Tout mur est une porte. Emerson

mardi 13 janvier 2015

Littérature burkinabè: l’Or brille pour une minorité de Issa Dieudonné Toé:



L’Or brille pour une minorité est le premier roman de Issa Dieudonné Toé. Il a paru à compte d’auteur en juillet 2013. Son auteur fait montre d’une grande maîtrise du récit ;il prend le lecteur au collet et l’entraine dans une histoire rocambolesque d’amour et d’extraction aurifère.

La plupart des œuvres éditées au Burkina souffre d’un packaging non maîtrisé ; la raison  est l’absence de véritables maisons d’édition possédant la chaîne de tous les métiers du livre capables d’éditer des bouquins  attrayants et à un prix étudié. L’or brille pour une minorité  n’y échappe pas  mais au-delà de l’habillage, si le lecteur entre dans ce texte, il y  trouvera son plaisir.

D’ailleurs la note introductive est si surprenante pour ne pas  rendre attachant un tel écrivain. En effet comment ne pas avoir de la sympathie pour un écrivain qui avertit que son roman a été écrit dans le seul but d’attirer l’attention des autorités sur les problématiques liées aux questions minières. Une telle foi en la capacité de la littérature à changer  les choses et  à influer sur les politiques est assez rare de nos jours pour ne pas inciter à aller voir ce que l’auteur a mis dans son œuvre pour la croire capable d’émouvoir leur cœur. peu tendrel.

Cela est d’autant plus intéressant quand on apprend que  l’auteur est un entrepreneur en bâtiment qui a fait des études de maths-physique. Ce passé  ajoute à l’idée que s’il est venu à la littérature il a vraiment des choses à dire. Qui renonce à déchiffrer le monde avec des théorèmes mathématiques et des lois physique pour le saisir avec les mots doit forcément être un passionné de littérature.

 Et lorsqu’on a été pendant longtemps un acheteur d’or comme l’auteur pour le défunt Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP), on doit connaitre un rayon sur ce monde-là. D’ailleurs le roman puise beaucoup dans cette expérience de l’auteur au contact des orpailleurs.

 Le roman est bâti sur une histoire d’amour improbable entre un leader étudiant, Pandjin, issu du monde paysan et Claudia, une beauté de la haute société, fille d’un richissime représentant d’une multinationale de l’exploitation aurifère.  L’auteur dépeint une société clivée avec des petites gens qui triment en ville ou dans les mines d’or et des nantis qui jouissent des dividendes du métal jaune avec la bénédiction des dirigeants du pays. 

Lorsque Pandjin et ses amis du campus décident de s’attaquer aux sociétés minières qui polluent les villages et empoisonnent les paysans, la sécurité intérieure se met en branle et décide de les neutraliser. Quelle en sera l’issue ?

Ce petit roman ressemble  un peu à un page turner à l’américaine car dès que l’on entre dans le livre, on est happé par l’histoire et on ne peut lâcher le roman sans en connaitre la fin. C’est une intrigue bien ficelée. L’auteur maîtrise  l’art du portrait et de la caricature. Il sait croquer en deux lignes les travers ou les incorrections d’un personnage. Fakiè Koné, le secrétaire du gouvernement est décrit ainsi : « il affichait son beau sourire et ses larges oreilles  n’arrêtaient de tressauter sur sa tête à la forme de pastèque ».

 On se surprend à rire devant certaines descriptions tant l’ironie de l’auteur est mordante. Il a aussi l’art des tropes étincelantes : la chevelure de Claudia pédalant un vélo est comparée à une crinière de jument en pleine course. Cet écrivain-là a du style…Il sait jouer de la langue et en tirer une musique particulière.

C’est pourquoi on regrette un peu que l’auteur reste dans la veine  réaliste, que le raoman africain traine depuis sa naissance et qu’il use d’une langue si classique. En 1953 déjà, Maurice Blanchot notait qu’il n’importe plus d’écrire bien, avec soin, dans une forme constante, égale, réglée selon l’idéal classique

Cette remarque, il la faisait pour la littérature française mais elle est d’autant plus vraie pour la littérature africaine après que le Devoir de violence de Yambo Ouologuem, les Soleils des indépendances de Ahmadou Kourouma et la prose carnavalesque de Sony Labou Tansi ont montré qu’une autre écriture est nécessaire chez l’écrivain africain francophone.

A la décharge de l’auteur, ce roman a été écrit en une giclée, en deux mois dans une sorte d’urgence de dire ce monde-là. Son motif premier est avant tout de dénoncer un désastre humain et environnemental. Et il le réussit bien car on sort du roman édifié sur les misères et les désillusions qu’engendre la découverte du métal jaune.

 Une telle rapidité pour accoucher d’une œuvre si prenante dénote d’une grande puissance de l’écriture romanesque par Issa Dieudonné Toé. On espère qu’il confirmera rapidement avec un deuxième roman qui donnera toute la mesure de son talent. Et qu’à l’écriture d’une aventure, il adjoindra l’aventure d’une écriture.
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