Tout mur est une porte. Emerson

mercredi 20 mars 2013

Un correcteur peut cacher un charcutier !

Il est une chose qui est le propre de la presse. D’abord le sujet d’un article est toujours une commande de la rédaction, le nombre de mots est fixé d’avance et le journaliste évolue entre ces deux balises. Ensuite, le papier doit passer par le service de correction avant d’être publié. Et parfois, c’est là où le bât blesse !
L’article de presse, qui est souvent écrit dans l’urgence, a besoin de passer entre les mains expertes et les yeux de lynx d’un correcteur pour bénéficier des derniers soins avant d’être livré à la lecture. Comme un homme après s’être vêtu et avant de quitter la maison a besoin de l’inspection d’un miroir ou d’un regard ami pour ajuster la cravate, ôter un cheveu sur l’épaule ou l’aider à boutonner ses manchettes. Le correcteur se charge donc de lustrer le texte en lui ôtant une coquille, en redressant une formulation boiteuse, en ajoutant une virgule pour mieux faire sens. Bref, il donne de l’allure à un papier. Malheureusement le correcteur peut être un boucher. Un Jacques l’éventreur ! Au lieu d’améliorer le texte, il le massacre à la tronçonneuse, le charcute en lui ôtant toute intelligence, le déshabille de toutes ses tournures coquettes qui lui donnent un style, un rythme et de la tenue. Il le tue carrément en le rendant incompréhensible, en en réduisant en un misérable tas de mots qui ne veulent plus rien dire. Une dépouille qui ne communique plus rien. Dans ce cas-là, quoique le rédacteur de l’article sache qu’il n’est pas le seul auteur de son texte car comme le dit le philosophe André Gorz : «Le journalisme est cette pensée sans sujet», ce rédacteur-là a des envies de meurtre devant le corps mort de son texte. Dans ce texte de deux pages, de cinq mille signes, il y avait mis sa pensée, sa culture, ses mots les plus aimés, sa façon de rendre particulier son rapport à la tribu des mots et de tout ça, il ne reste plus rien. Rien que ce tombeau de mots sauvagement mutilés par un ersatz de correcteur. S’il pouvait saisir au gosier ce charcutier de malheur, le soulever de terre et le pendre haut et court à un croc de boucher, peut-être que sa colère s’en irait se balancer à côté de l’hurluberlu. Mais il ne peut que serrer ses poings, impuissant car il ne peut mettre un nom ou un visage sur l’assassin de sa prose! Il faudrait bien que les rédactions songent à réserver le goudron et les plumes pour des correcteurs de cet acabit ! Chaque journaliste victime d’un tel vandalisme rêve d’un correcteur se balançant au bout d’une corde. Au défaut de pouvoir le suspendre au gibet pour de vrai…Fi !

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