Tout mur est une porte. Emerson

mardi 10 septembre 2013

De l’artisanat à l’art : Un défi impossible?


Au Burkina, l’artisanat s’est développé grâce à notre riche patrimoine, mais également par la structuration du domaine avec les centres d’artisanat et particulièrement le SIAO. Pour permettre aux artisans de s’insérer dans le marché de l’art, une réflexion et des initiatives s’élaborent pour introduire l’art dans leur pratique.


Comment passer du statut d’obscur artisan peinant à vivre de son travail à celui plus valorisant et plus monétisé d’artiste ? Quitter l’anonymat de l’atelier pour être Icare à l’assaut du soleil de la reconnaissance ? Précisons toutefois que tous les artistes n’ont pas de beurre dans leurs épinards, toutefois ils sont mieux lotis que les premiers cités. S’il suffisait de perdre cinq lettres en chemin pour que l’artisanat devienne de l’art ou simplement de se débarrasser de sa veste d’artisan pour devenir artiste comme le serpent de sa mue, ce serait chose aisée. Malheureusement, c’est plus compliqué, car au-delà de la qualité des œuvres, c’est notre regard qui instaure un véritable apartheid.

Quelle est la différence entre artiste et artisan ? Pour Pierre Soulage, «l’artiste cherche. Il ignore le chemin qu’il empruntera pour atteindre son but. L’artisan, lui, emprunte des voies qu’il connaît pour aller vers un objet qu’il connaît également.» Ainsi donc, l’artisan serait artiste s’il renonçait au confort de la reproduction et se laissait guider par son imagination et sa puissance créatrice. Il suffit qu’il abandonne une route toute tracée pour prendre des chemins de traverses et le pari est tenu !

Dans la pratique, ce n’est pas si simple, car l’artisanat n’est pas la simple répétition de gestes et de techniques hérités du passé, il y a aussi création, renouvellement. D’une année à une autre, de nouveaux objets apparaissent, les formes se modifient, se renouvellent. Ce qui montre que la frontière entre art et artisanat est assez fuyante.

Que dire alors d’un peintre ou d’un sculpteur qui travaillerait le même sujet toute sa vie ? Est-il un artisan ? Et là, c’est peut-être Michel Foucault qui détient la réponse. Évoquant le fameux tableau de Magritte, Ceci n’est pas une pipe, il fait une différence entre la ressemblance et la similitude en précisant que «la ressemblance a un ‘patron’ : élément original qui ordonne et hiérarchise à partir de soi toutes copies de plus en plus affaiblies qu’on peut en prendre. Ressembler suppose une référence première qui prescrit et classe. Le similaire se développe en séries qui n’ont ni commencement ni fin, qu’on peut parcourir dans un sens ou dans l’autre, qui n’obéissent à aucune hiérarchie, mais se propagent de petites différences en petites différences». Mais à l’analyse, la ressemblance procéderait plus de la reproduction mécanique et industrielle que du travail manuel de l’artisan.

Ceux qui ont été séduits par la conception romantique de l’artiste qui serait l’élu des Muses et qui créerait sous une inspiration irrépressible trouveront aisément la différence entre l’artiste et l’artisan. On devient artisan mais on naît artiste, car c’est un don. Sans nier l’inspiration, il faut cependant noter que sans la technique, sans un savoir sur l’histoire de l’art, sans un environnement favorable à l’art, il n’y a point d’artiste. Combien de petits Mozart ne rencontreront jamais le piano et le solfège et leurs doigts, malgré leur agilité et leur vélocité, ne se poseront jamais sur un clavier ? On peut toutefois l’être et le devenir si l’on pense à l’aphorisme de Nietzsche : «Deviens ce que tu es.»

D’ailleurs, dans le monde des artisans, surtout des artisans de caste tels les bronziers et les forgerons qui ont emmagasiné des savoir-faire millénaires sur le fer ou le bronze, il y a beaucoup d’artistes de talent.

La vraie différence entre artisan et artiste se trouve dans le regard et la ligne Maginot que les instances de consécration (les ministères des Arts, les galeries, les prix, la presse et les critiques d’art) dressent entre les deux. Il suffit de changer de paradigme pour glisser de l’artisan à l’artiste. Il faut simplement que l’objet soit inséparable de son créateur, qu’on y voie la marque d’un individu, qu’on lise une signature et on y découvre une originalité.

C’est de la sorte que l’artiste peut passer de la fonction de créateur au métier d’artiste. Quand une œuvre artisanale cesse d’être anonyme et qu’elle est indissociable d’un individu, elle devient de facto une œuvre d’artiste. Reste le problème de la qualité, de l’originalité et de sa réception.