Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 16 mars 2012

Tiens bon, Bonkano ! un mendigot nous fait la leçon

Seul sur scène, Boukary Tarnagda joue Tiens bon, Bonkano ! d’Alferd Dogbé dans une mise en scène depouillée de Tindano Mahamoudou. Le mendiant Bonkano déroule sa vie, évoque ses rencontres, les portraiture jusqu’à la caricature et dessine en creux le portrait peu reluisant du continent. C’était le 2 mars 2012 à l’Espace culturel Gambidi. Spectacle d’un grand comique, rafraîchissant et corrosif.

Tiens bon, Bonkano ! met en scène un mendiant qui tend la sébile dans les rues de Niamey mais ce pourrait être n’importe quelle ville africaine. Lui, sa famille et tout son village ont été contraints par la famine à émigrer en ville, attirés par les discours pleins de compassion et de promesses d’aide des hommes politiques. L’entrée dans la capitale leur est refusée. La soldatesque les accueille sans ménagement et les parque tel un bétail dans un camp de réfugiés. Rapidement les vivres sont épuisés à cause des détournements. Ayant perdu femme, enfants et biens, il est réduit à faire la manche pour vivre.
Malgré son déhanchement de vieux coq, sa veste élimée et son sac fourre-tout, Bonkano reste un homme qui exige le respect et qui n’hésite pas à le faire savoir. C’est devant le portail d’une dame esseulée que Bonkano, bouquet de fleurs en main, entre deux sonneries, évoque sa vie de mendiants. C’est en attendant l’amour que notre Casanova en guenilles, livre ses pensées sur la vie. Ulcéré qu’un quidam lui dise d’aller travailler, il boue littéralement. Et telle une coquette-minute qui laisse de chaudes vapeurs s’en échapper pour ne pas imploser, Bonkano, entre deux étranglements de colère, est un geyser de paroles. Des tranches de vie qui restituent au-delà du mendiant la photographie d’une Afrique peu reluisante et écorne au passage la lisse image de l’humanitaire et de la solidarité internationale.
Et défile une galerie de personnages loufoques que Tarnagda Boukary habite avec beaucoup de réussite. On en rit aux larmes. Bonkano a dressé sa typologie du citadin face à la charité : le sans-cœur qui ne tend jamais la main, l’impertinent qui demande au mendiant d’aller travailler, la dame solitaire qui offre le repas et attend un peu de chaleur en retour et enfin celle qui se débarrasse des aliments détériorés par l’aumône, confondant la sébile et la poubelle. Et un mendiant peut en cacher un autre ! De l’élégante dame au monsieur en veste, cravate et mallette qui abordent les hommes pour les délester de quelques billets jusqu’aux ministres qui, à la télé, exhibent la misère de leur pays pour attendrir les donateurs et l’aide internationale : tous sont des mendigots comme Bonkano à la différence près que lui, il assume sans hypocrisie son état !
A travers cette pièce d’Alfred Dogbé, sous la couche du comique, il y a une critique sans merci du continent et de l’assistanat dans lequel se vautrent les Etats. Bonkano n’est pas dupe mais il se moque de tout et se paie la tête de tous. Par-là, il est un Diogène contemporain. Comme le philosophe grec qui vécut misérable dans un tonneau, Bonkano à force de vivre dans une solitude publique a acquis une telle connaissance de ses semblables qu’il s’exerce à les dévêtir de leurs masques et à nous les
montrer dans leur nudité. Et ce qu’il révèle de l’homme est bas et mesquin !
Pendant plus d’une heure, Boukary Tarnagda nous transporte avec beaucoup de bonheur dans le quotidien de Bonkano. Ce spectacle, servi par une mise en scène minimaliste, un éclairage aussi dépouillé que la vie du personnage, est comme de la glu. Plus il se poursuit et plus le spectateur est scotché si bien qu’à la fin, il a du mal à se détacher du personnage. On rit beaucoup mais à la fin, quand meurt le rire, on éprouve un brin de remords. Boncano est un clown et l’on rit toujours aux dépens du clown. Mais c’est un clown triste car sous le masque de la comédie, il y a le malheur d’un homme réduit à tendre la main dans le mépris des hommes et l’indifférence de l’Etat.
P.s: Pendant que l'on jouait Tiens Bon, Bonkano! à Ouagadougou ce soir 2 mars, on pleurait la mort d'Alfred Dogbé à Lomé au Togo. Signe qu'un créateur se survit toujours à travers son oeuvre.

Saïdou Alcény Barry