Tout mur est une porte. Emerson

CINEMA


Timbuktu de Abderrhamane Sissako: Il est venu, a  été vu et vaincu



Précédé par sa réputation de meilleur film français de l’année avec ses sept césars,  de sa sélection à Cannes et aux Oscars du cinéma de Los Angeles,  Timbuktu  était très attendu. Mais vu la maigreur de sa récolte au fespaco, Abderhamane Sissako ne peut dire comme Cesar : vini, vidi, vinci.  Timbuktu est un film d’une grande beauté plastique mais le traitement de la question islamiste et touareg laisse perplexe.

Timbuktu est un long métrage de fiction sur le quotidien des habitants de ce territoire du Nord Mali  tombé sous la férule des islamistes. Comme Abderrhamane Sissako est un auteur, c’est-à-dire un cinéaste qui a un style, ce film est empreint de sa poétique de l’image. Le réalisateur mauritanien a l’art  de sublimer les personnages ordinaires et de les élever au rang de mythe. 

Aussi nous gratifie-t-il d’une galerie de personnages inoubliables. Telle la jeune fille condamnée à la flagellation pour avoir chanter et qui, tandis que les coups pleuvent sur son frêle corps, entonne un chant de résistance. Et ces gosses qui continuent de jouer au football même sans ballon, inventant une pantomime de la liberté contre les occupants qui ont interdit ce sport. Il y a des moments comme ça dans le film où un simple geste devient une geste d’héroïsme ordinaire.

La résistance a surtout un visage de femme. De la vendeuse de poisson qui refuse de porter des gants  à la mère qui s’oppose au mariage de sa fille avec un djahidiste jusqu’à la folle qui, de ses bras écartés stoppe la jeep des envahisseurs, elles sont toutes des combattantes contre l’oppression. Avec des actes ordinaires mais dont la portée est d’une grande puissance.

Des métaphores jaillissent doucement des tableaux qui se suivent comme un diaporama et évoquent  la situation de siège de Timbuktu. Le film s’ouvre sur une gracile antilope bondissant  dans les dunes  et traquée par des djihadistes cyniques qui lui tirent dessus avec des armes de guerre avec le désir de l’épuiser et non de l’abattre. Image duelle qui revèle le cynisme des chasseurs et  la fragilité de cette cité millénaire et apparemment sans défense.

En outre, il y a à l’œuvre une vraie cosmétique des visages qui sont filmés avec une sorte d’aura pour en révéler la beauté. Et le désert lui-même est un personnage, il est omniprésent avec ces métamorphoses,  ses dunes mouvants, ses tons changeant selon la lumière du jour.

Cette recherche de tropes  parfois tombe dans un  parallélisme qui n’est pas heureux  comme la mort du pêcheur filmé avec ses convulsions comme le fut celle du taureau  abattu par le pêcheur. Même si la mort du pêcheur est filmée de très loin tandis que celle du taureau est rendue par de gros plans, il se pose un problème d’éthique dans cet esthétisme morbide.

C’est assurément la photographie  qui fait la force du film. Malheureusement elle ne peut faire oublier qu’un film est avant tout la mise en image d’une histoire. Pourtant Timbuktu pêche par l’absence d’un scénario ; le film est une suite de tableaux que tente de suturer entre eux le fil de  l’histoire de Kidane. Celle d’un homme qui essaie de préserver sa femme et sa fille de la folie environnante. Un bonheur fragile qui va basculer avec la mort de la vache choyée, GPS, tuée par un pêcheur. Il tue celui-ci et tombe dans les filets de la charia des djihadistes.

Mais il est des choix du réalisateur qui gêne aux entournures. D’une part, il y a le parti pris de présenter les djihadistes comme des pantins, des jeunes de banlieue égarés dans une guerre de religion dont ils ne comprennent ni les tenants ni les aboutissants. Quoique cela génère des situations cocasses qui atténuent la charge tragique du film, il a le défaut de les rendre du même coup, sympathiques. A l’image d’ Abdelkrim qui est présenté comme un djihadiste cool ; il fume, danse tel un Noureev des sables et est un cœur tendre qui succombe au charmes de Satima, l’épouse de Kidane qu’il poursuit d’une cour galante.

D’autre part, il y a  le point de vue de Timbuktu qui a prend de grandes libertés avec la vraie histoire de l’occupation djihadiste. C’est vrai que depuis L’Homme qui  tua Liberty Valence de John Ford, il est connu qu’entre la vérité et la légende, le cinéma préfère la légende. Mais le réalisateur qui présente son film comme un témoignage peut-il opter pour la légende au détriment de la vérité ? Un  film sur Tombouctou s’accommode-t-il  d’une fable romantique, exotique et autistique ? Pas sûr ! 

Il faut peut être rappeler aux thuriféraires de la liberté du créateur que  la fiction n’est pas le mensonge mais la représentation du réel par le matériau de l’imagination ! Le Mentir-vrai, l’oxymore d’Aragon,  est le propre de la fiction. Aussi présenter le nord Mali  comme un Eden avant que ne débarquent l’Internationale djihadiste composée d’arabes et de jeunes émigrés venus d’Europe ou du Nigéria est-il  perçu comme une manipulation de l’histoire.

C’est certainement cette vision édulcorée et  romancée de Timbuktu  qui a fait qu’il n’a pas eu les lauriers du fespaco. Malgré cela, ce film qui a des images très fortes et très belles démontre qu’Abderrhamane Sissako est un  cinéastes  qui compte.



Warda de Mahmoud Jemni: Portrait d'une femme Courage


Dans ce court documentaire de 2014, le réalisateur tunisien Mahmoud Jemni filme Warda Afi, une jeune artiste atteinte d’un cancer.  Par l’art de la gravure, cette femme résiste au mal et donne une vraie leçon de courage. Par l’art du cinéma, Jemni sculpte le portrait d’une femme courage très touchante.
J’ai rencontré Mahmoud Jemni sur un trottoir de Carthage devant le Théâtre national après une soirée cinéma éprouvante lors des JCC 2014. C’est un homme au  physique frêle, un béret vissé sur la tête et une fine moustache. Sexagénaire ou septuagénaire mais avec la fraîcheur de l’éternel ado. C’est le propre des enseignants et des créateurs et il fut l’un et l’autre.   

Enseignant dans une première vie, retraité depuis et  critique, producteur et réalisateur de cinéma actuellement. Il avait beaucoup de mots dans la bouche, j’avais beaucoup de sommeil dans les yeux. Il disait que l’enseignement était le plus beau métier du monde, je pensais qu’il était le plus ingrat. Il voulait aussi parler de ses films, de ceux de René Vautier dont il fut l’assistant sur quatre réalisations. 

Mais j’aspirais au repos du corps, à l’appel de mon lit pour me glisser dans les plis du sommeil. Un taxi l’a emporté dans la nuit tandis que je rejoignais mon hôtel. Ce fut une rencontre inachevée. Un dialogue mal entamé et vite interrompu.

Et plus tard j’ai vu son dernier film  documentaire, un court métrage : Warda, La passion de la vie. J’aurai voulu parler de ce documentaire avec le réalisateur. Voilà le sujet qui nous aurait permis de traverser la nuit, à moi de tenir la bride à mon sommeil pour un vrai échange autour du cinéma et de son film.

Warda, c’est la passion au double sens de souffrance acceptée et d’amour de la vie. Pourtant ce n’est pas un film sur la souffrance, bien au contraire Warda est un film solaire sur un sujet douloureux, une maladie crépusculaire. Warda est un soleil qui jette une lumière sur le monde de la maladie et donne de la couleur à tous les aspects sombres de celle-ci. Il y a une telle lumière en elle qu’elle irradie le film.

Jeune femme qui découvre qu’elle a le cancer de sein, nouvelle qui normalement fait s’écrouler un monde mais Warda est une femme debout, elle redresse la tête et affronte le mal. Malgré la batterie d’examens, la chimio qui fait tomber les cheveux, les produits qui déforment  le visage et l’hôpital qui devient un passage obligé. 

L’omniprésence du couloir blanc de l’hosto avec son halo immaculé et froid dans le film en fait une sorte d’univers infra-terrestre. Elle résiste à travers l’art et le sourire.  Le sourire de Warda qui illumine le visage et lui donne l’éclat qui fait oublier tout le reste. De dents qui mordent dans la vie comme dans une grenade mûre  pour en savourer le suc avec avidité. Warda est artiste. Elle crée, s’oublie dans la création et trouve un exutoire face au cancer.

Mahmoud Jemni filme sans pathos cette histoire douloureuse, la caméra est très proche de Warda mais jamais elle n’est voyeuse. Le film opère de la périphérie vers le centre en allant au plus près de cette jeune vie. Une démarche progressive de dévoilement fait entrer le spectateur dans l’intimité de Warda comme un visiteur qui passerait du salon à la chambre. En effet, le film s’ouvre sur des mains qui travaillent la gravure avant de découvrir un visage de femme. Bien maquillé avec des grands yeux blancs aux longs cils soyeux. Et petit à petit, l’image se décompose, la coquetterie n'est que d’apparence. 

Ainsi tombe la chevelure qui n'est que perruque, les fards s’estompent et laissent un visage nu. un crâne chauve. Mais demeure la beauté. Celle des héroïnes. De celles qui sont au-delà de la beauté physique, de l’accessoire : la force intérieure. Celle qui sourit à la mort et à la vie. Celle qui trace une route de lumière en gravissant le Golgotha. 

D’ailleurs, de route, il est toujours question dans ce film car entre deux séquences sur Warda et son entourage, on revient toujours vers une autoroute bordée d’oliviers avec au fond une montagne. Métaphore de la vie de Warda, la grand‘route est mouvement, refus de la prostration et de l’enfermement, cheminement vers le lointain, vers l’aventure. Warda pousse sa vie devant soi avec pétulance comme un Sisyphe heureux.

Juste avant la dernière image de Warda figée dans un grand éclat de rire, il y a la séquence de l’autoroute qui déroule son ruban d’asphalte dans le soir avec dans le  fond le soleil qui luit comme une pièce d’or et éclabousse l‘horizon de ses coulures d’or et de cuivre. Aurore ou Crépuscule ? On est certain de rien sauf que le soleil est toujours là. Donc un  film solaire jusqu’au bout. 

Mahmoud Jemni a commis un beau docu sur la  volonté de vivre. Où la puissance de vie dissout le funeste de la maladie. Sans doute que Warda résonnera dans la mémoire du cinéphile comme  un autre nom pour dire le courage ?
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