Tout mur est une porte. Emerson

mardi 17 mars 2015

Timbuktu de Abderrhamane Sissako. Il est venu, a été vu et vaincu !




Précédé par sa réputation de meilleur film français de l’année avec ses sept césars,  de sa sélection à Cannes et aux Oscars du cinéma de Los Angeles,  Timbuktu  était très attendu. Mais vu la maigreur de sa récolte au fespaco, Abderhamane Sissako ne peut dire comme Cesar : vini, vidi, vinci.  Timbuktu est un film d’une grande beauté plastique mais le traitement de la question islamiste et touareg laisse perplexe.

Timbuktu est un long métrage de fiction sur le quotidien des habitants de ce territoire du Nord Mali  tombé sous la férule des islamistes. Comme Abderrhamane Sissako est un auteur, c’est-à-dire un cinéaste qui a un style, ce film est empreint de sa poétique de l’image. Le réalisateur mauritanien a l’art  de sublimer les personnages ordinaires et de les élever au rang de mythe. 

Aussi nous gratifie-t-il d’une galerie de personnages inoubliables. Telle la jeune fille condamnée à la flagellation pour avoir chanté et qui, tandis que les coups pleuvent sur son frêle corps, entonne un chant de résistance. Et ces gosses qui continuent de jouer au football même sans ballon, inventant une pantomime de la liberté contre les occupants qui ont interdit ce sport. Il y a des moments comme ça dans le film où un simple geste devient une geste d’héroïsme ordinaire.

La résistance a surtout un visage de femme. De la vendeuse de poisson qui refuse de porter des gants  à la mère qui s’oppose au mariage de sa fille avec un djahidiste jusqu’à la folle qui, de ses bras écartés stoppe la jeep des envahisseurs, elles sont toutes des combattantes contre l’oppression. Avec des actes ordinaires mais dont la portée est d’une grande puissance.

Des métaphores jaillissent doucement des tableaux qui se suivent comme un diaporama et évoquent  la situation de siège de Timbuktu. Le film s’ouvre sur une gracile antilope bondissant  dans les dunes  et traquée par des djihadistes cyniques qui lui tirent dessus avec des armes de guerre avec le désir de l’épuiser et non de l’abattre. Image duelle qui révèle le cynisme des chasseurs et  la fragilité de cette cité millénaire et apparemment sans défense.

En outre, il y a à l’œuvre une vraie cosmétique des visages qui sont filmés avec une sorte d’aura pour en révéler la beauté. Et le désert lui-même est un personnage, il est omniprésent avec ces métamorphoses,  ses dunes mouvantes, ses tons changeant selon la lumière du jour.

Cette recherche de tropes  parfois tombe dans un  parallélisme qui n’est pas heureux  comme la mort du pêcheur filmé avec ses convulsions comme le fut celle du taureau  abattu par le pêcheur. Même si la mort du pêcheur est filmée de très loin tandis que celle du taureau est rendue par de gros plans, il se pose un problème d’éthique dans cet esthétisme morbide.

C’est assurément la photographie  qui fait la force du film. Malheureusement elle ne peut faire oublier qu’un film est avant tout la mise en image d’une histoire. Pourtant Timbuktu pêche par l’absence d’un scénario ; le film est une suite de tableaux que tente de suturer entre eux le fil de  l’histoire de Kidane. Celle d’un homme qui essaie de préserver sa femme et sa fille de la folie environnante. Un bonheur fragile qui va basculer avec la mort de la vache choyée, GPS, tuée par un pêcheur. Il tue celui-ci et tombe dans les filets de la charia des djihadistes.

Mais il est des choix du réalisateur qui gêne aux entournures. D’une part, il y a le parti pris de présenter les djihadistes comme des pantins, des jeunes de banlieue égarés dans une guerre de religion dont ils ne comprennent ni les tenants ni les aboutissants. Quoique cela génère des situations cocasses qui atténuent la charge tragique du film, il a le défaut de les rendre du même coup, sympathiques. A l’image d’ Abdelkrim qui est présenté comme un djihadiste cool ; il fume, danse tel un Noureev des sables et est un cœur tendre qui succombe au charmes de Satima, l’épouse de Kidane qu’il poursuit d’une cour galante.

D’autre part, il y a  le point de vue de Timbuktu qui a pris de grandes libertés avec la vraie histoire de l’occupation djihadiste. C’est vrai que depuis L’Homme qui  tua Liberty Valence de John Ford, il est connu qu’entre la vérité et la légende, le cinéma préfère la légende. Mais le réalisateur qui présente son film comme un témoignage peut-il opter pour la légende au détriment de la vérité ? Un  film sur Tombouctou s’accommode-t-il  d’une fable romantique, exotique et autistique ? Pas sûr ! 

Il faut  rappeler aux thuriféraires de la liberté du créateur que  la fiction n’est pas le mensonge mais la représentation du réel par le matériau de l’imagination ! Le Mentir-vrai, l’oxymore d’Aragon,  est le propre de la fiction. Aussi présenter le nord Mali  comme un Eden avant que ne débarquent l’Internationale djihadiste composée d’arabes et de jeunes émigrés venus d’Europe ou du Nigéria est-il  perçu comme une manipulation de l’histoire.

C’est certainement cette vision édulcorée et  romancée de Timbuktu  qui a fait qu’il n’a pas eu les lauriers du fespaco. Malgré cela, ce film qui a des images très fortes et très belles démontre qu’Abderrhamane Sissako est un  cinéastes  qui compte.

4 commentaires:

GAREL Pierre a dit…

Saïdou Alceny, Je viens de lire ta critique sur Timbuktu, et moi qui n'est pas (encore) pu voir le film, j'y ressens l'atmosphère chère à Sissako, mon cinéaste africain préféré - donc tu dois parler vrai ! et peut-être as-tu raison de faire des réserves... je me demande simplement : pourquoi ne pas nous montrer ce côté "humain" des jihadistes ? ils en ont un, comme la plupart des pires salauds... c'est ce qui est déstabilisant, et si juste, et c'est sans doute là où réside l'espoir, que nous laisserait entrevoir Sissako : nous sommes tous des humains...

Saïdou Alcény BARRY a dit…

Pierre Garel, je suis d'accord avec toi que les djahidistes sont aussi des humains. Comme toi, je n'aime pas qu'on m'impose une vision manichéenne des choses. Les bons d'un côté, les méchants de l'autre. Ce dont je parle,c'est d'autre chose. EN fait, il les infantilise au lieu d'en faire des tueurs ayant un part d'humanité. Tu verras le film et peut-être que ce sera plus clair. En tout cas, c'est un grand cinéaste, Sissako!

Sid-Lamine Salouka a dit…

Enfin un article qui vient de l'Afrique et qui ne reprend pas les grilles d'Occidentaux! Entre le romantisme des colonialistes qui s'ignorent et entre le rejet de ceux qui voient dans Sissako le conseiller d'un chef d'Etat haï, le film était passé à la trappe. Mais l'Afrique a aussi sa voix et il faut que ce film y soit et commenté par des Africains.

Shoot the Messenger a dit…

Merci pour cette critique, très éclairante en effet. Bravo!DM