Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 22 octobre 2015

Cinéma d’Afrique du Sud/cinémas d’Afrique de l’Ouest : Si proches, si loin

 
Ciné Burkina

Comment évoquer les rapports entre les cinémas de l’Afrique occidentale francophone et celui de l’Afrique du Sud  sans utiliser le passé ? Et même en parler au passé (dé)composé tant les premiers contacts ne débouchèrent sur rien. Retour sur ces rendez-vous manqués à travers deux cinéastes : Souleymane Cissé et Idrissa Ouédraogo.

L’Afrique du Sud ne fut jamais une terra incognita pour l’Afrique de l’Ouest francophone, car si aucun ressortissant de l’Afrique de l’Ouest ne souhaitait y poser les pieds pendant l’Apartheid, ce territoire à la pointe australe du continent  ne fut cependant jamais absent des préoccupations politiques et artistiques de cette région.

En effet, l’Afrique de l’Ouest a été solidaire de ces frères noirs qui vivaient sous le régime ségrégationniste de l’Apartheid. Une solidarité qui se manifestait à travers la musique, la littérature et un peu moins dans le cinéma. On se rappelle Thomas Sankara, le chef de l’Etat du Burkina Faso, offrant quelques kalanichkov au représentant de l’ANC à l’OUA (actuelle UA) pour soutenir leur combat pour l’égalité raciale! 

Avec la fin de l’Apartheid, le retour de ce grand pays dans les nations du continent apparaissait comme celui de l’enfant prodigue. Puissance économique, militaire et culturelle, l’Afrique du Sud était perçue comme la locomotive qui allait tirer le continent vers le développement. Et les cinémas de l’Afrique de l’Ouest francophone attendaient beaucoup de la première industrie cinématographique du continent.

Le cinéma sud-africain est un miracle, vu d’Afrique de l’Ouest francophone. Boycotté par le reste du monde pour son régime de ségrégation, ce pays a développé en serre une véritable industrie cinématographique comprenant la production, la distribution, l’exploitation et les studios sur le modèle hollywoodien avec l’accompagnement de l’Etat.  

Claude Forest dans Le cinéma en Afrique : l’impossible industrie notait que Ster Kinekor disposait en 2010 de 418 écrans (58 complexes, 60 000 fauteuils) avec une part de marché de 65 % pour 17 millions de tickets vendus. A côté de Ster Kinekor, il y a deux autres géants de la distribution que sont Nu-Metro Distribution (NMD) et United International Pictures (UIP) qui se partagent le reste
du marché.

D’Afrique francophone, on découvrait des films sud-africains en V.O. si proches des films hollywoodiens. Nerveux, rythmés, servis par d’excellents comédiens  et bâtis sur des scénarios haletants. Mon nom est Totsi de Gavin Hood a emballé le public ouagalais lors du Fespaco 2007. Par la suite, ces films en poussant loin les excès et en perdant de leur nouveauté vont moins séduire. Ainsi, Four Corner de Ian Gabriel qui s’inscrit dans la veine de Mon Nom est Totsi n’a pas retenu l’attention des cinéphiles du Fespaco 2015. Au début, c’était l’émerveillement devant ces films venus du Sud et la fascination devant la puissante machinerie cinématographique qui les fabrique.

L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud se tiennent aux deux extrêmes de l’industrie cinématographique. D’un côté, il y a un cinéma dans toute sa splendeur et de l’autre, un cinéma anémique, sous perfusion, qui n’existe pas en tant qu’industrie mais seulement par ses réalisateurs. 

Et pour compliquer les choses, la concurrence de nouvelles images comme celles de la télévision, des DVD, des VCD et du téléphone portable vont réduire  le public des cinémas de l’Afrique francophone  comme peau de chagrin et entraîner la fermeture des salles. Par conséquent, c’est la loi physique  de l’appel d’air qui devrait être  à l’œuvre entre ces deux mondes-là. Le cinéma francophone n’attendant qu’une occasion de s’engouffrer dans la brèche.

Deux éclaireurs, les meilleurs de leur génération

Le premier contact entre les deux cinémas se fera par le truchement de la création cinématographique et non par des contrats de producteurs. Cette approche se fera donc à travers des films sur l’Afrique du Sud. Souleymane Cissé tourne Waati, une histoire sud-africaine, en 1995 et Idrissa Ouédraogo réalise Kini et Adams en 1997. Ces films visent à jeter un pont entre les deux publics en donnant à voir ici et là-bas les réalités des communautés sud-africaines. Ainsi, l’écran donnerait à voir aux deux communautés ce qu’un autre écran, politique celui-là, a caché pendant longtemps. 

Waati fut un des films africains francophones les plus chers de l’époque. Daniel de Toscan Plantier, le producteur délégué, ne mégota pas sur le budget. Ce film suit la trajectoire d’une adolescente sud-africaine qui quitte son pays à la suite du meurtre de son père par un policier et que les tribulations mèneront à travers l’Afrique occidentale. Dans la distribution, il y a des acteurs sud-africains et des acteurs maliens et ivoiriens.

Malheureusement, ce film n’ouvrira pas les portes de salles sud-africaines ni ne débouchera sur des collaborations futures avec le cinéma sud-africain. Il ne sera pas non plus bien reçu par le public francophone et surtout hexagonal. Dans les Inrocks, le critique Vincent Ostria finira son article sur Waati par ce conseil cruel au réalisateur : «  Cissé a donc présumé de ses forces. On espère qu’il redeviendra vite le chantre de l’Afrique mythique. » Comme pour dire que le réalisateur africain est condamné à filmer des histoires mythiques et jamais le contemporain ou le quotidien. Ce film sera d’ailleurs le dernier grand film de Souleymane Cissé.

Idrissa Ouédraogo n’aura pas plus de baraka avec Kini et Adams. Cette histoire d’une longue amitié d’hommes, mise à l’épreuve par l’ouverture d’une mine dans le village, tourné au Zimbabwe, n’ouvrira pas de collaboration entre le réalisateur burkinabè et les cinéastes sud-africains.  Ce film, le plus abouti de sa filmographie, avec des comédiens anglophones superbement dirigés, bien qu’il soit sélectionné à Cannes 1997 pour la Palme d’or, aura un accueil mitigé. 

Comme si le monde du cinéma français reprochait à son cinéaste chouchou de cette époque de lui faire une infidélité. Les producteurs et distributeurs français ne regardent pas cette ouverture vers le sud du continent sans inquiétude. L’espace francophone est un marché de plusieurs millions de cinéphiles et il est évident qu’ils ne souhaitent pas le partager avec un autre.

Après ces deux cinéastes, nous ne connaissons pas d’autres tentatives ou tentations australes. L’échec des deux grands cinéastes a certainement échaudé les cinéastes francophones. Le double risque de ne pas être adopté par le public sud-africain et d’être mis au ban par les amateurs et les professionnels français des cinémas d’Afrique fait que le pont levis est en train d’être levé entre ces deux régions si proches et si lointaines…

Les premières tentatives ont-elles été maladroites ou trop précoces,venues avant que les conditions d’une vraie rencontre ne soient là ? Il est évident que nombre de cinéastes de l’Afrique de l’Ouest francophone auraient aimé que leur cinéma tirât force et réussite en se tournant vers l’industrie de l’Afrique du Sud. Pour tous, ç’aurait été une fierté que la boussole  du cinéma en Afrique indiquât le Sud, l’Afrique du Sud suscitant une aimantation assez forte pour rompre le tropisme vers le Nord.



lundi 19 octobre 2015

Le griot dans la cité moderne : un vestige du passé





Le griot a-t-il sa place dans la cité africaine. ? On peut en douter au regard de ce qu’il est devenu dans Ouagadougou, c’est-à-dire un quasi-mendiant qui hante les cabarets et les cérémonies de mariages.

Cette scène se passe à Ouagadougou, en ce mois de novembre, dans un jardin public transformé en bar, où les buveurs sont répartis autour des tables sous les paillottes et à l’ombre des arbres. Dans ce bar passent les vendeurs de vêtements, de portables et de maints autres bibelots qui slaloment entre les clients pour présenter leurs marchandises.

C’est là que s’amènent  deux griots, un jeune homme en jean et un vieil homme, sur une vieille moto chinoise pétaradante. Ils descendent et garent la moto à l’ombre d’un aacacia. Celle-ci est penchée sur une béquille branlante. Ses rétroviseurs cassés, ses capots éclatés et son phare éborgné lui donnent l’air d’une sauterelle qui serait passée entre les doigts d’un gosse cruel qui lui aurait méthodiquement brisé les antennes, cassé les brisées et fracassé la mandibule.

Le vieil homme porte un boubou trop grand pour lui, qui fut blanc mais qui tire maintenant vers le roux  avec les éclaboussures  de cola, les taches de  poussière et les souillures diverses. On devine que c’est un père et un fils. Le vieil homme a les yeux rouges d’alcool et la démarche mal assurée des grands buveurs. Après un regard qui a balayé le bar comme un périscope, le vieux ramasse son boubou pour le serrer près de son corps, prend une allure digne et raide comme un pieu, et s’avance vers les buveurs.

Le jeune garçon le suit. Mais dès qu’il ouvre la bouche pour louanger un homme assis avec trois femmes, celui-ci lui  tend rapidement une pièce et lui fait signe de poursuivre son chemin. Il esquisse un sourire forcé qui ouvre ses lèvres sur une grimace. La pièce disparait dans une fente du boubou. On sent qu’il est vexé par l’attitude de l’homme qui lui a tendu la pièce comme on jette un os à un chien pour qu’il arrête d’aboyer.

Il s’en va vers une autre table. Suivi par le jeune griot. Il recommence sa louange et s’époumone dans l’indifférence des buveurs qui continuent à converser sans un regard pour le griot. Voyant qu’il ne tirera rien de ces hommes, le vieil homme se tait brusquement, réajuste son bonnet, remercie et poursuit sa ronde. A chaque table, la même indifférence comme s’il est transparent, invisible. Il trouvera néanmoins un ou deux hommes qui, touchés par sa misère lui glisseront quelques pièces.

Et pourtant, il fut un temps pas très lointain où le griot avait une fonction capitale dans la société africaine. Chaque griot était attaché à une famille nobiliaire dont il avait à charge de conserver les traces à travers le temps. Les griots étaient les dépositaires de l’histoire de leur société. Enfant, dès qu’il savait parler, son père lui apprenait à exercer sa mémoire, à retenir les grands récits, les mythes fondateurs, les généalogies des familles, à chanter et à jouer d’un instrument de musique.

Dans les cours royales, le griot était à la droite du monarque dont il était l’oreille et la bouche. C’est à travers lui que le roi parlait. Il était le confident des puissants et le gardien de la table des lois. En retour, il était pris en charge par la société. L’Histoire a retenu les plus célèbres comme Balla Fasséké qui fut le griot de Soundjata Kéita et ce que l’on sait du fondateur de l’empire manding est la geste que ses descendants ont conservé à travers les siècles.

Et puis avec la colonisation, ce monde-là a commencé à se désagréger et a fini par s’évanouir comme un rêve. Dans la société nouvelle, le griot n’est plus rien. C’est un importun qui hante les mariages et les débits de boissons pour survivre. C’est pour cela le vieil griot, nostalgique de cet âge d’or noie son chagrin dans l’alcool avec les maigres pièces que les gens lui jettent.
Quand par un pur hasard, il rencontre dans ce bar un descendant de la famille princière dont sa famille était les griots, il l’interpelle de loin. Comment reconnait-il celui-ci ? Peut-être à une ressemblance, un trait de famille ou une intuition.   

Devant le jeune homme, sa mémoire se réveille, sa langue devient plus alerte, il se redresse, sa poitrine se gonfle d’orgueil. Il énumère la généalogie depuis des siècles, les patronymes se bousculent dans sa bouche, s’épanouissent et éclatent comme un feu d’artifice. Il dit les hauts faits de guerre des aïeuls, rappelle les batailles gagnées et les grands gestes fondateurs de la tribu.
Il s’anime, retrouve de la vigueur,  va et vient, gesticule, pointe le doigt sur le prince pour le signaler aux autres, prend le ciel à témoin. 

Le vieux griot est transfiguré, il est heureux que la providence ait mis ce descendant d'Idrissa Demba sur son chemin. Ce qui lui permet de donner la pleine mesure de son talent. Le Prince n’a qu’un billet froissé de mille francs à lui offrir mais le vieil griot n’en a que faire. Ce n’est pas l’argent qui lui importe. Il a eu une scène pour déployer son talent.

Son fils a été témoin de sa prestation. Devant lui, il lui a montré ce qu’il est capable de faire. Portant il est facile d’imaginer que  ce jeune ronge son frein à côté de son père en le conduisant. Il ne sera pas griot. Il connaît trop la misère  dans laquelle baigne son papa pour lui emboîter le pas. Il rêve certainement d’ un destin de comédien comme Sotigui Kouyaté ou de vedette de la musique comme Mory Kanté.

Le fils et le père  repartent sur leur moto tonitruante. Le vieux griot derrière la moto est devenu un petit point blanc qui a disparu dans le trafic, emporté dans le  tumulte d’une époque qui le condamne à être un pochard et un  clochard.