Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 28 février 2014

Arts du spectacle: Ce que notre théâtre doit à la légion étrangère


Il y a une décennie, poussée par le hasard ou la nécessité, des hommes de théâtre d’Afrique et d’Europe ont posé leurs valises au Burkina Faso. Leur apport au théâtre burkinabè est grand et leur influence sur la pratique est d’importance. Projecteur vous propose une galerie de portraits de ces légionnaires des planches qui font que le théâtre gagne la bataille de la qualité au Faso.


C’est véritablement dans les années 2000 que beaucoup de ces baladins vont s’installer à Ouagadougou pour exercer leur art. Certains ont quitté leur pays plongé dans les guerres civiles et leur corollaire, l’impossibilité de créer ; d’autres, parce que les conditions d’exercice du métier au Faso leur convenaient.

Non seulement il y a eu de risque que la censure s'exerce sur leur travail mais en plus le pays abrite trois festivals internationaux de théâtre tels les Récréâtrales, le Fitmo et le FITD, de sorte que le Burkina Faso est devenu une place forte du théâtre dans la sous-région. On a surnommé ce groupe d’artistes la légion étrangère car de ce corps d’armée, il a la diversité d’origine et la vaillance.

Très vite, les éléments de la légion ont marqué le théâtre burkinabè de leur empreinte : ils lui ont apporté leurs expériences et ce qui se faisait de meilleur ailleurs. Les Peuls disent que l’Etranger doit être accueilli comme un roi car il apporte le monde dans votre maison. Qui sont donc ces hommes et ces femmes qui ont apporté du nouveau dans la maison théâtre du Faso ?


L'Ivoirien Assandé Fargass et le Portugais Luis Marquez sont deux comédiens et metteurs en scène venus de la Côte d’Ivoire. Fargass Assandé est connu pour son exigence au niveau du travail de l’acteur. Chez lui, l’interprétation d’un rôle passe par une appropriation des interprétations précédentes à travers le visionnage de films, la lecture des textes critiques autour du texte, en somme une plongée du comédien dans l’archéologie du savoir dramatique pour inventer une interprétation originale.

Par ailleurs, ses répétitions nocturnes, de minuit jusqu’à l‘aube, sont fameuses et très redoutées des comédiens. Une démarche qui a fait prendre par certains comédiens le théâtre de la cruauté au pied de la lettre et le Théâtre et son double d’Artaud pour un manuel de torture de l'acteur! Il s’est imposé avec des mises en scènes très fortes grâce à un jeu d’acteur parfait. Il travaille quasi exclusivement avec l’Institut Français même si des comédiens nationaux sont présents dans chacune de ses créations.


Luis Marquès est un metteur en scène et un comédien très intégré au milieu du théâtre burkinabè. Très intégré au monde du théâtre local, ses créations interrogent la culture locale en visitant la culture bwa pré-coloniale ou la place du cheval dans la société traditionnelle. Il a mis en scène le Crépuscule des Temps anciens, premier roman burkinabè de Nazi Boni et a créé un spectacle équestre.

A habiter un pays, on finit par être habité par celui-ci, semble nous dire le metteur en scène espagnol ! Il a d’ailleurs confié la mise en scène de son texte sur le passage d’Ernesto Che Guevara au Congo, Tatu ou vestiges du désastre à Abidine Diori qui était à l’époque un metteur en scène débutant.

Luca Fusi est italien. Metteur en scène et comédien, c’est un fervent admirateur de Jacques Lecoq. Il a longtemps travaillé en tandem avec Ildévert Méda, le metteur en scène le plus cérébral du pays et l’un des plus talentueux. Cette collaboration a accouché de mises en scènes audacieuses, inventives comme Le Tigre de Dario Fo qui reste un des meilleurs spectacles dans l’épure de la scénographie et la direction d’acteurs. Ensuite, il a travaillé avec le Théâtre de la Fraternité du Pr. Jean-Pierre Guingané.

Son travail sur l’acteur insiste sur la plastique, la mécanique du corps et cela est perceptible dans le jeu des acteurs qui sont passés sous sa direction ou à son école. Le jeu d’acteur sollicite fortement le corps et devient une combustion de l’énergie du corps. De plus en plus, il s’implique dans la formation à travers le CFRAV (Centre de formation et de Recherche en Arts vivants) logé dans l’Espace culturel Gambidi.


Il y a aussi des comédiennes. Comme la Camerounaise Yaya M’Bilé et l’Ivoiro-sénégalaise Mouna N’Diaye. Yaya M’Bilé fut longtemps l’une des rares comédiennes du pays capable de porter un monologue. Elle a campé des personnages féminins inoubliables dans plusieurs spectacles. L’effet d’émulation qu’elle a eu sur la jeune génération de comédiennes burkinabè est incontestable.

Il en existe d’autres tels que le Congolais de Brazza Faustin Keoua qui est resté dans l’enclave de l’Institut Français, le Camerounais Achille Gouem (bon comédien et très prometteur metteur en scène), le Tchadien Maxime Damsou. Ceux-ci n’ont pas encore l’envergure de leurs aînés mais jeunes soldats de la ruche théâtrale, ils participent à la défense et au renforcement du théâtre.

Il en va du théâtre comme des hommes. A s’unir entre parents, la fratrie développe des maladies consanguines et cela donne des avortons et des monstres, d’où la nécessité de l’exogamie. C’est par conséquent en s’ouvrant à l’Autre, à l’Etranger que l’on revigore son espèce. Pareil pour le théâtre. Aussi ces hommes et femmes de théâtre qui se sont installés au Burkina Faso ont-ils amené du nerf et du neuf dans la création dramatique du Faso.
Saïdou Alcény BARRY

1 commentaire:

Unknown a dit…

C'est une analyse pleine de sens.