Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 27 mai 2011

Les voix du silence se font bruyantes au CITO

Les Voix du silence fut écrite en 1982. Trois décennies plus tard, on s’attendait à ce que cette pièce sente la naphtaline, pourtant elle est d’une telle actualité qu’on la croirait écrite en ce mois d’Avril. On y trouve tous les maux qui ont mené le Burkina aux émeutes de la faim : mal gouvernance, paupérisation des masses, arrogance des puissants, justice aux ordres…
La mise en scène fait cohabitée deux mondes. En haut celui des riches. En bas, les exclus. A la veille des élections présidentielles, Chef Adam, à la tête d’un méga parti rassemble son état-major composé de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, de chefs traditionnels pour un dernier grand meeting. Les pauvres d’en bas, dont les voix sont nécessaires dans ce système électoral sont courtisés. Les politiques consente à descendre dans la cours des miracles tenue par Ma Awa où vivotent tous les exclus de la cité. On leur propose des ripailles et des enveloppes d’argent. C’est au cours d’un meeting de Chef Adam que Oscar, le fils de l’homme politique viole Amicha, la fille de Ma Awa, entraînant la fureur des gens d’en bas. Cela va-t-il compromettre l’ascension de Chef Adam ?
Entre chants et danses, rires et coups de théâtre, le spectateur voit défiler une galerie de personnages inoubliables. Comme Chef Adam campé par Charles Wattara qui lui donne une infinité de nuances et d’ambiguïté : un tissu d’engagement, de cynisme, de gabegie et de grandeur. Ou l’avocat Bekolo, joué avec maestria par Gouem qui donne à ce passionné de justice, quelque chose de grotesque. Ou la mendiante aux jumeaux jouée par Olivia Ouédrago avec beaucoup de justesse de sorte que des spectateurs abusés lui jetaient des pièces comme aumône !
Les mises en scène de Prosper Kompaoré révèlent toujours le musicien et le géomètre qui se cachent derrière l’homme de théâtre. Chez lui, c’est la musique avant toute chose. En effet la musique est omniprésente dans Les voix du silence. On y chante, on y danse et on se croirait dans une comédie musicale tant les parties chantées du texte sont abondantes. En chef d’orchestre, il dirige à la baguette vingt-quatre comédiens dans une mise en scène réglée comme du papier à musique. Kompaoré a un compas dans l’œil tant la circulation et la disposition des comédiens sont calibrées au millimètre près. Jamais un comédien ne masque l’autre.
On rit beaucoup pendant ce spectacle. Mais si Prosper Kompaoré a choisi d’aborder son texte sur le mode comique, Les voix du silence n’est pas moins la pièce d’un moraliste désabusé. C’est un monde sans héros. Aucun personnage n’est un modèle de vertu dans cette pièce. Ni dans le camp de Chef Adam ni dans celui des mendiants. Chef Adam est élu malgré son passé trouble, justice ne sera pas rendu à Amicha parce que les gens d’en bas préfèreront un règlement à l’amiable. Dans ce pays, les fils violent les filles de sorte que l’avenir ne peut accoucher que de monstres. Les Voix du silence sont les voix de notre apocalypse.
Pourtant dans le théâtre de Kompaoré, il n’y a ni épate, ni sein dénudé, ni obscénité, juste une mise en scène respectueuse du texte et du spectateur qui déroule son bouquet de chants, de danses, de rire et d’émotion tout en faisant la radioscopie d’une société qui va à vau-l’eau. L’aîné en investissant le CITO qui apparaît comme la scène des jeunes créateurs Burkinabé avec une telle mise en scène leur démontre que le théâtre peut être subversif sans tomber dans la vulgarité. Et c’est une leçon qui vaut son pesant d’or.
Malraux disait dans un essai portant le même titre que le texte de Kompaoré, Les voix du silence que « Les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux». Il serait plus juste de dire en ce qui concerne Les voix du silence de Prosper Kompaoré que c’est le monde réel qui avait trois décennies de retard sur la fiction dramatique.
Saïdou Alcény Barry

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