les écoles et dans les orchestres classiques comme le souhaite Nouss Nabil, il faut avant tout en faire un objet profane. En le sacralisant, il rajoute au folklore et participe à son isolement.

Ce film participe à la connaissance de cet instrument de musique traditionnelle. Il se regarde avec plaisir à cause des images bien léchées et parce que la caméra est ouverte à l’imprévu et saisit le mouvement de la vie quotidienne de Bobo Dioulasso. Des visages anonymes, des paysages et des sites connus traversent le film de sorte que Nouss Nabil n’emplit pas l’écran même s’il est le personnage principal. En ne tombant pas dans la célébration d’un artiste, ce docu évite l’écueil de la plupart des films musicaux. Il est disponible en DVD.